Petit rappel utile avant de commencer : vous lisez parfois “Dinan” par erreur. Les villas de bord de mer dont il est question ici se situent bien à Dinard, sur la Côte d’Émeraude, face à Saint-Malo. Dinan, en amont de la Rance, brille plutôt par ses maisons médiévales à pans de bois.
Vous marchez sur la promenade du Clair-de-Lune, des silhouettes de pierre apparaissent au-dessus des pins : tourelles, bow-windows, belvédères. À Dinard, les villas ne se cachent pas. Elles s’offrent au paysage et au regard du passant. C’est ce dialogue entre maisons et rivage qui a fait la réputation du lieu.
Comment une station naît au XIXᵉ siècle
Au milieu du XIXᵉ siècle, la mode des bains de mer venue d’Angleterre gagne la Bretagne. La plage de l’Écluse devient vite un théâtre social. Les bains se prennent “à la lame”, les cabines roulent sur le sable, et l’on se réchauffe ensuite dans des baquets d’eau chaude. Un premier établissement de bains est construit en 1859 sur l’Écluse par Édouard Legros. Cette pratique très codifiée va transformer un village côtier en station internationale. Les élites y trouvent un nouveau lieu de rendez-vous mondain.
Dès 1852, un couple venu d’outre-Manche, William et Lyona Faber, s’éprend de la pointe du Moulinet. Ils achètent des terrains, font bâtir puis invitent leurs amis britanniques et américains. Les Faber occupent d’abord la villa Beauregard, puis lancent la villa Sainte-Catherine. Ce sont des pionniers de la villégiature dinardaise. Leur initiative donne le ton à toute une génération de constructions balnéaires.
En 1858, un Anglo-Irlandais, James Erhart Coppinger, fait édifier à la pointe du Moulinet une des toutes premières “villas de mer”. Le décor est planté : panorama sur l’embouchure de la Rance, falaises, sentiers, et les premières grandes demeures tournées vers l’horizon.
Dès les années 1860-1870, tout s’accélère : lotissements, hôtels, casino, même des courses hippiques sur la plage en 1867. La plage de l’Écluse devient la plage “aristocratique” dès 1866, quand le Prieuré garde un esprit plus familial. La sociabilité du bain structure la ville autant que la pierre.
Le Moulinet, laboratoire d’un art de bâtir
Le Moulinet concentre des maisons qui assument l’étrangeté heureuse des débuts : volumes libres, ajouts, surélévations, terrasses crénelées, vérandas. La plus célèbre, la villa Bric-à-Brac (1870), doit beaucoup à la famille Faber et au colonel Robert Hamilton. Elle connaîtra une seconde vie inattendue : en 1935, on y installe un aquarium, un musée de la mer et un laboratoire rattachés au Muséum national d’Histoire naturelle. En 2015, l’ensemble est converti en Castelbrac, un hôtel 5 étoiles. Cette trajectoire, du “château de bord de mer” au lieu culturel, puis à l’hôtel, raconte la plasticité des villas dinardaises.
Au-delà du Moulinet, la Malouine et Saint-Énogat offrent d’autres scènes : à la Malouine, des villas posées au ras de la falaise dominent la mer ; à Saint-Énogat, berceau de la station, l’esprit balnéaire s’observe à l’échelle du quartier, entre plages et petites rues. 407 villas sont aujourd’hui classées et protégées à des degrés divers. La densité patrimoniale étonne au regard de la taille de la commune.
Des styles mêlés, une même idée : voir la mer
Dinard n’a pas un style unique. Les villas empruntent, combinent, détournent. Vous verrez :
- des bow-windows qui captent la lumière et étirent la vue ;
- des fenêtres à guillotine d’inspiration britannique ;
- des vérandas et galeries abritées ;
- des tourelles et des belvédères pour guetter la marée ;
- des matériaux mêlés : granit local, brique, bois sculpté, enduits colorés, ferronneries, céramiques.
Cet éclectisme s’inscrit dans un mouvement plus large de l’architecture balnéaire de la fin du XIXᵉ : historicismes assumés, mélanges, liberté des plans, façades asymétriques. À Dinard, ce vocabulaire se teinte d’influences britanniques très lisibles. On y lit aussi l’envie de surprendre, d’échapper aux codes stricts de l’architecture urbaine. Chaque villa devient une signature, parfois extravagante.
Trois villas pour comprendre
Pour saisir concrètement ce que représente l’architecture balnéaire à Dinard, rien ne vaut l’examen de quelques maisons emblématiques. Trois villas, chacune ancrée dans son époque, permettent de mesurer l’évolution des styles et des usages, de la fin du XIXᵉ siècle aux années 1930.
1. Roches-Brunes (1893-1896)
Dressée à l’extrémité de la Malouine, cette grande maison signée Alexandre Angier adopte un répertoire néo-Louis XIII : brique et pierre, hautes toitures, décors. Elle appartient aujourd’hui à la ville et accueille expositions et visites. Sa position de vigie résume le lien entre paysage et architecture à Dinard.
2. La Garde (1897)
Commandée par Jacques Hennessy, cette demeure d’Angier évoque un château anglais, clin d’œil au gothique revival. Grand hall, pièces de réception, circulation pensée pour la saison. Un bon exemple de la manière dont la villégiature adapte des codes aristocratiques à la maison de vacances.
