Vous arrivez par le pont et vous voyez tout de suite la ligne des façades du port de Saint-Goustan, sur la commune d’Auray. Le quai forme un coude. Les encorbellements avancent au-dessus des pas de porte. La place Saint-Sauveur ouvre la perspective. Ici, le pan de bois n’est pas un décor. C’est la mémoire d’un port actif, puis d’un port mis à l’écart, et aujourd’hui d’un quartier qui a gardé sa trame et ses maisons.
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Un port dessiné par étapes, puis bousculé par les réseaux
L’aménagement du port s’achève en 1641. On trace d’abord la place Saint-Sauveur, puis l’alignement se prolonge vers le sud avec l’actuel quai Franklin. Le cadre est posé : un front portuaire pour décharger, vendre et réparer, et des rues étroites qui montent vers la ville haute.
Au XVIIIᵉ siècle, Saint-Goustan devient l’un des premiers ports du Morbihan pour la construction navale. Charpentiers de marine, calfats, voiliers : les métiers se côtoient au ras de l’eau. Le bois descend par la rivière d’Auray. Les coques prennent forme sur les berges. Les maisons servent d’ateliers, de bureaux, de magasins. Beaucoup de familles vivent alors entre l’atelier, le quai et la maison.
Puis la courbe s’inverse. Lorient s’équipe d’un port militaire et commercial entre 1665 et 1670. Les flux se détournent. Saint-Goustan souffre aussi du manque de bonnes routes vers l’arrière-pays : on perd du temps, on perd des marchés. Au XIXᵉ siècle, le chemin de fer redistribue tout. En 1865, une nouvelle voie d’accès à Auray contourne le quartier portuaire. Saint-Goustan se retrouve en marge. Moins de bateaux, moins de fret, moins de chantiers. Le quartier entre alors dans une longue période de repli.
Ce désenclavement relatif a un effet paradoxal : le quartier conserve ses rues, ses parcelles étroites et une part de ses maisons à pans de bois. Le rythme d’intervention ralentit. On remplace moins, on répare.
 
Un tissu urbain resté lisible
Le port a gardé son infrastructure de rues. Les axes suivent la pente, sans chercher la ligne droite. Les parcelles montent depuis le quai, longues et fines. Cette géométrie a produit des maisons profondes, hautes, avec des étages qui avancent. Les encorbellements gagnent de la surface là où la parcelle n’en offre pas. Les façades dessinent ainsi un front urbain serré mais cohérent.
La rue du Petit Port concentre aujourd’hui la plus forte densité de maisons à pans de bois : neuf sur la quarantaine qui subsiste à Auray. C’est un tronçon précieux pour comprendre l’ensemble. Vous y voyez des profils variés, des reprises d’époque, et une continuité rare pour un quartier au bord de l’eau.
 
 
Des maisons médiévales et renaissantes encore présentes
Les plus anciennes maisons à ossature bois datent du XVᵉ siècle. Elles ont été assemblées par des charpentiers habiles, formés au trait et au marquage traditionnel. On les reconnaît à leurs encorbellements bien proportionnés et aux croix de Saint-André qui brident la façade. Ces croix ne sont pas un motif gratuit ou décoratif : elles stabilisent la structure contre le vent et les mouvements du sol.
Sur les travées, les sablières horizontales rythment les niveaux des maisons. Les poteaux corniers portent les charges en façade. Des écharpes obliques assurent la triangulation. Les assemblages se font à tenons, mortaises et chevilles. Rien n’est collé. Tout se démonte et se remonte si besoin.
Cette réversibilité explique en partie la longévité des bâtiments. Comme déjà mentionné, les dessins de façade ne sont pas décoratifs mais techniques. On observe parfois des motifs en brins de fougère, placés pour stabiliser une zone fragilisée. Certaines travées montrent aussi des menues croisées, un maillage fin de petites pièces de bois destiné à limiter le flambement et à mieux répartir les charges.
 
