Parmi les exemples survivants de l’architecture indigène au Chili, celui des Mapuche est peut-être le plus connu et c’est la maison (ou ruka) qui est l’élément architectural le plus représentatif du monde Mapuche. Dans la vision du monde Mapuche, il existe le concept intrinsèque de Az Mapu, ou comment les choses doivent être faites pour maintenir l’équilibre entre l’homme et la terre. Ce concept conduit à des règles claires et des directives pour tous les aspects de la vie quotidienne, y compris bien évidemment l’emplacement, l’orientation et la conception de la ruka traditionnelle.
La forme circulaire est un élément récurrent dans l’architecture Mapuche. Elle représente l’ovaire, le premier habitat de l’homme; la ruka, la maison de l’homme; l’espace sacré mapuche et le cosmos. Le concept de temporalité est toujours présent dans la vision du monde Mapuche. Tout est gouverné par le changement cyclique; jour et nuit; vie et mort; et rotation des saisons. Ce caractère temporel peut être clairement vu dans les matériaux et la construction de la ruka et la vie Mapuche qui favorise la notion « d’empreinte écologique », un concept aussi préconisé par la théorie de la durabilité actuelle.
Une première version de la ruka (ou ruca) était la ruka encolihuada. La ruka encolihuada consistait en une structure conique construite autour d’un poteau vertical central. Aujourd’hui, la ruka est un espace clos ovale ou rectangulaire, traditionnellement sans subdivisions intérieures. En général l’enceinte n’a qu’une seule entrée qui doit faire face à l’est vers le soleil levant et la première énergie de la journée.
Le mot pour la porte en Mapundungún, la langue des Mapuche, est wülngin ce qui signifie « où l’homme entre et sort » et « où le soleil entre ». Les seules autres ouvertures sont des ouvertures triangulaires sous la poutre faîtière orientée est et ouest, ces trous permettent à la fumée de s’échapper et fournissent des gîtes pour les poulets. Dans la majeure partie du centre et du sud du Chili, les vents dominants viennent du sud et du nord en hiver. L’orientation de la porte et des ouvertures offre donc une protection contre ces vents.
Historiquement, il n’était pas nécessaire de fermer l’ouverture de la porte, car les vols n’existaient pas et les portes qui se fermaient n’ont été introduites qu’avec l’arrivée des Espagnols. L’objectif de la ruka est le foyer ouvert, un lieu de rassemblement, de conversation, de travail, de cuisine et la seule source de chaleur dans le logement. Il n’y a pas de cheminée et la fumée monte, en sortant par les ouvertures de toit décrites précédemment. La fumée et la suie imprègnent à la fois le bois et le chaume, jouant un rôle fondamental dans la préservation des matériaux de construction.
Variations de l’architecture Mapuche et de la ruka
Chaque branche du peuple Mapuche a développé ses propres variations de la ruka. La forme et les matériaux s’adaptent en fonction des matériaux disponibles localement et du climat dans lequel se situe la ruka. Les rukas des différentes branches Mapuche :
Les Picunche (gens du Nord) construisent des rukas rectangulaires ou ovales avec des toits de chaume et introduisent une masse thermique dans les murs sous la forme de torchis (quincha : système de construction qui utilise fondamentalement le bois et la canne ou le roseau géant formant un cadre antisismique recouvert de boue et de plâtre) afin de contrôler l’oscillation thermique diurne élevée et les hautes températures diurnes.
Les Lafkencheb (gens de la mer) utilisent les roseaux qui poussent dans les zones humides côtières pour la toiture des toits et des murs, tandis que les Nagche (peuple des plaines) et les Williche (peuple du Sud) utilisent le chaume seulement pour le toit et utilisent le bois plus abondant pour les murs, avec les Nagche favorisant les poteaux et les planches verticaux, tandis que les Williche les placent plutôt de façon horizontale.
La ruka des Pehuenche (peuple des Pehuen, fruit de l’Araucaria) est la plus différente avec ses murs et son toit de rondins évidés ou wampos. Cette construction massive résiste aux charges de neige imposées par sa localisation dans les contreforts des Andes.
