Torre de David : ruine verticale et miroir de Caracas au Venezuela

Au cœur de Caracas, une silhouette de béton brut perce l’horizon : la Torre de David, nom donné au Centro Financiero Confinanzas. Imaginée au tournant des années 1990 comme vitrine d’un quartier d’affaires flambant neuf, elle s’est figée en cours de route, victime de la crise bancaire de 1994. L’édifice inachevé a ensuite connu une destinée hors norme : occupé par des milliers de personnes entre 2007 et 2014, puis vidé, endommagé par le séisme d’août 2018, il est aujourd’hui vide d’occupation massive documentée. À travers cette tour, c’est l’histoire urbaine récente du Venezuela que l’on lit en coupe : ambitions déçues, débrouille habitante, puis grande incertitude sur l’avenir d’un géant fragilisé.

Une tour née d’une ambition financière interrompue

Le projet du Centro Financiero Confinanzas devait aligner des bureaux haut de gamme, un hôtel et apart-hotel autour d’un atrium connecté à l’avenue Andrés Bello. La tour principale culmine à environ 171 mètres pour 45 niveaux, avec de vastes plateaux pensés pour la flexibilité tertiaire.

La mort du promoteur J. David Brillembourg en 1993, puis la crise bancaire de 1994, enrayent brutalement la machine : le chantier s’arrête, les réseaux ne sont pas finalisés, l’enveloppe est incomplète. Dans les années 2000, malgré quelques tentatives de cession, l’ensemble est une carcasse au cœur de la capitale. Cette genèse contrariée explique la nature même du “monstre” architectural : une structure dimensionnée comme pôle financier, jamais livrée, déjà obsolète au moment où la ville change d’ère.

tour de David abandonnée

De chantier abandonné à ville verticale informelle

À partir de 2007, la pénurie de logements et la vacance du bâtiment entraînent une occupation spontanée. Des centaines de familles configurent alors une véritable “ville intérieure” : circulation par les escaliers et rampes de parking, cloisonnements légers, commerces de proximité, lieux de culte et sociabilités de palier. Cette appropriation a été abondamment documentée par des photographes et par l’équipe d’Urban-Think Tank, qui y ont étudié la manière dont un squelette de gratte-ciel pouvait accueillir des routines domestiques, des micro-économies et une entraide structurée.

La presse internationale popularise l’image, discutable mais parlante, de “bidonville vertical”. Ce basculement fait de la tour un cas-école : comment un artefact de la finance devient, par collision avec la crise sociale, un support d’habitat, malgré l’absence d’ascenseurs, de garde-corps ou de réseaux.

Fin du squat massif : évacuation et fermeture progressive

L’été 2014 marque un tournant. Les autorités engagent une opération de relogement des squatteurs vers des logements sociaux hors du centre, transférant progressivement les familles.

L’évacuation s’effectue par vagues, jusqu’à la fermeture des niveaux supérieurs, et s’achève l’année suivante selon plusieurs sources concordantes. Cette séquence met fin à près d’une décennie d’occupation, sans que l’édifice ne trouve pour autant une nouvelle vocation.

En août 2022, un groupe tente brièvement de réinvestir la tour ; la médiation des autorités obtient le retrait dans la journée. Depuis, aucune ré-occupation durable et à grande échelle n’a été attestée publiquement : la Torre de David n’est plus “squattée” au sens où elle l’a été entre 2007 et 2014.

intérieur tour david caracas

Une structure fragile mais toujours debout

Le 21 août 2018, un séisme majeur ressenti dans la ville de Caracas affecte la tête de la tour. Les cinq derniers niveaux se mettent à pencher d’environ 25 degrés d’après les premières évaluations relayées par la presse locale ; les services de protection civile indiquent alors l’absence de risque immédiat d’effondrement, mais l’épisode dégrade encore la perspective d’une réhabilitation rapide.

Outre cette déformation en tête, trois décennies d’inachèvement et d’usages informels ont laissé leur empreinte : corrosion localisée, réseaux techniques à reconstruire, enveloppe à reprendre, absence d’ascenseurs et de protections en façade. Toute intervention devrait combiner renforcement structurel, remise aux normes parasismiques, recomposition des plateaux et refonte des circulations verticales. La tour tient, mais le coût de sa remise à niveau est désormais une donnée centrale du débat.

torre de David à Caracas

Réhabiliter ou démolir ? Un dilemme urbain et politique

Depuis l’évacuation, plusieurs scénarios circulent périodiquement : reconversion tertiaire, transformation résidentielle, équipements publics, voire démolition contrôlée. Aucun n’a abouti publiquement.

La question n’est pas uniquement financière, elle est aussi typologique. Convertir un squelette de bureaux en logements suppose de redessiner l’enveloppe, de multiplier gaines et trémies, d’assurer des hauteurs libres, des apports de lumière et des issues de secours compatibles avec un usage résidentiel.

À l’inverse, une relance tertiaire exigerait des standards techniques et énergétiques contemporains, difficilement conciliables avec l’état actuel du gros œuvre. S’y ajoute un enjeu d’image : la Torre de David est devenue un symbole mondial, documenté par des ouvrages et des expositions ; tout projet devra composer avec ce capital narratif, avec les mémoires des anciens habitants et avec la perception d’un quartier longtemps stigmatisé. L’immeuble reste inachevé et sans affectation pérenne, suspendu entre coût d’opportunité et valeur patrimoniale d’une ruine contemporaine.

intérieur torre de David à Caracas

Conclusion

La Torre de David est un révélateur puissant. Elle condense l’élan des années 1990, la rupture de 1994, l’inventivité des habitants face au manque, puis l’après 2014, fait d’attentisme et d’endommagements.

Pour Caracas, l’enjeu dépasse l’icône : il s’agit de savoir si cette masse de béton peut redevenir un morceau de ville actif, ou si elle doit céder place à autre chose. Pour vous, lecteur et lectrice, la tour éclaire une question universelle : que faire, au XXIe siècle, de ces géants en friche qui ponctuent nos métropoles ? Entre utopie brisée et laboratoire urbain, la tour demeure un miroir tendu à la ville.

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