Manarola, l’un des villages les plus emblématiques des Cinque Terre, déploie sur sa falaise un nuancier de façades éclatantes dominant la mer de Ligurie. Ce tableau, que beaucoup de personnes associent à la carte postale italienne, résulte d’une histoire architecturale liée à la géographie escarpée, aux traditions de pêcheurs et aux contraintes d’un territoire où chaque parcelle se conquiert sur la roche.
Derrière ces couleurs vives se cache un habitat traditionnel adapté à un environnement exigeant. Observer les maisons de Manarola, c’est comprendre comment une communauté a façonné son cadre de vie pour répondre aux nécessités du quotidien tout en créant une ville unique et pleine de charme !
Une architecture conditionnée par le relief
Manarola s’étage sur une falaise abrupte où les rues, appelées caruggi, forment un réseau étroit et sinueux. L’absence de grandes surfaces planes a imposé une construction verticale. Les maisons se dressent sur trois à quatre niveaux, parfois davantage, chaque étage accueillant historiquement une fonction spécifique : cave ou atelier de pêche au rez-de-chaussée, espace de vie aux étages supérieurs.
Cette élévation en hauteur optimise l’espace dans un village où chaque mètre carré est précieux, tout en protégeant les habitants des crues et des vagues lors des tempêtes marines.
Les fondations sont souvent constituées de pierre extraite localement, posée à sec ou avec un mortier maigre, garantissant une bonne stabilité sur les roches irrégulières. Les murs, épais à la base, se réduisent en épaisseur à mesure que l’on monte, allégeant la structure sans compromettre sa solidité.

Les couleurs comme repère et protection
Les teintes vives de Manarola (rose corail, ocre, jaune safran, vert pâle, bleu ciel) n’ont pas été choisies uniquement pour leur attrait esthétique. Elles permettaient aux pêcheurs de repérer leur maison depuis la mer au retour des sorties de pêche, lorsque le village se détachait de l’horizon au coucher du soleil.
Ces couleurs servaient également à protéger les murs des intempéries grâce à l’utilisation de badigeons à base de chaux mélangés à des pigments naturels, une technique répandue dans l’architecture méditerranéenne. Ce revêtement offrait une perméabilité contrôlée, laissant respirer les murs tout en limitant les infiltrations d’eau de pluie. Cette technique contribuait ainsi à la longévité des façades.
Le choix des nuances variait selon les familles, créant au fil du temps cette mosaïque joyeuse devenue emblème de Manarola. Aujourd’hui, les habitants et les autorités locales veillent à la conservation de ce code couleur, intégré dans les règles de restauration pour préserver l’harmonie du village.


Une organisation intérieure pragmatique
L’intérieur des maisons de Manarola est fonctionnel et modeste. Les plafonds sont bas pour conserver la chaleur durant les saisons plus fraîches, et les fenêtres, souvent étroites, limitent les pertes de chaleur tout en assurant une ventilation nécessaire durant les étés méditerranéens.
Les sols sont généralement recouverts de carreaux de terre cuite ou de pierres plates, matériaux faciles à entretenir tout en restant frais en été. Dans certaines habitations, un escalier en pierre ou en bois relie les étages, parfois remplacé par un simple échelle dans les espaces plus exigus.
Les balcons en fer forgé, lorsque présents, sont utilisés pour sécher le linge, cultiver des herbes aromatiques ou simplement observer la vie du village, contribuant à l’animation des ruelles.
Des toits adaptés au climat
Les toits des maisons de Manarola sont en tuile canal (coppi), caractéristiques de la région, disposées sur une charpente en bois généralement réalisée avec du châtaignier local. Leur pente modérée permet d’évacuer facilement les eaux de pluie tout en collectant cette eau dans des citernes, élément indispensable dans un village où l’accès à l’eau a toujours été une préoccupation majeure.
Certains toits accueillent de petites terrasses permettant de cultiver des plantes en pots ou de profiter d’un espace extérieur avec une vue sur la mer.

Un habitat en lien avec les terrasses agricoles
Les maisons colorées de Manarola ne peuvent être comprises sans évoquer les « terrasses » qui l’entourent. Les habitants ont bâti au fil des siècles des murets en pierre sèche pour créer des bandes cultivables sur les pentes abruptes, principalement pour la vigne et les oliviers.
Cette organisation du territoire, appelée « terrazzamento », conditionne également l’emplacement et l’orientation des habitations. Les maisons s’ouvrent souvent vers la mer, mais restent tournées vers les cultures qui représentaient le cœur de l’économie locale.
Les ruelles étroites, les escaliers escarpés et les passages voûtés reliant les habitations aux parcelles cultivées témoignent d’une architecture intimement liée au paysage.

Pourquoi découvrir ces maisons lors d’un voyage ?
Se rendre à Manarola, c’est découvrir un exemple remarquable d’architecture vernaculaire qui a su composer avec les contraintes d’un site spectaculaire. Chaque ruelle révèle une perspective différente, chaque maison a sa propre histoire : celle des générations de pêcheurs, de vignerons et d’artisans qui ont façonné ce magnifique village des Cinque Terre à flanc de falaise.
Au-delà de leur beauté, ces maisons témoignent d’un savoir-faire collectif où l’habitat répond aux exigences du climat, de l’économie locale et de la topographie. Leur conservation participe à la transmission d’une culture architecturale méditerranéenne précieuse à étudier et à préserver.

Comment les observer avec un œil d’architecte ?
Pour apprécier pleinement ces maisons colorées à Manarola, portez attention :
- Aux détails des enduits à la chaux, visibles sur les murs, où les couches anciennes se devinent parfois sous les restaurations récentes.
- À la modénature (ensemble de moulures) discrète autour des portes et fenêtres, souvent peinte dans des couleurs contrastantes.
- Aux balcons en fer forgé, dont les motifs varient d’une habitation à l’autre.
- Aux escaliers extérieurs reliant les différents niveaux de la rue à la maison.
- Aux raccords entre les maisons, construits par extension successive, créant un tissu compact.
Ces observations permettent de saisir la logique constructive de ce village des Cinq Terres, où chaque élément a été conçu pour durer tout en s’adaptant à un contexte exigeant. Les maisons de Manarola illustrent une forme d’architecture durable, bien avant l’émergence de ce terme. Par leur compacité, leur orientation, le choix des matériaux locaux et la simplicité de leur organisation intérieure, elles répondent aux contraintes du climat méditerranéen tout en limitant l’impact sur l’environnement.
Elles rappellent que l’adaptabilité et le bon sens sont les premiers principes d’une architecture respectueuse du lieu, offrant aujourd’hui aux visiteurs et aux passionnés d’architecture un exemple inspirant d’harmonie entre habitat et paysage. En les découvrant, chacun peut trouver des pistes de réflexion sur la façon d’habiter intelligemment des lieux difficiles tout en préservant l’esthétique, la convivialité et la qualité de vie, éléments qui sont au cœur d’une démarche architecturale raisonnée.