En plein cœur de Chongqing, des tours crénelées surgissent entre les immeubles modernes. À première vue, on pourrait croire à un décor de cinéma ou à un parc à thème. Pourtant, il s’agit bien de véritables résidences inspirées des châteaux français, allemands ou britanniques. Le promoteur de ce projet hors norme ? Liu Chonghua, un ancien professeur devenu entrepreneur à succès. Ce millionnaire chinois ne se contente pas de construire des maisons : il érige littéralement des forteresses.
Un parcours atypique, une ambition démesurée
Liu Chonghua ne sort pas des grandes écoles d’architecture ni des rangs du BTP. C’est par le biais de l’industrie alimentaire qu’il bâtit sa fortune, notamment dans la production de pâtisseries.
Une réussite commerciale qui lui permet, dans les années 2000, de se lancer dans un rêve personnel : construire son propre château, dans les hauteurs de Chongqing. Ce premier édifice, inspiré des châteaux de la Loire, suscite la curiosité. Très vite, d’autres suivront. Avec une précision presque maniaque, Liu copie les formes, les toitures, les moulures, les balustrades et les tourelles des constructions européennes. Sa démarche n’a rien de touristique ou d’éphémère. Ces châteaux sont conçus pour être habités.

L’architecture européenne revisitée à la chinoise
Les bâtisses de Liu Chonghua reprennent les canons du style néogothique, baroque ou Renaissance. Elles arborent des façades en pierre reconstituée, des toits d’ardoise synthétique et des fenêtres à meneaux. Chaque château possède sa propre identité : l’un s’inspire de Chambord, un autre évoque Neuschwanstein, tandis qu’un troisième affiche des airs de manoir victorien.
Cependant, ces constructions ne sont pas de simples copies. Elles sont adaptées aux contraintes climatiques et aux usages chinois. Les matériaux locaux sont privilégiés. L’isolation thermique est renforcée pour répondre aux étés humides et aux hivers rudes de Chongqing. L’organisation intérieure aussi est pensée différemment : les grands salons européens laissent place à des pièces plus cloisonnées, et la cuisine, habituellement secondaire dans un château, est ici vaste et centrale.


Une réponse à une demande haut de gamme
À travers ses châteaux, Liu Chonghua propose une alternative à l’architecture résidentielle standardisée que l’on retrouve dans de nombreuses villes chinoises. Les acheteurs visés ? Une clientèle locale aisée, en quête de prestige et de singularité. Pour ces familles, habiter dans un château européen devient un symbole de réussite sociale, mais également un choix esthétique fort.
Chaque bien est vendu clé en main, avec un soin particulier apporté aux détails : planchers en bois massif, rampes d’escalier forgées à la main, moulures plâtrées, cheminées monumentales. L’objectif est clair : créer un environnement inspiré de l’aristocratie européenne tout en assurant le confort moderne.

Entre patrimoine fantasmé et réalité immobilière
Le phénomène ne manque pas de faire débat. Certains saluent l’audace architecturale et la liberté de création. D’autres y voient un pastiche maladroit ou une nostalgie déplacée. D’un point de vue technique, les châteaux de Liu Chonghua n’obéissent à aucune règle patrimoniale stricte. Ce ne sont pas des monuments historiques restaurés, mais des constructions neuves inspirées du passé.
Cependant, il faut reconnaître le travail d’adaptation réalisé. Chaque château est construit sur une structure en béton armé, avec des fondations dimensionnées pour supporter les charges spécifiques des tours et des balcons. L’ensemble est conforme aux normes antisismiques locales. Les toitures, visuellement proches des originales, utilisent des matériaux légers et durables pour faciliter l’entretien.

Des projets au service d’une vision personnelle
Liu Chonghua ne construit pas uniquement pour vendre. Il réside lui-même dans l’un de ses châteaux, au sommet d’une colline boisée. Il y reçoit ses visiteurs, organise des expositions et des concerts. L’intérieur mêle meubles européens anciens et créations locales, dans une atmosphère singulière.
Ce choix de vie reflète une quête personnelle de beauté et de stabilité. Pour lui, ces châteaux représentent un monde rêvé, loin de la verticalité impersonnelle des grandes tours. Ils incarnent une forme de refuge, de retour à un art de vivre centré sur le calme, l’élégance et la distinction.

Une empreinte durable sur le paysage urbain
Avec plus de dix châteaux construits ou en cours de construction, Liu Chonghua a laissé une trace durable dans le paysage urbain de Chongqing. Ses réalisations intriguent, attirent les regards, mais ouvrent aussi le débat sur le droit à une architecture d’inspiration étrangère dans un pays aux traditions si riches.
Cette tendance s’inscrit dans une dynamique plus large observée en Chine : la montée d’une architecture personnalisée, parfois théâtrale, souvent luxueuse, qui répond à une volonté d’expression individuelle. Le château, ici, devient un marqueur social autant qu’un choix esthétique.

Ce que cela dit de l’immobilier chinois
Ce phénomène met en lumière l’évolution des attentes dans le secteur immobilier chinois. Le modèle uniforme des grands ensembles ne suffit plus. Une partie des acheteurs souhaite aujourd’hui des logements de caractère, avec une histoire, même fictive. L’architecture devient un vecteur d’émotion, une manière de se distinguer dans un marché saturé de copies et de maisons traditionnelles chinoises.
Pour les professionnels de l’immobilier en France, ces projets offrent un éclairage intéressant. Ils montrent que la quête d’unicité et de qualité traverse les frontières. Ils rappellent aussi que les styles traditionnels, loin d’être dépassés, peuvent être réinterprétés de manière créative et contemporaine.

Un défi technique autant qu’artistique
Construire un château, même en béton, demande une maîtrise technique. Les éléments décoratifs doivent être solides et durables. La symétrie des façades, la justesse des volumes, la finition des menuiseries exigent un savoir-faire que Liu Chonghua a su réunir autour de lui. Son équipe compte des artisans spécialisés, des ingénieurs structure, des décorateurs d’intérieur et des techniciens du bâtiment.
Chaque chantier mobilise des compétences rares : sculpture sur pierre, serrurerie d’art, vitraux, faux plafonds peints à la main. Ce niveau d’exigence est une réponse aux critiques qui accusent ces projets de n’être que du « kitsch ». Sur place, les constructions sont loin d’être approximatives.
Conclusion : le château comme maison possible ?
Le projet de Liu Chonghua peut sembler extravagant. Pourtant, il interroge en profondeur la manière dont on conçoit l’habitat. Et s’il était possible de vivre dans un château sans être noble, ni Européen, ni héritier ? Et si ce modèle architectural, jugé anachronique chez nous, retrouvait une pertinence ailleurs ?
En Chine, ce pari semble fonctionner. Les clients répondent présents, les chantiers s’enchaînent, et la figure de Liu Chonghua devient celle d’un bâtisseur hors norme. Une leçon à méditer pour tous ceux qui pensent que l’architecture résidentielle doit se contenter de reproduire les standards.
ils sont rapides pour construire des châteaux !