Asmara, la capitale de l’Erythrée, fut une colonie italienne entre 1890 et 1941. La ville était peuplée par une grande communauté italienne (53 000 habitants sur 98 000 habitants en 1939), les bâtiments et les maisons d’Asmara sont un mélange unique de modernisme italien et de style érythréen.
Le centre-ville a été reconstruit dans des styles différents pendant les décennies coloniales : néo-romanesque, art déco, cubisme et néo-baroque, entre autres. Cette ville moderniste en Afrique était aussi un rêve de Benito Mussolini, parce qu’il croyait qu’elle deviendrait la capitale du Second Empire romain.
L’occupation italienne et la création d’Asmara
En 1889, l’Italie colonise l’Érythrée, choisissant Asmara comme capitale en 1895 après avoir fusionné quatre villages. Cette décision n’était pas que stratégique mais climatique, car les hautes terres offraient un climat plus doux. À cette époque, l’Italie souffrait de pauvreté, notamment dans le sud, et nombre de ses citoyens émigraient vers les Amériques. En réponse, le gouvernement italien proposa l’Érythrée comme terre d’opportunités pour les Italiens démunis. Ce projet colonial visait à créer une « nouvelle Italie » en Afrique, marquée par une architecture moderne et des plans urbains imposants.
Planification urbaine : une ville à l’image de l’Italie
L’urbanisme d’Asmara, conçu par Odoardo Cavagnari en 1916, reflète une approche méthodique et autoritaire. La ville est divisée en zones selon des critères raciaux, séparant Européens, Arabes, Juifs, et Érythréens. Cette division était aussi architecturale : les bâtiments italiens étaient grandioses et modernes, tandis que les habitations locales étaient perçues comme des symboles de pauvreté. L’expansion d’Asmara effaça les anciennes constructions pour laisser place à un nouveau modèle européen.
Les maisons coloniales italiennes : symbole de pouvoir
Les maisons coloniales italiennes d’Asmara, construites principalement dans les années 1920 et 1930, incarnent le projet italien de domination culturelle et politique. Influencées par les styles néoclassique, Novecento et le mouvement rationaliste, elles allient grandeur, fonctionnalité et modernité. Ces maisons, généralement réservées aux européens, se caractérisent par des lignes géométriques simples, des façades imposantes et l’utilisation de matériaux modernes comme le béton armé.
L’une des plus emblématiques est le Fiat Tagliero, une station-service futuriste conçue par Giuseppe Pettazzi en 1938. Avec ses ailes en béton de 30 mètres de long, ce bâtiment est un hommage à l’aviation italienne et un symbole de la puissance technologique du régime fasciste. D’autres bâtiments, comme le Teatro Asmara, conçu par Cavagnari en 1919, illustrent un style romano-renaissance, avec des arcs romains et des colonnes ioniques, soulignant le lien étroit entre architecture et propagande fasciste. Soulignons aussi l’hôtel Albergo Italia : c’était le meilleur de la ville quand il a ouvert en 1899
Rôle de l’architecture coloniale dans l’identité d’Asmara
Après la défaite de Mussolini et la fin de la domination italienne en 1941, Asmara est passée sous administration britannique puis annexée par l’Éthiopie. Cependant, les bâtiments coloniaux italiens n’ont pas été détruits ; au contraire, ils ont été réutilisés par le gouvernement érythréen après l’indépendance en 1991. Le ministère de la Santé, par exemple, occupe aujourd’hui l’ancien siège de la police coloniale, tandis que l’ancien quartier général fasciste est devenu le ministère de l’Éducation.
Cette réappropriation témoigne d’une volonté de transformer un passé oppressif en un présent libérateur. Les Érythréens ont adapté ces structures à leurs besoins, et bien que l’architecture fasciste ait servi de symbole de répression, elle fait désormais partie de l’identité nationale. Asmara, souvent qualifiée de ville moderniste africaine, a su intégrer ces éléments architecturaux à son propre patrimoine.
Un patrimoine en danger : les défis de la conservation
En 2017, Asmara a été inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, notamment pour son architecture moderniste. Cependant, nombre des bâtiments souffrent d’un manque d’entretien en raison de ressources limitées et de l’absence de directives claires. Le projet de réhabilitation des biens culturels d’Asmara, lancé en 1999, tente de préserver ce patrimoine, avec l’aide de partenaires internationaux.
Un aspect problématique réside dans l’accent mis sur l’architecture coloniale italienne, au détriment du patrimoine vernaculaire érythréen. Alors que les bâtiments coloniaux bénéficient d’une attention particulière, les habitations traditionnelles érythréennes, notamment dans le quartier d’Abashawl, sont souvent négligées. Cette situation reflète une dichotomie entre le patrimoine imposé par l’Italie et l’héritage local, plus modeste mais tout aussi significatif pour les Érythréens.
L’héritage de la colonisation : une ville transformée
Asmara, avec ses bâtiments coloniaux, ses larges avenues et ses places, témoigne d’une époque où l’Italie tentait d’imposer sa vision du monde en Afrique. Cependant, l’architecture d’Asmara a évolué bien au-delà des intentions coloniales. Ce qui était autrefois un symbole de domination est aujourd’hui une partie intégrante de la vie quotidienne des Asmarinos. Les bâtiments, bien que marqués par leur histoire coloniale, sont devenus des lieux de rassemblement, d’administration et de culture.
Asmara est un exemple de la manière dont l’architecture peut transcender ses origines pour devenir un symbole d’identité nationale. Les maisons coloniales italiennes, autrefois réservées à une élite européenne, sont maintenant des témoins de l’histoire complexe de la ville. Leur préservation, toutefois, doit être nuancée par une prise en compte de l’héritage vernaculaire et des récits locaux.
Les maisons coloniales italiennes d’Asmara sont bien plus que de simples vestiges d’une époque révolue. Elles racontent l’histoire d’une ville façonnée par la colonisation, mais aussi par la résilience et la créativité de ses habitants. Asmara continue d’évoluer, entre passé colonial et présent indépendant, et son patrimoine architectural, bien que complexe, reste un pilier de son identité.