Située à une vingtaine de kilomètres à l’est de Kaunas, sur la rive nord du réservoir du même nom, Rumšiškės est une petite ville de Lituanie centrale qui abrite l’un des plus grands musées ethnographiques d’Europe : le Musée en plein air de Rumšiškės. Créé en 1966 et ouvert officiellement en 1974, cet espace muséal de 175 hectares retrace avec précision l’évolution des modes de vie ruraux lituaniens du XVIIIᵉ au début du XXᵉ siècle. Selon le ministère lituanien de la Culture, il rassemble plus de 90 820 objets ethnographiques et 140 bâtiments traditionnels déplacés, restaurés et installés.
Un musée ethnographique majeur en Europe
À l’image de Skansen en Suède ou de Maihaugen en Norvège, le musée de Rumšiškės appartient à la grande tradition des musées ethnographiques d’Europe du Nord. La démarche fondatrice était claire : préserver un mode de vie rural menacé par l’industrialisation et l’urbanisation soviétique. Classé comme institution culturelle d’importance nationale par la République de Lituanie, ce musée joue aujourd’hui un rôle central dans la sauvegarde et la transmission du patrimoine vernaculaire balte.
Chaque bâtiment a été démonté dans sa région d’origine, transporté et remonté à Rumšiškės en respectant les techniques traditionnelles : charpente bois à tenons et mortaises, assemblages chevillés, isolation par torchis, bardages horizontaux ou verticaux selon les régions.


Les régions ethnographiques représentées
Le musée est organisé en quatre secteurs géographiques, correspondant aux grandes régions ethnographiques du pays, chacune présentant ses variantes architecturales et ses usages domestiques.
Région | Style architectural | Particularités |
---|---|---|
Aukštaitija (Haute Lituanie) | Maisons longues, toits en bardeaux, planches horizontales | Maisons souvent sans peinture, bois laissé naturel |
Samogitie (Žemaitija) | Volumes massifs, orientation autour d’une cour fermée | Fermes compactes adaptées au climat humide |
Dzūkija (Sud-Est) | Petites maisons en rondins | Usage intensif du bois de pin et de bouleau |
Suvalkija | Architecture plus ordonnée, fermes rationalisées | Influence de l’agriculture de réforme au XIXᵉ siècle |
Typologie des maisons rurales lituaniennes
L’architecture rurale lituanienne repose sur une tradition constructive pragmatique, façonnée par le bois, le climat et l’organisation sociale paysanne. À Rumšiškės, elle apparaît dans sa diversité régionale mais conserve partout les mêmes fondements techniques, transmis de génération en génération.
Plans et volumes
Les maisons sont généralement de plain-pied, construites en bois massif (troncs ou madriers empilés). Elles adoptent le plus souvent un plan rectangulaire allongé avec deux zones principales : la taverna (pièce principale chauffée à la grande cheminée) et la seklyčia (pièce d’apparat utilisée pour les fêtes, mariages ou offices religieux domestiques). Les combles sont rarement aménagés et servent de grenier pour le stockage des réserves. Selon les régions, une troisième pièce peut s’ajouter, utilisée comme atelier ou chambre saisonnière. Cette organisation se retrouve également dans les maisons en bois de Kaunas, héritières du même modèle rural avant leur adaptation aux besoins urbains au XIXᵉ siècle.
Charpentes et toitures
Les toitures à forte pente répondent au climat continental. Elles sont couvertes soit en chaume de seigle, soit en bardeaux de bois (gontes). Les charpentes sont montées sans clous, selon les techniques artisanales traditionnelles de charpente balte. Cette technique d’assemblage, fondée sur les tenons, mortaises et chevilles en bois, permettait de démonter et réparer facilement une ferme endommagée, tout en garantissant une bonne résistance mécanique. Le traitement naturel du bois par fumage, lin ou goudron végétal augmentait la durabilité des pannes et chevrons. Par ailleurs, la forte saillie des avant-toits protégeait les façades de la pluie battante et créait un espace abrité pour le travail extérieur.
Décors et expressions symboliques
Le bois est décoré de motifs géométriques et solaires. Les linteaux sculptés et les poteaux d’angle sont parfois ornés de signes païens hérités de la mythologie balte : saule cosmique, soleil, spirales de vie, protection contre le mauvais œil. Ces ornements remplissent une fonction esthétique et apotropaïque, destinés à éloigner les influences négatives. Ils témoignent de la persistance de croyances préchrétiennes dans les campagnes lituaniennes bien après l’adoption officielle du catholicisme au XIVᵉ siècle.

Intérieurs : une vie simple et fonctionnelle
Les intérieurs ont été reconstitués à l’identique grâce à des inventaires ethnographiques minutieux réalisés entre 1957 et 1970 par des chercheurs et artisans locaux. On y retrouve notamment :
- Poêles maçonnés servant à la fois au chauffage et à la cuisson
- Banquettes et lits en bois intégrés aux parois
- Meubles peints dans des tons ocre, bleu ou vert
- Tissus traditionnels en laine et lin tissés à la main
- Objets agricoles et ustensiles exposés en situation
Ces intérieurs témoignent d’un mode de vie autarcique, rythmé par l’agriculture saisonnière et les rites villageois. La maison était à la fois un foyer, un atelier et également un espace rituel.

Le secteur de l’exil et de la résistance
Une zone du musée est dédiée à une période tragique de l’histoire lituanienne : les déportations en Sibérie orchestrées par le régime soviétique entre 1941 et 1952. Cette section inclut :
- Une zemlianka, habitation semi-enterrée typique des camps de Sibérie
- Un wagon à bétail identique à ceux utilisés pour la déportation
- Un bunker partisan reconstitué, hommage aux résistants lituaniens de la forêt
Cette partie du musée est reconnue comme lieu de mémoire nationale par le Centre de recherche sur le génocide et la résistance lituaniens. Elle rappelle la répression politique subie par des milliers de familles entre 1941 et 1952. Elle souligne aussi le rôle des partisans lituaniens qui ont poursuivi la lutte armée jusque dans les années 1950. Un travail de transmission y est mené auprès des jeunes générations.








Une mise en scène du paysage
Ce musée en plein air reconstitue un paysage rural complet, avec routes, jardins potagers, vergers, puits, moulins et même une église en bois déplacée depuis l’Aukštaitija. L’ensemble illustre l’organisation spatiale traditionnelle des campagnes baltes : un rapport étroit entre habitat et nature.
Rumšiškės est une mémoire lituanienne et un laboratoire des maisons en bois de Lituanie. Par la fidélité de ses reconstitutions et la rigueur de ses sources ethnographiques, il constitue une référence majeure en Europe de l’Est pour la conservation du patrimoine rural. Pour toute personne intéressée par l’architecture traditionnelle, la culture balte ou l’histoire sociale de la Lituanie, une visite à Rumšiškės s’impose.