Perchée sur les falaises rocheuses de Punta Ballena, à environ 13 km de Punta del Este (département de Maldonado en Uruguay), Casapueblo domine le Río de la Plata et s’oriente plein ouest, ce qui en fait un belvédère exceptionnel sur le coucher du soleil. Le site de ce bâtiment étonnant est accessible par la « Ruta Panorámica Carlos Páez Vilaró », dénommée ainsi en 2017 par les autorités locales.
Genèse : de « La Pionera » à une « sculpture habitable »
L’histoire de Casapueblo débute en 1958 lorsque Carlos Páez Vilaró acquiert un petit terrain sur les falaises de Punta Ballena. Il y installe une première construction rudimentaire, baptisée La Pionera. Ce simple refuge en bois, assemblé avec des planches récupérées sur la côte, servait d’atelier d’été et de lieu de retraite créative. À cette époque, Vilaró revenait d’un long séjour en Afrique et en Europe, où il avait découvert des architectures vernaculaires construites avec peu de moyens mais capables de dialoguer avec le paysage et la lumière. Cette expérience influencera durablement sa vision artistique.
Peu à peu, La Pionera se transforme et s’agrandit par ajouts successifs. Vilaró ne suit aucun plan architectural : il construit à l’instinct, en modelant murs, voûtes et terrasses comme il sculpte l’argile. Les volumes se développent organiquement, étage après étage, autour de patios et de passages étroits qui épousent la pente naturelle du terrain. L’artiste explique alors vouloir créer « une sculpture que l’on puisse habiter », un lieu façonné par la main. Pendant 36 ans, Casapueblo évolue ainsi comme une œuvre vivante, ouverte, en permanente mutation, jusqu’à devenir l’icône architecturale qu’elle est aujourd’hui.
Influences formelles : Méditerranée et nid de hornero
À première vue, Casapueblo rappelle l’architecture méditerranéenne traditionnelle, notamment celle des maisons blanches des Cyclades grecques. Le blanc vif des façades évoque Santorin, et les murs arrondis et les terrasses étagées rappellent les villages accrochés aux falaises de la mer Égée. Carlos Páez Vilaró admirait ces constructions où l’architecture dialogue avec le paysage. Il partageait cette même recherche d’union entre forme bâtie, lumière et horizon maritime. Cependant, il refusait que l’on réduise son œuvre à une imitation de la Méditerranée, soulignant que son inspiration était plus intuitive que stylistique.
L’artiste revendiquait par ailleurs une référence enracinée dans la culture uruguayenne : le nid du hornero (Furnarius rufus), oiseau national présent dans toute la pampa du Río de la Plata. Cet oiseau construit des abris en forme de four en terre crue mêlée de fibres végétales, avec des ouvertures orientées en fonction du vent dominant. Vilaró voyait dans ce geste naturel un modèle d’architecture organique et poétique. Casapueblo reprend cette logique instinctive : absence de lignes droites, volumes modelés comme de l’argile, assemblages progressifs, forme protectrice tournée vers l’extérieur. L’édifice ne copie pas un style, il adopte un langage architectural sensible, façonné par la main plus que par la règle.
Matériaux et mise en œuvre
Casapueblo a été construite de façon entièrement artisanale, sans plans préétablis ni intervention d’un cabinet d’architecture. Carlos Páez Vilaró a fait appel à des ouvriers locaux et à des techniques de maçonnerie simples, adaptées à une construction progressive. L’édifice a été bâti comme une sculpture toujours en expansion, couche après couche, en ajoutant des volumes au fil des ans. Les matériaux choisis répondent à la fois à des contraintes économiques, à une volonté esthétique et à une recherche de durabilité face aux conditions maritimes. Voici les principaux matériaux et techniques utilisés :
- Stuc à la chaux : enduit dominant, appliqué manuellement pour obtenir des courbes souples et irrégulières, tout en offrant une bonne respiration des murs.
- Ciment et sable marin : base structurelle pour les murs et escaliers, facile à travailler.
- Pierres locales : intégrées aux fondations pour stabiliser la construction sur la pente rocheuse.
- Bois récupéré : utilisé au début du projet, pour « La Pionera », avant l’extension en maçonnerie.
- Peinture blanche au lait de chaux : choix esthétique fort, mais aussi utilitaire car elle protège contre l’humidité saline et réfléchit la lumière. Elle épouse chaque courbe et unifie l’ensemble.
- Assemblage manuel : construction progressive sans lignes droites, façonnée au gré de l’artiste et du relief du terrain. Chaque ajout s’est fait à l’œil, sans jamais rien mesurer.
- Toitures-terrasses : étanchées au mortier, pensées comme prolongement extérieur des pièces et belvédères ouverts vers l’océan. Elles servent de lieu de vie et de plateforme d’observation.
