Chibotte : la cabane en pierre sèche du Velay, en Haute-Loire

Dans les campagnes du Velay, à l’ouest du massif du Mézenc, surgissent au détour d’un chemin de randonnée de drôles de petites cabanes de pierres sèches. On les appelle chibottes. Ces édicules rustiques, d’une sobriété presque primitive, témoignent d’un savoir-faire paysan. Aujourd’hui, comprendre la chibotte, c’est revisiter un pan du patrimoine rural de la Haute-Loire, mais aussi saisir l’ingéniosité des anciens à tirer parti des ressources locales pour répondre à des besoins concrets.

Un nom popularisé par l’érudition savante

Le mot « chibotte » n’est pas issu directement du langage quotidien des vignerons de la région du Velay. Il doit sa diffusion à l’érudit Albert Boudon-Lashermes (1882-1967), qui, dans la première moitié du XXᵉ siècle, a remis au goût du jour un ancien toponyme médiéval  : chabotta. Dans les textes anciens, ce terme désignait une habitation sommaire, une masure à l’allure quelque peu rustique.

En réalité, les bâtisseurs eux-mêmes utilisaient un autre mot, bien plus ancré dans leur parler : tsabana, ou tsabone en français régional, traduit par « cabane ». L’adoption du terme chibotte  et sa généralisation s’accompagnent ainsi d’une dimension presque mythique : dans un élan romantique, Boudon-Lashermes et quelques auteurs locaux attribuèrent à ces abris une origine supposément « ligure », leur conférant un prestige historique que la tradition orale ne soutenait pourtant pas.

Une architecture de pierre sèche

Le principe constructif d’une chibotte est d’une extrême simplicité : aucun liant, aucune charpente, uniquement de la pierre volcanique (basalte ou phonolite) issue de la région, et empilée. Cette technique de la pierre sèche repose sur un agencement minutieux, où chaque pierre trouve sa place pour garantir la stabilité de l’ensemble. Une main expérimentée et un œil attentif suffisent pour élever ces murs.

Les chibottes se présentent en général sous forme de cabanes ovoïdes ou coniques. La voûte est obtenue grâce à un encorbellement progressif : les assises de pierres, légèrement en saillie les unes par rapport aux précédentes, finissent par se rejoindre au sommet. Cette coupole sommaire forme une toiture parfaitement étanche à l’eau de pluie, sans besoin de couverture rapportée.

La base est généralement circulaire, parfois légèrement elliptique pour épouser le relief du sol. À l’intérieur, l’espace est exigu : on s’y abrite assis ou accroupi, parfois debout pour les plus grandes cabanes en pierre sèche. Certaines chibottes intègrent un petit muret extérieur ou un banc sommaire, signe qu’elles servaient aussi de lieu de pause pendant les longues journées de travaux agricoles.

Voici une cabane en pierre sèche récemment construite en utilisant une technique connue « des deux peaux ». La construction de la voûte a été faite couche par couche, plutôt que de construire le toit d’abord, puis la peau extérieure. Cette chibotte en pierre sèche est de Manuel Duveau. Elle a été construite sur les pentes d’Aiguilhe au printemps 2005 et a demandé environ 2 mois de travail.

Une fonction utilitaire avant tout

La chibotte n’a jamais été une habitation permanente. Elle servait principalement :

  • D’abri ponctuel pour se protéger du vent, de la pluie ou du soleil lors du travail aux champs ;
  • De remise pour entreposer des outils, voire quelques récoltes avant le transport ;
  • De poste de surveillance pour garder les troupeaux dans des pâtures éloignées.

Elle s’inscrit dans un réseau de micro-architectures rurales qui ponctuaient jadis tout le territoire agricole : puits, terrasses, murets, clapiers, croix de carrefour, autant de traces modestes mais révélatrices d’un mode de vie façonné par l’économie de subsistance et l’autoconstruction.

