La ferme d’herbe traditionnelle Grenjaðarstaður en Islande

Au cœur d’un paysage de lave et de prairies, la ferme d’herbe de Grenjaðarstaður est un témoin précieux de l’architecture rurale islandaise. Cette grande maison traditionnelle, enfouie sous un épais manteau de tourbe et d’herbe enracinée, reflète plus de mille ans d’occupation humaine dans le nord de l’île. Au fil des siècles, pasteurs, domestiques et familles entières y ont vécu, travaillé et adapté leur habitat aux contraintes d’un climat rude. Restaurée par le Musée national d’Islande, la ferme permet de comprendre comment les Islandais ont façonné une architecture ingénieuse en utilisant les ressources locales, de la lave au gazon. C’est ce patrimoine unique que vous découvrez en parcourant Grenjaðarstaður.

Un site ancien, occupé depuis les débuts de la colonisation

La ferme d’herbe de Grenjaðarstaður se situe dans le nord de l’Islande, entre le lac Mývatn et Húsavík, région connue pour ses paysages volcaniques et son activité agricole passée. L’occupation du site remonte aux toutes premières décennies de la colonisation nordique. Selon le Landnámabók, manuscrit médiéval relatant l’arrivée des premiers colons, Grenjaður Hrappsson s’installe ici il y a plus de mille ans et donne son nom à la ferme. Cette ancienneté en fait l’un des repères historiques majeurs de la région.

Cette continuité d’occupation est typique des fermes islandaises les plus anciennes : implantation sur une terre fertile, présence d’eau, protection relative contre les vents, et accès aux ressources locales, notamment la lave, le bois flotté et la tourbe. Ces critères expliquent pourquoi nombre de grandes fermes médiévales islandaises ont conservé leur emplacement d’origine. À Grenjaðarstaður, les fouilles et relevés topographiques confirment cette stabilité remarquable du bâti au fil des siècles.

Grenjaðarstaður

Un manoir rural du XIXᵉ siècle

Le bâtiment que l’on peut visiter aujourd’hui date en grande partie du XIXᵉ siècle. Les parties les plus anciennes remontent à 1865, période durant laquelle de nombreuses fermes islandaises adoptent un modèle hybride mêlant pierre locale, tourbe et charpentes plus structurées.

À son apogée, Grenjaðarstaður était considéré comme le plus grand manoir agricole du comté. La surface mentionnée dans les registres n’est pas celle de la ferme au sens moderne, mais celle des espaces principaux, qui témoignaient du prestige de l’exploitation. Plusieurs pièces servaient de chambres, de zones de stockage et d’espaces de travail, illustrant l’organisation très fonctionnelle des grandes fermes islandaises. Cette organisation traduit une gestion très pragmatique de l’espace.

Les inventaires conservés au Musée national d’Islande montrent que ce type d’habitat distribuait ses pièces en enfilade, reliées par des couloirs étroits éclairés par de petites fenêtres, afin de limiter les pertes de chaleur. Ce dispositif renforçait la performance thermique de l’ensemble de la ferme.

Grenjaðarstaður intérieur

Une architecture d’herbe… mais pas uniquement

Contrairement aux maisons d’herbe de l’ouest ou du sud de l’Islande, dont les murs sont entièrement faits de blocs de tourbe superposés, Grenjaðarstaður présente un système particulier. Les murs extérieurs sont construits en lave doublement empilée, matériau facilement disponible dans cette région volcanique. L’herbe, ici, est utilisée principalement pour recouvrir les toits et assurer l’isolation.

Ce choix technique reflète la diversité des traditions architecturales islandaises. Les ethnographes du National Museum of Iceland rappellent que la maison d’herbe islandaise n’est pas un modèle uniforme : sa structure dépend des ressources. Dans les zones où la tourbe était plus épaisse et de meilleure qualité, elle formait des murs entiers. Dans le nord et le nord-est, la pierre volcanique prenait le relais.

Le toit de Grenjaðarstaður est constitué de couches alternées de tourbe et d’herbe enracinée. Une fois en place, ce système crée une couverture épaisse et isolante capable de résister à la neige et au vent. La technique consistant à placer des bandes de tourbe klombrunnar torf en quinconce permettait d’obtenir une excellente étanchéité. C’était une solution fiable dans les régions exposées aux intempéries.

toit d'herbe à Grenjaðarstaður

Une ferme densément peuplée

L’histoire de Grenjaðarstaður est indissociable de celle de son pasteur de la fin du XIXᵉ siècle. Lorsque le révérend Benedikt Kristjánsson devient ministre de la paroisse en 1876, il fait restaurer et réorganiser la ferme. Les sources locales indiquent qu’environ trente personnes vivaient alors ici : famille du pasteur, domestiques et plusieurs personnes âgées dépendant de la communauté. Ce fonctionnement était courant dans les grands domaines islandais, où la maison avait aussi une fonction sociale.

Les recensements montrent une évolution progressive du nombre d’habitants : quinze résidents en 1915, puis un déclin au début du XXᵉ siècle, lorsque les matériaux modernes et les nouvelles normes de confort entraînent l’abandon progressif des habitations en toit de tourbe. Quatre pasteurs ont vécu à Grenjaðarstaður jusqu’en 1948, année où les derniers habitants quittent les lieux.

Grenjaðarstaður maisons

Une restauration exemplaire et l’ouverture d’un musée

En 1955, le Musée national d’Islande reprend la ferme, devenue un ensemble patrimonial exceptionnel. La restauration, menée jusqu’en 1958, s’appuie sur des photos, des récits locaux et des inventaires conservés dans les archives folkloriques. L’objectif était de restituer fidèlement l’organisation d’une grande ferme du XIXᵉ siècle : salle commune, pièces de travail, alcôves, cuisine, espaces de stockage et passage central.

Aujourd’hui, Grenjaðarstaður fait partie d’un réseau de musées de district du nord de l’Islande. Les visiteurs y découvrent des intérieurs reconstitués avec précision : ustensiles agricoles, outils, vêtements, lits clos en bois et objets de la vie quotidienne. Ce musée illustre de manière très concrète l’ingéniosité de l’habitat islandais traditionnel, conçu pour répondre au froid tout en restant fonctionnel.

Grenjaðarstaður

Un témoignage précieux de l’habitat en tourbe

La ferme de Grenjaðarstaður est un bel exemple de ce que les spécialistes appellent « l’architecture de la terre vivante » islandaise. L’herbe, la lave et la tourbe y créent une enveloppe durable et adaptée au climat subarctique. Outre son intérêt architectural, la ferme raconte une histoire sociale : celle des communautés rurales, du rôle central du pastorat et de l’évolution des grandes exploitations islandaises.

Pour les personnes qui voyagent dans le nord du pays, Grenjaðarstaður est une étape remarquable, au même titre que les fermes d’herbe de Glaumbær ou Laufás. Ce sont des lieux où l’on comprend comment l’Islande a façonné, avec des matériaux modestes, une architecture unique, liée à son territoire.

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