Organisation des lieux et usages
Casapueblo est un ensemble architectural complexe, composé d’un enchaînement de volumes qui se superposent et se ramifient. L’organisation n’obéit pas à un plan orthogonal classique mais à une logique d’exploration spatiale. Les pièces ne sont pas toutes alignées ni distribuées de manière rationnelle : elles s’entrelacent comme dans une construction organique, reliées par des escaliers irréguliers, de petites galeries voûtées et des couloirs sinueux qui débouchent soudainement sur des terrasses en balcon sur la mer. Le visiteur traverse des paliers étonnants, des petites fenêtres sculptées dans l’épaisseur des murs, des arcades asymétriques et des patios intérieurs où la lumière circule librement.
L’usage des espaces reflète la fonction hybride du bâtiment. Au fil du temps, Casapueblo a intégré plusieurs vocations sans jamais perdre son unité artistique. On y trouve l’ancienne maison-atelier de Vilaró, transformée en musée, des salles d’exposition, des ateliers d’artiste, des espaces de vie, des lieux ouverts de contemplation et un hôtel réparti dans les ailes supérieures. La disposition des lieux suit une hiérarchie simple : le bas du bâtiment est tourné vers la création et la mémoire artistique, tandis que les niveaux supérieurs accueillent les visiteurs, l’hébergement et la restauration. Chaque zone reste reliée par le fil conducteur de la vue sur l’océan, considérée par Vilaró comme la véritable « âme du lieu ».
La « Cérémonie du Soleil »
La Cérémonie du Soleil est un rituel emblématique de Casapueblo. Chaque jour, quelques minutes avant le coucher du soleil, les visiteurs se rassemblent sur les terrasses pour assister à ce moment. Une bande sonore résonne alors : il s’agit de la voix enregistrée de Carlos Páez Vilaró déclamant un poème dédié au soleil. L’atmosphère devient presque méditative. La lumière décline, le ciel se teinte d’ocre puis de rouge, et la façade du bâtiment semble se fondre dans l’horizon maritime. Ce rituel, instauré en 1994, invite à la contemplation du paysage, que l’artiste considérait comme une partie intégrante de son œuvre.
La cérémonie n’a rien de touristique au départ : elle est née du rapport intime de Vilaró avec le temps, la nature et la poésie. Pour lui, saluer le soleil n’était pas un simple geste esthétique, mais un acte symbolique célébrant le cycle quotidien de la vie. Depuis sa disparition en 2014, l’enregistrement continue de jouer chaque soir. Ce moment est devenu l’âme de Casapueblo, un lien entre l’œuvre et son créateur, entre ceux qui la découvrent et ceux qui y reviennent chaque année. Animation locale, c’est aussi un hommage à la lumière, élément fondateur de cette architecture tournée vers l’horizon.
L’hôtel : volumes blancs face à l’Atlantique
L’hôtel de Casapueblo occupe une partie des ailes supérieures du bâtiment, directement intégrées à l’architecture originelle. À l’extérieur, il se confond avec l’ensemble sculptural : mêmes formes ondulantes, mêmes murs chaulés, mêmes terrasses étagées face à l’océan. À l’intérieur, les chambres et appartements conservent l’esprit artisanal de la construction : niches murales, encadrements irréguliers, alcôves blanches et ouvertures creusées dans l’épaisseur des parois. Chaque logement possède une terrasse orientée vers l’ouest, offrant une vue panoramique sur l’Atlantique Sud et sur les couchers de soleil.
Avec ses suites de tailles variées (du studio aux appartements familiaux) l’hôtel a été conçu pour prolonger l’univers de Vilaró plutôt que de le transformer. Ici, pas de décor ostentatoire ni de luxe tapageur : les matières sont simples, les meubles en bois peints ou patinés dialoguent avec la lumière naturelle. Les espaces communs renforcent cette atmosphère intime : piscine extérieure construite en belvédère, restaurant Las Terrazas ouvert sur la mer, bar, espaces de repos en extérieur, et circulations labyrinthiques qui préservent la sensation d’habitat plutôt que celle d’un complexe touristique. Séjourner à Casapueblo, c’est entrer dans un lieu où l’expérience architecturale prime autant que l’hébergement.
Un hommage personnel et un lieu de rencontres
Casapueblo contient un hommage au fils de l’artiste, survivant du crash du vol 571 de l’armée de l’air uruguayenne dans les Andes en 1972. Au fil du temps, l’endroit a accueilli des personnalités du monde culturel et politique, ce qui a renforcé sa notoriété en Uruguay et à l’international.
Visiter Casapueblo : informations pratiques
- Adresse : Carlos Páez Vilaró s/n, Punta Ballena.
- Horaires : tous les jours à partir de 10h, fermeture à l’heure du coucher du soleil.
- Billetterie et contacts : le site officiel met à jour tarifs et horaires.
- Conseil : arrivez en avance pour profiter de la Cérémonie du Soleil depuis les terrasses.