Le pan de bois, un choix de bon sens au bord de l’eau
Le pan de bois répond à trois contraintes locales :
- Matériaux disponibles : le chêne arrive par rivière. On taille sur place.
- Sol proche de la ria : on allège la façade par rapport à la pierre pleine.
- Entretien par petites touches : un bois fatigué se remplace sans démolir la maison.
Entre les pièces de structure, le remplissage varie : torchis (clayonnage + terre + chaux), parfois des pierres petites et jointées. Sur le port, on privilégie souvent un enduit à la chaux qui protège les remplissages des embruns. La base de la façade est minérale : soubassement en granit ou en schiste, seuils de pierre, angles renforcés. Le bois ne descend jamais au ras du sol, il repose sur une pierre de décharge. Cette logique constructive répond aux contraintes d’humidité du front portuaire.
 
Place Saint-Sauveur et quai Franklin
Sur la place Saint-Sauveur, les façades s’ouvrent un peu plus. Cette place sert au marché, aux rassemblements, aux manœuvres. Les maisons mêlent rez-de-chaussée massifs et étages en bois. Les vitrages ont évolué au XIXᵉ siècle, mais la trame d’origine se lit encore sur les façades.
Le quai Franklin déroule un alignement plus tendu. Ici, la façade est un outil : accès direct aux marchandises, portes plus larges, linteaux de pierre pour encaisser les chocs. Les encorbellements protègent l’entrée. Les toits en ardoise se terminent par des coyaux qui cassent la pente et rejettent l’eau loin des pans. Chaque détail sert l’usage avant la forme, avec une logique d’efficacité portuaire.
 
Rue du Petit Port : une leçon de variété
Marchez dans la rue du Petit Port. Regardez les neuf maisons à pans de bois. Aucune n’est identique. Les encorbellements varient de quelques centimètres à une large avancée. Les consoles peuvent être trapues ou fines, selon la portée. Les croix de Saint-André se combinent parfois avec des motifs en losanges ou de simples écharpes. Vous verrez des reprises : une sablière neuve à côté d’un poteau ancien, un remplissage refait à la chaux sur une trame médiévale, une menuiserie du XIXᵉ siècle dans une baie plus vieille. L’ensemble forme une rue lisible comme un petit catalogue de charpenterie urbaine.
 
Comment lire une façade à pans de bois
- La base : pierre dure, joints serrés, traces d’éclaboussures. Si vous voyez du bois au ras du pavé, c’est une reprise maladroite. Le contact direct du bois avec l’humidité finit toujours par le fragiliser.
- Le rez-de-chaussée : ouvertures plus larges pour boutique, atelier ou stockage. Linteaux de pierre ou poutres fortes, parfois doublées. On y lit encore la fonction économique du port.
- L’encorbellement : avancée mesurée, portée raccourcie par consoles et corbeaux. L’objectif est de gagner de la surface sans gêner le passage. Une façon de gagner de la place sans empiéter.
- La trame : poteaux verticaux, sablières horizontales, écharpes obliques. La croix de Saint-André équilibre les efforts. Chaque pièce a sa fonction et participe à l’équilibre de l’ensemble.
- La couverture : ardoise, égout saillant, parfois une tuile plate en souche ou en appentis secondaire. Le débord protège le pan. Cette protection limite les infiltrations.
Le plan intérieur : étroit, vertical, adaptable
La parcelle impose sa loi.
- Rez-de-chaussée : accès au quai, sol dur (pierre, brique, plus tard béton). On vend, on répare, on réceptionne. Le rez-de-cahussée est le niveau de l’activité et du mouvement.
- Premier étage : pièce chauffée, fenêtres serrées, parfois traversante. On vit au-dessus du travail.
- Combles : stockage de sacs, de voiles, de denrées sèches. Aérations discrètes en pignon.
- Escalier : rampe droite ou tournante, emprise réduite, marches hautes. Les cloisons légères permettent de modifier l’usage selon les besoins.
Cette flexibilité a servi le quartier lors des périodes creuses. On a transformé une boutique en logement, un grenier en chambre, puis l’inverse. Aujourd’hui, certains rez-de-chaussée ont retrouvé une fonction tournée vers l’accueil. Des bars, des crêperies et des restaurants occupent désormais les anciennes boutiques. L’animation commerciale prolonge ainsi la vocation historique du quai.
 
