La maison « Bangla Baton » de Sylhet : un patrimoine unique en péril

Dans la région de Sylhet, au nord-est du Bangladesh, subsiste un patrimoine architectural encore méconnu mais d’une grande valeur culturelle : la maison « Bangla Baton ». Derrière ce nom se cache un héritage unique, témoin d’une période charnière de l’histoire locale, lorsque Sylhet faisait partie de la province d’Assam sous l’administration coloniale britannique. Ces demeures élégantes en ossature de bois et parois de bambou enduites, pensées pour résister aux séismes et à la mousson, représentent une forme d’architecture vernaculaire urbaine aujourd’hui en voie de disparition.

Construites entre les années 1920 et 1960, elles ont longtemps abrité la bourgeoisie instruite de Sylhet : avocats, enseignants, notables, fonctionnaires. Leur architecture ne se limite pas à une technique constructive ingénieuse ; elle raconte aussi l’ascension sociale d’une élite locale, le métissage culturel entre Bengale oriental et Assam, et la capacité des populations à adapter leur habitat aux contraintes du climat. Pourtant, faute de reconnaissance patrimoniale, ces maisons déclinent dans l’indifférence générale, menacées par l’urbanisation rapide et l’absence de politiques de conservation.

Un héritage colonial localisé dans la Vallée de Sylhet

La maison « Bangla Baton » fait partie des typologies architecturales vernaculaires les plus distinctives de Sylhet, une grande ville du nord-est du Bangladesh. Cette région, enclavée dans la vallée du Surma et entourée de collines forestières, fut rattachée administrativement à la province d’Assam durant la période coloniale britannique de 1874 à 1947. Ce contexte explique les influences régionales observées dans l’architecture locale. Le style « Bangla Baton » illustre bien ce métissage architectural : construit à partir de matériaux locaux comme le bambou, le bois et la terre, il répond aux contraintes climatiques de la mousson tout en intégrant des codes esthétiques inspirés des demeures urbaines coloniales.

Selon une étude publiée dans le Journal of the Asiatic Society of Bangladesh, ces maisons témoignent d’un moment charnière de l’histoire de Sylhet : l’essor d’une bourgeoisie éduquée sous l’administration britannique, attachée à ses racines culturelles mais ouverte à des formes résidentielles modernisées.

maison bangla baton

Techniques constructives : entre bambou et ossature bois

La particularité majeure des maisons « Bangla Baton » est leur système constructif. Elles sont édifiées selon une ossature porteuse en bois fixée au sol sur un soubassement parfois légèrement surélevé, afin de se protéger des crues saisonnières. Entre ces cadres en bois sont insérées des parois de bambou tressé, recouvertes d’un mélange de terre et de chaux, parfois renforcé par de la fibre végétale. Cette technique est connue localement sous le terme de « bhita ». Elle assure stabilité, légèreté et résistance aux secousses sismiques de la région de Sylhet, située dans une zone de forte activité tectonique.

Leur architecture bioclimatique est étudiée par plusieurs chercheurs comme un modèle d’adaptation aux climats humides. Les ouvertures nombreuses facilitent la ventilation croisée, et les toits à forte pente évacuent les pluies diluviennes. Leur forme compacte limite l’exposition aux vents cycloniques.

Section de mur montrant le plâtre sur le bambou
Section de mur montrant le plâtre sur le bambou

Un lien fort avec l’architecture assamaise

Du fait de l’histoire administrative commune entre Sylhet et l’Assam, la maison « Bangla Baton » présente de fortes similitudes avec les maisons traditionnelles de l’Assam, encore largement répandue dans le nord-est de l’Inde. Ces maisons à ossature légère combinent le bois, le bambou et les tuiles de terre cuite, avec une typologie souvent allongée et des façades symétriques. Tout comme elles, les demeures de style « Bangla Baton » sont conçues pour durer dans un terrain instable et humide.

Selon le National Institute of Technology Silchar, la maison de type Assam d’influence coloniale a inspiré une grande partie des constructions légères dans l’ancien Assam colonial. Sylhet constitue ainsi un cas d’étude majeur de transfert culturel architectural au sein du monde bengali oriental.

Morphologie et organisation de l’espace domestique

Les maisons « Bangla Baton » sont généralement de plan rectangulaire, à un ou deux niveaux selon la richesse du propriétaire. Elles disposent :

  • d’une véranda avant appelée « dalan », utilisée comme espace de réception,
  • d’une salle centrale multifonctionnelle,
  • de chambres disposées en enfilade,
  • d’une cuisine extérieure détachée du corps principal de la maison, pour éviter les incendies et limiter l’humidité intérieure.

Certaines demeures prestigieuses incluaient également des éléments décoratifs importés tels que des garde-corps moulurés ou des boiseries travaillées sur les arcs de vérandas. Ces détails rappellent l’esthétique indo-saracénique en vogue dans le sous-continent au début du XXᵉ siècle.

maison bangla baton

Des maisons liées aux élites urbaines de Sylhet

Ces habitations n’étaient pas rurales mais bel et bien urbaines. Elles ont été commandées principalement par les notables de Sylhet : avocats, enseignants, propriétaires fonciers ou fonctionnaires de l’administration coloniale. Elles se trouvent encore aujourd’hui dans les quartiers historiques de Kazir Bazar, Mirabazar ou Zindabazar. Ces maisons reflétaient le statut social de leurs propriétaires et leur appartenance à une classe montante, lettrée et influencée par les valeurs modernistes.

Une enquête réalisée par l’Université Shahjalal de Sylhet en 2015 indique que ces maisons constituaient une transition entre l’habitat rural bengali traditionnel et l’habitat urbain inspiré de l’architecture coloniale. Elles marquent une étape vers un habitat plus urbain sans renier les traditions locales.

Certaines maison "Bangla Baton" sont quasiment en ruine
Certaines maison « Bangla Baton » de Sylhet sont quasiment en ruine

Un patrimoine menacé par l’urbanisation rapide

Aujourd’hui, la situation de ces maisons Bangla Baton est critique. Faute de reconnaissance officielle, elles disparaissent sous la pression immobilière. Les propriétaires les remplacent souvent par des immeubles en béton à plusieurs étages. Le Bangladesh National Heritage Preservation Act (2009) n’inclut aucune protection explicite pour ce type d’architecture vernaculaire. En 2021, l’ONG locale Heritage Sylhet Foundation a recensé moins de 120 maisons encore debout, dont beaucoup en mauvais état.

Les risques principaux sont :

  • l’absence de documentation architecturale,
  • la dégradation due à l’humidité,
  • la rareté des artisans maîtrisant les techniques de construction au bambou.

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