Les maisons traditionnelles de Misfat Al Abreyeen : village-oasis omanais

Misfat Al Abriyeen occupe un éperon rocheux au-dessus d’Al Hamra, au pied occidental du massif d’Al Hajar. Les maisons en pierre et terre y composent un front bâti serré, accroché aux terrasses agricoles irriguées par l’aflaj. Ici, l’architecture naît du relief, de l’eau et des matériaux du wadi. Voici pourquoi ce village figure depuis 2021 parmi les « Best Tourism Villages » reconnus par l’Organisation mondiale du tourisme, distinction qui souligne aussi un équilibre entre sauvegarde et activité locale.

Contexte géographique et urbain

Le tissu s’implante sur des vires naturelles, entre 700 et 1 000 mètres d’altitude selon les secteurs. Les ruelles étroites suivent les lignes de niveau, puis se redressent en escaliers pour rejoindre les champs en contrebas. Le noyau ancien juxtapose maisons mitoyennes, petites places d’articulation et passages couverts qui créent de l’ombre et une ventilation douce aux heures chaudes. Cette urbanisation de pente tient à la fois du site défensif et du voisinage immédiat de l’eau canalisée.

Le statut patrimonial s’est renforcé ces dernières années : un plan de développement touristique et de conservation a été piloté avec le ministère omanais du Tourisme ; il vise à maintenir l’occupation du cœur historique et à encadrer les usages. En 2021, l’OMT a inscrit Misfat Al Abriyeen sur la liste des « Best Tourism Villages », signal pour canaliser les flux et financer l’entretien des rues et maisons.

Misfat Al Abreyeen

Un village-oasis structuré par l’aflaj

L’aflaj (singulier : falaj) constitue l’ossature du paysage productif. Par gravité, l’eau chemine depuis des galeries de captage et se distribue dans des canaux ouverts qui alimentent bassins, lavoirs et terrasses plantées de dattiers, bananiers et cultures vivrières. Le système omanais des aflaj, inscrit au Patrimoine mondial en série, totalise plus de 3 000 canaux encore en fonctionnement dans le pays. Il illustre une maîtrise ancienne du partage de l’eau et des ouvrages de répartition.

À Misfat Al Abriyeen, la trame des canaux guide l’implantation des parcelles agricoles, dicte l’orientation des venelles et conditionne la position des seuils de maisons. Les ponts, saignées et petites chutes qui jalonnent la conduite accélèrent le flux ou, au contraire, le calment pour l’usage domestique. Cette hydraulique fine s’observe aussi dans la manière dont les terrasses talutées servent de socle au bâti, avec des murs de soutènement en pierre sèche liés aux réseaux d’irrigation. Les mosquées, parfois dotées de bassins d’ablution raccordés, occupent des points nodaux du maillage de l’eau.

maison en pierre à Misfat Al Abreyeen

Matériaux et mise en œuvre : pierre, terre, palmier, sarooj

Le gros œuvre emploie la pierre locale extraite des abords et hourdée à la terre. Les parties hautes et les cloisonnements reçoivent un mélange terre-paille ou des torchis de granulométrie variée. Pour les toitures, les charpentiers posent des troncs de palmier dattier et des perches, couvrent de nervures et palmes liées, puis d’un complexe terre-plâtre. Cela apporte de l’inertie et une bonne tenue hygrothermique dans le climat chaud et sec des piémonts d’Al Hajar. Les études sur l’habitat vernaculaire d’Oman confirment la capacité de ces systèmes à tempérer les écarts thermiques journaliers.

Autre liant présent dans la restauration des maisons de Misfat Al Abreyeen : le sarooj, un mortier traditionnel obtenu par calcination contrôlée d’argiles locales, doté de propriétés pouzzolaniques. La littérature scientifique récente en décrit la composition et l’intérêt pour les mortiers et enduits de réhabilitation. Les autorités publiques en encouragent l’usage dans les sites historiques et l’ont même revalorisé comme « produit patrimonial » pour les chantiers suivis par le ministère.

Enfin, les politiques d’aménagement régionales recommandent, dans les tissus anciens des monts Al Hajar, de restaurer avec des enduits terre ou sarooj, et des bois compatibles, afin d’éviter des pathologies d’adhérence et de capillarité observées avec des mortiers ciment modernes.

