Hararé, capitale et plus grande ville du Zimbabwe, compte aujourd’hui plus de 2,8 millions d’habitants. Connue jusqu’en 1982 sous le nom colonial de Salisbury, elle demeure le cœur économique du pays, mêlant immeubles modernes et vestiges d’un passé colonial encore visible dans ses rues tracées au cordeau et ses bâtiments historiques. Mais au-delà de la capitale, un enjeu se joue depuis déjà quelques années : préserver ou transformer le patrimoine colonial, souvent incarné par les anciennes fermes et maisons de style victorien ou néerlandais du Cap, éparpillées dans les campagnes zimbabwéennes.
Quand l’histoire freine la modernisation
Qedindaba Khumalo, ingénieur civil, a ressenti ce dilemme lorsqu’il a pris la tête d’un projet de construction de logements sur Impala Source Farm, une ancienne ferme de dix pièces près de Shurugwi, à 350 km au sud de Hararé. Son objectif initial : moderniser cette ancienne ferme coloniale des années 1920 aux grandes terrasses et au toit en tôle ondulée pour en faire un bureau fonctionnel.
Cependant, les autorités zimbabwéennes l’en ont empêché, arguant que le bâtiment devait rester intact en raison de sa valeur patrimoniale. Comme de nombreuses fermes coloniales, cette maison est considérée comme « riche en histoire » et « à préserver pour les générations futures ».

Des fermes chargées d’histoires douloureuses
Située près de Shurugwi, à 350 km au sud de Hararé, cette ferme appartenait autrefois à Garth Pinchen, un fermier blanc expulsé par les milices lors du programme de réforme agraire controversé lancé par le président Robert Mugabe. En treize ans, environ 4 000 fermiers, principalement blancs, ont été forcés de quitter leurs terres, laissant derrière eux des maisons coloniales mêlant terrasses tropicales, façades néo-classiques, toitures en tôle et influences architecturales victoriennes ou néerlandaises du Cap.
Ces habitations ont une histoire complexe : la terrasse était une reconnaissance de l’environnement tropical, tandis que les façades néo-classiques représentaient le désir des colons de recréer leur monde. Elles illustrent une cohabitation entre adaptation climatique et nostalgie d’un mode de vie importé.

Un patrimoine contesté par les nouveaux occupants
Malgré leur valeur architecturale, ces maisons sont souvent perçues avec méfiance par de nombreux nouveaux agriculteurs réinstallés après les réformes agraires, estimés à 200 000. Pour beaucoup, elles sont des symboles d’injustices passées et d’expropriation, rendant leur conservation délicate.
Ce regard critique rend difficile la préservation de ces habitations, même si elles témoignent d’une page de l’histoire architecturale du Zimbabwe. Ces anciennes demeures coloniales sont donc parfois laissées à l’abandon ou défigurées faute de moyens et d’intérêt patrimonial partagé.


Les maisons coloniales dans les villes
Si la campagne zimbabwéenne conserve ces maisons coloniales discrètes dans le paysage, les villes comme Hararé ou Bulawayo offrent un autre visage de ce patrimoine. Les rues rectilignes bordées de jacarandas accueillent un grand nombre de maisons coloniales urbaines, avec leurs toits en tôle, leurs vérandas profondes et leurs murs épais conçus pour tempérer la chaleur.
On y trouve également des bâtiments publics imposants de l’époque coloniale (comme la bâtiment ci-dessous à Bulawayo), comme les gares, les hôtels de ville ou les tribunaux, qui attirent encore le regard par leur architecture symétrique et leurs ornements de style néo-classique ou Art déco.

Préserver ou oublier ?
Le Zimbabwe se retrouve face à un dilemme : préserver ces maisons coloniales comme témoins d’un passé historique et architectural unique, ou les transformer pour répondre aux besoins de logement et d’adaptation contemporaine. Cette tension se manifeste dans les discussions sur l’identité nationale, le besoin de développement et la mémoire des blessures coloniales.
Ces anciennes demeures, qu’elles soient dans les collines verdoyantes près de Shurugwi ou dans les avenues d’Hararé ou de Bulawayo, rappellent que l’architecture est un langage de l’histoire à un moment donné. Leur préservation pourrait être une occasion de transmettre aux générations futures une compréhension nuancée de l’histoire du Zimbabwe, entre héritage, douleur et résilience.