Une réponse aux contraintes géologiques et climatiques

Construire une chibotte répondait à une logique de bon sens : le sol volcanique du Velay est truffé de pierres, que l’on devait enlever pour cultiver. Plutôt que de les entasser en tas improductifs, les paysans les réutilisaient pour ériger murets et cabanes. Ainsi, la chibotte est l’aboutissement d’un double effort : nettoyer la terre et s’aménager un refuge. Son volume bas et trapu résiste bien au vent qui balaye les plateaux. Quant à la pierre sèche, elle présente une inertie thermique remarquable : fraîche en été, relativement isolante l’hiver, et durable face aux intempéries. Certaines chibottes, bien que laissées sans entretien depuis des décennies, ont conservé leur structure quasi intacte.

détail cabane en pierre sèche

Une typologie variée, reflet de l’adaptation au terrain

Si toutes les chibottes suivent un même principe de voûte encorbellée, leur taille et leur forme peuvent varier sensiblement. On recense ainsi :

  • Des chibottes simples, sans ornement, ne servant qu’à l’abri immédiat ;
  • Des chibottes doubles, composées de deux cellules accolées : l’une pour l’homme, l’autre pour les outils ou le petit bétail ;
  • Des chibottes agrémentées d’un muret circulaire, qui délimitait parfois un enclos pour quelques moutons ou une parcelle de vigne.

Cette diversité traduit une adaptation pragmatique : chaque cabane est unique, car façonnée selon les besoins précis de son propriétaire, la topographie et la quantité de pierre disponible.

Un patrimoine à redécouvrir et à préserver

Aujourd’hui, le paysage agricole s’est largement transformé : mécanisation, remembrement, abandon de certaines terres marginales ont fait disparaître nombre de chibottes. Celles qui subsistent sont souvent dissimulées sous la végétation ou partiellement ruinées. Depuis plusieurs années, des initiatives locales (notamment autour du village de Vals-près-le-Puy) œuvrent à leur sauvegarde.

Des sentiers thématiques permettent aux randonneurs de partir à leur rencontre. À travers ces promenades, on mesure tout l’intérêt de conserver ce témoignage de l’ingéniosité paysanne, mais aussi de sensibiliser à la technique de la pierre sèche, inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO.

Pourquoi la chibotte intéresse encore aujourd’hui ?

Au-delà de l’anecdote patrimoniale, la chibotte séduit aussi les passionnés d’architecture et d’autoconstruction contemporaine. Sa conception met en avant des valeurs très actuelles :

  • Simplicité constructive : bâtir sans ciment ni béton ;
  • Matériaux locaux : pas de transport ni de transformation coûteuse ;
  • Durabilité : une structure qui traverse les siècles avec un minimum d’entretien ;
  • Insertion paysagère : une cabane parfaitement intégrée au relief et au sol.

Ces principes, revisités avec des techniques modernes, inspirent aujourd’hui certains projets d’habitats légers ou de refuges écologiques. Ils rappellent que construire avec la nature reste une voie crédible.

Une invitation à explorer et protéger un trésor

Arpenter les collines volcaniques du Velay, c’est accepter de ralentir le pas pour prêter attention à ces cabanes modestes, marqueurs d’un savoir-faire agricole en symbiose avec son milieu. Restaurer une chibotte, quand cela est possible, suppose de respecter la technique d’origine : tri des pierres, ajustement précis, montage patient de l’encorbellement… un travail exigeant mais gratifiant.

Aujourd’hui plus que jamais, la chibotte de la Haute Loire rappelle une évidence : le bâti vernaculaire, souvent né de contraintes sévères, porte en lui des réponses sobres, durables et élégantes aux questions que posent encore nos modes de vie modernes. En guise de conclusion, que l’on croise ces petites sentinelles de basalte lors d’une randonnée ou qu’on se penche sur leur restauration, la chibotte offre à chacun un témoignage humble et robuste d’un dialogue entre l’homme et son environnement. Un dialogue que nous serions bien inspirés de poursuivre, sous une forme ou une autre.

Il existe de nombreuses autres appellations et formes pour les différentes cabanes en pierre sèche de France. Je ne vais pas faire un article mais vous diriger vers l’article de Wikipédia qui est déjà complet.

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