Morphologie du tissu : ruelles, terrasses, volumes

Le bâti forme des volumes compacts, souvent à deux ou trois niveaux, dont les façades peu ouvertes protègent des surchauffes. Les ruelles (sikkas) très resserrées projettent une ombre portée continue. Les décrochements fréquents génèrent des zones de stagnation d’air plus frais ; les passages couverts créent des « goulets » qui accélèrent brièvement le flux d’air. Les terrasses agricoles, étagées sous le village, assurent une continuité structurale : elles servent de plateforme aux sentiers, maintiennent les talus par des parements en pierre et renvoient une évaporation modérée qui adoucit le microclimat au pied des maisons. L’implantation tire parti du rocher affleurant : des murs s’y ancrent directement pour contrebuter les efforts verticaux et les sollicitations sismiques faibles mais présentes dans la région.

ruelle de Misfat Al Abreyeen

Organisation intérieure : hiérarchies d’accès et pièces

La maison traditionnelle s’ouvre rarement sur la rue. On entre par un couloir coudé qui débouche sur une cour étroite ou un vestibule servant de sas. Cette distribution filtre les vues et bloque l’ensoleillement direct. À l’étage, la pièce de réception (majlis) jouxte souvent un balcon ou une terrasse protégée par un parapet, utile au séchage des dattes. Les cuisines occupent les niveaux bas, près des réserves et des escaliers vers les jardins. Les baies, petites et profondes, reçoivent des volets en bois épais. Ce choix réduit les échanges radiatifs tout en facilitant l’obturation nocturne.

La trame poteaux-poutres en bois de palmier, complétée par des refends porteurs en pierre/terre, autorise des portées courtes. Elle simplifie les reprises ponctuelles lors de l’entretien : remplacement d’une solive, reprise d’un appui, reconstitution d’un hourdis terre-palmes. Les zones humides et les seuils profitent d’enduits plus résistants ou de l’usage local du sarooj pour limiter l’érosion par ruissellement.

Misfat Al Abreyeen

Confort d’été : ventilation, inertie, ombrage

La ventilation naturelle dans les maisons omanaises traditionnelles repose sur trois leviers : l’orientation des percements, l’effet de tirage vertical des cages d’escalier et la différence de pression générée par le relief. À l’échelle du pays, des travaux de l’Université Sultan Qaboos ont quantifié ces effets : la disposition des baies opposées, même de faible section, suffit à créer un courant d’air utile lorsque la rue est étroite et ombragée, tandis que l’inertie des parois en pierre/terre décale le pic de chaleur en soirée. Ces observations valent pour les tissus d’altitude comme Misfat Al Abriyeen.

Les toitures à couches jouent aussi un rôle : la couche végétale (palmes, nervures) sous la terre agit comme un matelas diffusant, et l’enduit supérieur limite la pénétration de la pluie. Le tout est réparable avec des ressources locales. Le rapport matériaux-climat est net : plus les épaisseurs sont fortes, plus l’écart entre température extérieure maximale et température intérieure se creuse en début d’après-midi.

ruelle à Misfat Al Abreyeen

Restaurer et réutiliser : cadre public et opérations ciblées

Depuis 2019, un projet de mise en valeur du vieux quartier, mené en partenariat public-privé, a lancé des chantiers de consolidation de portes, maisons et espaces d’accueil ; l’objectif affiché est de maintenir l’économie villageoise en protégeant les structures anciennes. La presse régionale et nationale ont rendu compte de ces étapes : lancement, réalisation puis clôture de phases, avec réaménagements, signalétique, reprise des parois en matériaux compatibles et contrôle d’accès motorisé à l’îlot ancien.

Les autorités publiques suivent encore ce dossier : l’Agence de presse omanaise a communiqué en juillet 2025 sur une réunion de coordination relative à la restauration du village, dans la wilaya d’Al Hamra. Ces points d’étape montrent un pilotage continu, utile pour la maintenance des réseaux, murs et voiries.

Le cadre réglementaire et les doctrines de restauration convergent : produire des interventions réversibles, conserver les appareils en pierre, privilégier les mortiers terre/sarooj et les bois compatibles. Un document de politique territoriale du ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme relatif à l’Al Hajar occidental rappelle ces principes et vise une cohérence des rénovations dans les villages de montagne.

À l’échelle académique, des programmes de recherche ont documenté la renaissance de villages vernaculaires de maisons traditionnelles de pierre omanaises par des initiatives locales, la gestion des usages et les risques de dénaturation lorsque les règles sont floues. Ces travaux fournissent une base critique pour calibrer les projets à Misfat Al Abriyeen, où l’attractivité touristique peut tirer la qualité constructive vers le haut si les matériaux et les profils d’ouverture sont respectés.

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