Bien qu’il existe à ce jour la tradition de construire des rukas traditionnels, il est actuellement extrêmement rare de trouver une ruka continuellement habitée. En général, les rukas sont maintenant réservés pour des événements spéciaux, pour des réunions de famille et pour offrir un hébergement touristique.
Matériaux et construction de la ruka
En accord avec le concept Mapuche de la temporalité, tous les types de ruka sont éphémères, faites de matériaux naturels, biodégradables, avec peu d’élaboration. La construction se déroule comme une tâche commune dans laquelle le propriétaire invite le reste de la communauté à participer. Après l’achèvement de la structure principale, le propriétaire offre aux travailleurs un repas avec de la viande, du pain et du mudai ou de la chicha, une boisson alcoolisée à base de blé fermenté, de maïs, de pommes ou de pignons. De nouveau après l’achèvement du chaume, un autre repas est offert. Il semble que le temps imparti entre l’achèvement de la structure et le chaume dépend davantage du temps nécessaire pour préparer suffisamment de viande et de chicha, plutôt que celui requis par les travaux de chaume. La structure primaire est formée avec des troncs d’arbres. Des troncs fourchus ou taras forment des poteaux verticaux supportant des poutres horizontales aboutissant à la poutre faîtière ou kuikuipani.
Sauf pour la ruka Pehuenche, cette structure primaire supporte une structure secondaire de troncs et de branches plus minces qui est à son tour couverte de chaume de ratonera (Hierochloe utriculata), de carex (Schoenoplectus californicus) ou de drageons d’arbres. Les maisons les plus traditionnelles sont recouvertes d’une épaisse couche de chaume qui constitue une protection extraordinaire contre les pluies et une isolation thermique imbattable. Le chaume est placé en commençant par le bas, en travaillant vers le haut de sorte que la deuxième rangée chevauche et couvre la majeure partie de la première. Deux hommes, l’un à l’intérieur, l’autre à l’extérieur, passent une aiguille de bambou des incas (Chusquea culeou) enfilée avec la tige d’un campsidium valdivianum (plante indigène du chili) entre le chaume, ainsi le campsidium valdivianum passe au-dessus et en dessous de deux barres horizontales qui compriment le chaume.
Dans le cas de la ruka des Pehuenche, au lieu du chaume, on utilise des rondins droits et évidés sous la forme de grandes tuiles, alternativement convexes et concaves, formant à la fois l’enceinte horizontale et verticale de la ruka. Lorsqu’ils sont bien construits, ces wampos empêchent la pénétration de la pluie, et si des trous apparaissent, ceux-ci sont remplis par de plus petits bois ou bambou des incas (Chusquea culeou), un bambou local. Un support solide est sculpté dans les bases des wampos de toit pour fournir une connexion mécanique avec les poutres de toit horizontales.
Les sols des rukas sont faits de terre compacte nue sans finition supplémentaire. Cela fournit une masse thermique suffisante pour atténuer les fortes oscillations thermiques diurnes estivales. Tant dans les rukas Lafkenche que dans les Pehuenche, les matériaux utilisés sont dictés par ceux disponibles localement. Les roseaux pour le chaume poussent dans les lacs côtiers et les zones humides, le bois pour les wampos dans les forêts pluviales tempérées des contreforts andins. Ces matériaux sont donc non seulement à faible teneur en carbone dans leur production mais nécessitent également peu d’énergie et d’émissions de carbone dans leur transport vers le site. Cette intimité entre la production et l’usage favorise une conscience de l’environnement naturel non trouvé dans la société contemporaine.
Construction d’une ruka en image
Voici la construction en image d’une ruka réalisée par le musée Mapuche de Cañete.
D’autres photographies de rukas du peuple Mapuche
Source et crédits photos : orca, wikipedia, comunidadecologicapenalolen, minube, fau.uchile, laderasur, interpatagonia, Lucia Abello, Sandra Rivera, Omar, Alvaro, Pablo Ignacio, Corporación Nacional de Desarrollo Indígena CONADI, Leon Calquin, Gonzalo Orellana Hidalgo, Pablo Azua, Sernatur, sumak-travel, Raul Urzua, Tullo, Pablo Trincado.