Dans les ruelles étroites de Bassora, se dressent encore des maisons aux façades ornées de délicats moucharabiehs, témoins silencieux d’une époque révolue. Ces trésors d’architecture traditionnelle, avec leurs treillis de bois finement sculptés et leurs cours intérieures luxuriantes, racontent l’histoire d’une ville qui fut autrefois le joyau culturel du sud de l’Irak. Pourtant, derrière leur apparente splendeur se cache une réalité plus sombre : ces demeures historiques s’effritent lentement, victimes du temps. Découvrez les maisons traditionnelles de Bassora, le rôle des moucharabiehs dans leur conception, et les défis auxquels ce patrimoine architectural est confronté. Une exploration qui révèle la beauté, mais aussi la fragilité.
Origine des maisons du Vieux Bassora
Les maisons traditionnelles de Bassora trouvent leur origine dans l’essor économique de la ville, qui était un carrefour commercial majeur entre l’Orient et l’Occident. Au cœur de cette prospérité, la bourgeoisie commerçante de Bassora, enrichie par le commerce des épices, des textiles, et d’autres marchandises précieuses, a enclenché la construction de ces demeures élégantes. Ces maisons étaient pdes lieux de résidence, mais aussi des symboles de statut et de réussite. Elles reflétaient le goût raffiné et la capacité financière de leurs propriétaires, qui investissaient dans des matériaux de qualité, des artisans qualifiés, et des éléments architecturaux sophistiqués, tels que les moucharabiehs, pour exprimer leur richesse.
Pour l’aristocratie locale, ces maisons servaient également de signes extérieurs de richesse et de pouvoir. Les élites de Bassora, souvent liées à l’administration ottomane ou issues de familles nobles, voyaient dans ces demeures somptueuses un moyen d’affirmer leur rang social et leur prestige. Chaque détail, du choix des bois exotiques pour les moucharabiehs à l’aménagement des jardins intérieurs, était pensé pour impressionner les visiteurs et rivaliser avec les demeures des autres notables de la ville.
Le moucharabieh
Le moucharabieh est un dispositif de ventilation naturelle forcée très utilisé dans l’architecture des pays arabes. avec des treillis de bois sculpté situés au deuxième étage d’un bâtiment ou supérieur, souvent bordés de vitraux. Le moucharabieh (parfois shanshool ou rushan) est un élément de l’architecture arabe traditionnelle utilisé depuis le Moyen Age jusqu’à la moitié du 20ème siècle. Il est principalement utilisé sur le côté de la rue de l’immeuble; toutefois, il peut aussi être utilisé à l’intérieur sur le côté cour.
Les moucharabiehs ont été surtout utilisés dans les maisons et les palais bien que parfois ils le soient aussi dans les bâtiments publics tels que les hôpitaux ou les écoles et les bâtiments gouvernementaux. Ils se trouvent principalement dans l’est du monde arabe, mais certains types de fenêtres semblables sont également trouvées dans le Maghreb (ouest du monde arabe). Ils sont largement répandus en Irak, au Levant, au Hedjaz et en Égypte. On les trouve généralement dans les milieux urbains et rarement dans les zones rurales. Bassora est souvent appelée « la ville aux moucharabiehs ».
Étymologie et histoire
Il y a deux théories pour le nom de moucharabieh, le plus commun est que le nom était à l’origine pour une petite étagère en bois où l’on stockait les pots d’eau potable. L’étagère était située près de la fenêtre afin de garder la fraîcheur de l’eau. Plus tard, cette étagère a évolué jusqu’à ce qu’elle devienne une partie de la pièce avec un mur plein et conserve le nom malgré le changement radical dans l’utilisation.
La deuxième théorie est que le nom de moucharabieh était à l’origine mashrafiya, dérivé du verbe Ashrafa (observer). Pendant des siècles, le nom a changé lentement en raison de l’évolution des accents et l’influence des non-Arabes arabophones.
Il est impossible dans l’histoire de dater exactement la première fois où ils sont apparus. Cependant, les premières preuves sur l’utilisation du moucharabieh tel qu’il est actuellement remonte au 12ème siècle à Bagdad au cours de la période abbasside. Tout ce qui reste dans les villes arabes a été construit en grande partie au cours de la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle, si bien que certains moucharabiehs ont plus de 300 ou 400 ans. Malheureusement, très peu sont restaurés.
Extérieur d’une maison traditionnelle de Bassora
Une maison typique était généralement une grande habitation pour une famille et ses serviteurs. Flanquées d’une rue pavée étroite d’un côté et de jardins sur les trois autres côtés, les maisons ottomanes ont été construites en bois et en général avec deux à trois étages. La plupart des maisons avaient un étage où se trouvaient les pièces principales pour offrir une brise pendant les chaudes journées d’été ou pour fournir une vue. Pour l’intimité, le côté de la rue de la maison avait moins de fenêtres.