3. Greystones (1938)
Changement d’époque, changement d’écriture. L’architecte Michel Roux-Spitz conçoit sa propre villa comme un paquebot de pierre épuré et puissant : grands vitrages, porte-à-faux, hublots. On y lit l’entre-deux-guerres, un regard plus moderne sur l’espace, le mobilier, la lumière.
Artistes et villégiature : une histoire d’images
L’été 1922, Pablo Picasso s’installe à la villa Beauregard, près du Grand Hôtel. Il dessine, peint les plages et les baigneuses. Ses carnets et toiles garderont la trace de Dinard dans ces années où la station attire tout un monde artistique et mondain. Ce passage nourrit encore aujourd’hui les visites guidées et les itinéraires “sur les pas des peintres”. La villa devient ainsi un jalon de la mémoire culturelle de la ville.
Règles du jeu : protéger, habiter, transformer
Dinard a reçu le label “Ville d’art et d’histoire” en 2003. En 2023, la commune a mis à jour son site patrimonial remarquable (SPR), qui reprend et modernise les périmètres de protection antérieurs (ancienne ZPPAUP/AVAP). Concrètement, les travaux visibles depuis l’espace public sont encadrés. Vous constatez ce souci de cohérence dans la manière d’entretenir toitures, menuiseries, garde-corps.
Les Architectes des Bâtiments de France (ABF) instruisent les projets en zone protégée et aux abords des monuments historiques. Leur rôle porte d’abord sur l’insertion dans le site, les matériaux, les teintes, les volumes. Les intérieurs sont en général plus libres, sauf cas de protection spécifique. La formule qu’on entend souvent “fidélité dehors, liberté dedans” résume assez bien l’esprit des décisions locales.
Comment lire une façade à Dinard
Quand vous longez une villa, regardez d’abord l’orientation : elle cherche la vue sur la mer. Les projections vitrées, les balcons et terrasses serrent la perspective. Repérez ensuite la composition : modules qui avancent et reculent, escaliers extérieurs, entrée parfois latérale, et ces grands toits d’ardoise qui découpent le ciel. Enfin, prêtez attention aux détails : garde-corps en fonte, céramiques à motifs marins, menuiseries fines. Ces indices suffisent pour distinguer une maison de villégiature.
Itinéraires et points de vue
Pour vous faire votre propre lecture, trois promenades existent :
- La pointe du Moulinet : panorama sur l’estuaire, succession de villas historiques, escaliers discrets vers l’eau. Les brochures locales évoquent l’histoire du lieu et de ses “châteaux de bord de mer”.
- La pointe de la Malouine : approche de Roches-Brunes et de ses voisines ; falaises et murets encadrent la marche. Des visites permettent d’entrer à la villa selon la programmation culturelle.
- Saint-Énogat : berceau de la station balnéaire de Dinard, on y perçoit encore l’échelle du village et le passage vers la villégiature. Les fiches de parcours recensent des maisons repères et les détails à ne pas manquer : belvédères, fenêtres à guillotine, bow-windows.
Gardez en tête que quasiment toutes les villas de Dinard sont des espaces privés. Les sentiers côtiers autorisent déjà une lecture généreuse des façades, sans franchir les portails.
Aujourd’hui : préserver et transmettre
La ville publie régulièrement des documents pour accompagner les habitants et les visiteurs : dossiers patrimoniaux, circuits de découverte, informations sur le SPR. Vous y trouverez la logique qui guide les interventions : tenir compte du site, dialoguer avec les ABF, garder une continuité visuelle dans les quartiers historiques. C’est ce cadre qui explique la qualité perçue quand vous marchez de la Malouine au Moulinet. Ces outils pédagogiques renforcent le lien entre patrimoine et vie quotidienne.
Et la vie continue dans ces maisons. Certaines changent d’usage, comme Castelbrac passé de villa à aquarium puis à hôtel. D’autres s’ouvrent ponctuellement, comme Roches-Brunes devenue lieu d’expositions. D’autres restent familiales, habitées à l’année ou à la belle saison. L’ensemble dessine un paysage unique, où l’architecture sert autant à regarder la mer qu’à partager un art de vivre.
Repères chronologiques (pour situer)
1852 : arrivée des Faber ; débuts de la villégiature à la pointe du Moulinet.
1858 : premières villas de mer au Moulinet (Coppinger).
1859 : établissement de bains sur la plage de l’Écluse.
1866–1867 : montée en gamme de l’Écluse ; premières courses sur la plage.
1893–1896 : construction de Roches-Brunes (A. Angier).
1935 : aquarium et musée de la mer installés à Bric-à-Brac.
2003 : label Ville d’art et d’histoire.
2023 : nouveau site patrimonial remarquable.
Pour préparer votre balade
- Téléchargez les circuits de découverte de l’office de tourisme : les plans aident à repérer les villas majeures et les bonnes perspectives. Ils vous guident aussi sur les chemins.
- Visez la fin d’après-midi : la lumière modèle les façades côté mer.
- Lisez les plaques et les notices quand elles existent (il y en a peu hélas, c’est dommage); elles éclairent un détail d’architecte, un propriétaire, une date.
- N’hésitez pas à visiter la villa Roches-Brunes quand elle est ouverte, en fonction de l’événement culturel proposé, puis prolongez par la Malouine et le Moulinet.
Si vous aimez comprendre une ville par ses maisons, Dinard offre un terrain d’observation rare : une station née du bain, une culture de la vue et du confort saisonnier, et un soin réel porté aux façades qui bordent la mer. Chaque promenade devient alors une leçon d’architecture à ciel ouvert.