Un climat changeant, des réponses simples et solides
Le port connaît les pluies courtes et intenses, les remontées d’humidité, les vents qui s’engouffrent. Les réponses tiennent en quatre points : débord de toiture, soubassement minéral, enduit à la chaux, ventilation. Ajoutez des larmiers au-dessus des menuiseries, des gouttières qui évacuent loin du pied de mur, et des seuils légèrement relevés. Rien de spectaculaire. Beaucoup de bon sens.
Lors d’une marée de vive-eau, observez les reflets sur les vitrages du quai Franklin. Les écharpes se lisent mieux au soleil rasant. Vous voyez alors la charpente comme un dessin au trait.
Itinéraire conseillé pour comprendre le quartier
- Pont de Saint-Goustan : vue d’ensemble sur la place Saint-Sauveur. Comptez les niveaux, repérez les encorbellements. Le dessin des toits aide à lire l’organisation des parcelles.
- Place Saint-Sauveur : regardez les sablières et les poteaux corniers. Comparez une façade reprise et une façade plus ancienne. Les différences montrent l’histoire des réparations successives.
- Rue du Petit Port : enfilez la séquence des neuf maisons à pans. Cherchez les croix de Saint-André et les consoles épaisses. Chaque façade de cette rue révèle un choix structurel différent.
- Quai Franklin : l’alignement portuaire. Notez les soubassements en pierre et les vitrines tardives.
- Venelles vers la ville haute : mesurez la pente et les demi-niveaux. Les maisons jouent avec le terrain plutôt que de le contraindre. La topographie influence chaque implantation de façade.
En une heure, vous avez la logique générale des habitations à pans de bois de Saint-Goustan. Avec un carnet, vous en gardez l’essentiel : la trame, les avancées, les détails de pied de mur.
 
 
Une économie derrière la forme
La forme vient des usages et des coûts. Le bois structure. La pierre encaisse. L’encorbellement gagne des mètres carrés. La trame resserrée augmente la lumière et la ventilation des étages. Les petites pièces se chauffent mieux. Le quai apporte le matériau et les clients. Quand les flux baissent, on réalloue l’espace. Cette souplesse a permis à ces maisons de traverser les siècles sans perdre leur équilibre.
Un charpentier d’Auray m’a confié un jour une règle de base : « Quand un pan fatigue, on commence par vérifier l’eau. Si l’eau s’éloigne, le bois tient. » Tout est là.
Foire aux questions
Pourquoi tant de maisons anciennes près de la ria ? Parce que la structure bois se répare bien et que le quartier a connu des périodes plus calmes qui ont freiné les remplacements radicaux.
Le torchis tient-il au bord de l’eau ? Oui, si l’enduit à la chaux est correctement entretenu, si les débord protègent, et si les soubassements sont minéraux (granit, etc).
Peut-on isoler sans abîmer ? Oui, par l’intérieur, avec des matériaux ouverts et des freins vapeur bien pensés. La priorité est d’éviter la condensation dans les remplissages.
Que regarder pour dater ? La forme des consoles, la section des sablières, la taille des baies, et les traces d’outils. Les maisons du XVᵉ montrent souvent des encorbellements plus marqués et des croix lisibles.
Saint-Goustan n’est pas qu’une belle carte postale. C’est un plan fixé en 1641, un port qui a connu l’essor au XVIIIᵉ, la concurrence de Lorient dès 1665-1670, puis l’isolement provoqué par la voie de 1865. Malgré tout, le quartier a conservé ses rues, ses parcelles, et une quarantaine de maisons à pans, dont neuf rassemblées rue du Petit Port. Les plus anciennes remontent au XVᵉ siècle. Elles portent encore encorbellements et croix de Saint-André. Marchez doucement, regardez les assemblages, suivez la trame. Vous verrez une architecture claire, façonnée par le port, la pente et l’eau. Et vous comprendrez pourquoi ces maisons tiennent encore, au ras du quai, sans grandiloquence et sans artifice.
 