Ces fenêtres étaient couvertes de treillis de bois empêchant les yeux extérieurs d’observer tout en permettant à l’air de circuler. L’arrière de la maison était beaucoup plus ouvert avec des fenêtres et des balcons qui ouvraient sur des jardins remplis de fleurs odorantes, de mûriers, d’acacias et de cyprès.
Intérieur d’une maison traditionnelle de Bassora
Le plan intérieur était simple. L’étage inférieur contenait la cuisine, les quartiers des serviteurs et les pièces de stockage. Les escaliers conduisaient à une grande salle au deuxième étage. Au moins deux autres grandes pièces ouvraient sur ce hall central. Une des pièces était appelée haremlik (quarts des femmes) et une autre selamlik (quarts des hommes). D’autres petites salles ouvraient sur ces pièces ou sur le hall d’entrée. Selon la richesse du propriétaire, la taille des pièces et leurs nombres variaient.
Les principales pièces à la fois du haremlik et du selamlik étaient entourées sur trois côtés par des divans (canapés). Des fenêtres derrière les divans ouvraient sur les jardins. Des coussins reposaient contre le mur ou étaient dispersés à intervalles le long des divans. Finement brodé de soie et de fils métalliques colorés représentant des fleurs, ces coussins créaient un autre jardin intérieur pour la maison.
Des étagères en bois, ou en bois marqueté, étaient placées le long du quatrième mur. Elles contenaient des objets tels que des fournitures pour le service de café, qui ne sont pas seulement ornementales mais aussi utiles. Si le propriétaire était assez riche pour se permettre une salle d’été et une salle d’hiver, la salle d’été contenait une petite fontaine et la salle d’hiver avait une cheminée. Les cheminées étaient souvent décorés de carreaux de céramique ou recouverts de textiles richement brodés.
Un héritage qui s’effrite lentement
Les maisons traditionnelles de Bassora, si emblématiques avec leurs moucharabiehs finement sculptés, sont malheureusement en train de se dégrader lentement sous les assauts du temps et de l’abandon. Autrefois florissantes et entretenues, ces demeures sont aujourd’hui menacées.
Les ravages du temps et du climat
Les conditions climatiques de Bassora, avec des températures extrêmes en été et une forte humidité due à la proximité du Shatt al-Arab, exercent une pression considérable sur ces vieilles structures en bois. Le bois, matériau principal des moucharabiehs, subit les effets néfastes de l’humidité, du soleil brûlant et des pluies irrégulières, provoquant des fissures, un gonflement et parfois même des infestations de termites. Avec le temps, ces éléments fragilisent la structure, rendant la restauration plus difficile et coûteuse.
L’urbanisation et l’abandon progressif
L’urbanisation rapide et le manque d’entretien régulier sont également des facteurs clés dans la dégradation des maisons traditionnelles de Bassora. La modernisation de la ville a conduit à la construction de bâtiments plus récents, souvent en béton, qui remplacent peu à peu les vieilles demeures. De nombreuses familles préfèrent déménager dans des résidences plus modernes et fonctionnelles, laissant les anciennes maisons à l’abandon. Ces bâtiments désertés sont très vulnérables à la dégradation, car sans entretien, les éléments architecturaux se détériorent à un rythme accéléré.
Le patrimoine en péril
Cette lente érosion ne menace pas que les structures physiques des maisons, mais aussi l’identité culturelle de Bassora. Chaque maison, avec ses moucharabiehs et son agencement, est un témoignage du riche passé de la région. La perte de ces maisons signifie également la disparition d’un savoir-faire artisanal unique, celui des ébénistes et artisans qui ont conçu et entretenu ces magnifiques treillis en bois.
Des efforts de conservation insuffisants
Malgré une prise de conscience croissante de la nécessité de préserver ce patrimoine architectural, les efforts de conservation restent insuffisants. Les initiatives pour restaurer les maisons sont souvent limitées par des budgets restreints, des priorités conflictuelles et un manque de soutien politique. De plus, les techniques de restauration traditionnelles, qui demandent du temps et des compétences spécifiques, sont de moins en moins maîtrisées par les artisans locaux, rendant la tâche encore plus ardue.
Les maisons traditionnelles de Bassora, autrefois symboles de la prospérité et du raffinement architectural de la région, s’effritent lentement sous l’effet conjugué du temps, de l’abandon et de la modernisation. Leur sauvegarde nécessite une mobilisation urgente des autorités locales, des experts en patrimoine et de la communauté internationale, pour éviter que ces trésors architecturaux ne disparaissent à jamais.