Perdue dans les bois denses de la Bosnie centrale, la cabane de Zelenkovac semble sortie d’un conte nordique. Pourtant, elle n’est pas née d’une légende, mais du travail patient d’un artiste local, Boro Nedić, qui a transformé une ancienne scierie en un lieu d’expérimentation architecturale et écologique. À la croisée du refuge de montagne, du chalet d’artiste et de la sculpture habitée, cette construction est le symbole du Zelenkovac Eco Village, un centre culturel rural qui attire artistes, voyageurs et curieux.
Un site isolé et fondateur : la clairière de Zelenkovac
Zelenkovac se trouve à une quinzaine de kilomètres de Mrkonjić Grad, dans la région montagneuse du plateau de Manjača, à environ 900 mètres d’altitude. La zone est couverte de forêts de sapins et de hêtres, ponctuées de sources d’eau claire et d’anciens chemins forestiers.
C’est ici que Boro Nedić, dans les années 1980, décide de s’installer pour donner une nouvelle vie à une scierie abandonnée. Il commence par ériger une première cabane pour abriter son atelier, avant que l’ensemble ne se transforme peu à peu en un village artistique autosuffisant.
Une architecture née du geste : la construction intuitive
La cabane magique n’a pas été conçue à partir de plans d’architecte. Elle a été construite empiriquement, au fil des années, avec des matériaux trouvés sur place : troncs, planches, tuiles récupérées et pierre locale. Cette approche rappelle les principes de l’architecture vernaculaire, où la forme découle directement du lieu et des ressources disponibles. Chaque ajout (une tour, une lucarne, une galerie) semble répondre à un besoin ou à une intuition du moment. Le résultat est un ensemble asymétrique, poétique, mais structurellement cohérent, qui s’inscrit à merveille dans la topographie forestière.
Bois brut et empilements : la logique constructive
La base du bâtiment repose sur un empilement de rondins horizontaux, technique proche du blockbau alpin ou des chalets de Transylvanie. Les étages supérieurs, plus légers, sont réalisés en planches verticales clouées sur une ossature simple. Les toitures fortement inclinées, couvertes de bardeaux de bois et de tôles, assurent l’évacuation rapide de la neige et rappellent les maisons dinariques. Les fenêtres ouvrent des vues sur la forêt, créant un dialogue constant entre intérieur et nature.
Un jeu de volumes et de verticalité
L’un des aspects les plus frappants de la cabane est la composition verticale des volumes. Plusieurs toitures à pentes inégales s’emboîtent, formant une silhouette dynamique qui évoque une architecture organique. La tour principale, élancée, donne l’impression d’un clocher ou d’un observatoire. Ce jeu de proportions et de déséquilibres maîtrisés confère à la cabane un caractère authentique, presque anthropomorphique, comme si elle grandissait avec la forêt qui l’entoure.
L’influence de l’architecture dinarique et des katuni
Bien que singulière, la cabane magique s’inscrit dans une tradition constructive montagnarde. Elle évoque les katuni, abris temporaires utilisés autrefois par les bergers dans les massifs dinariques. Ces petites structures en bois et pierre, à toits très pentus, servaient d’abri saisonnier durant la transhumance. La cabane de Zelenkovac reprend cette logique d’économie de moyens, d’adaptation au climat et de proximité avec la nature, tout en la traduisant dans un langage artistique contemporain.
Une esthétique de la récupération et du recyclage
Chaque planche, chaque fenêtre et chaque tuile de la cabane de Zelenkovac semble porter la mémoire d’un autre lieu. Boro Nedić a conçu son œuvre comme une mosaïque de matériaux retrouvés, glanés dans les villages environnants, dans d’anciennes granges ou scieries abandonnées. Rien n’est standardisé : les portes ne s’accordent pas tout à fait, les cadres de fenêtres sont dépareillés, les poutres présentent encore les traces de leur premier usage. Cette approche du réemploi n’est pas uniquement esthétique : elle relève d’une philosophie artisanale, où la main de l’homme prolonge la vie du bois et évite le gaspillage. Dans ce sens, la cabane s’inscrit pleinement dans une logique d’architecture circulaire avant l’heure, où chaque élément récupéré trouve une nouvelle fonction sans passer par le cycle industriel.
Mais au-delà de la simple récupération, l’assemblage hétéroclite de la cabane crée une alliance inattendue. Les matériaux d’âges et de textures différentes dialoguent entre eux, produisant une composition vibrante, presque musicale. Le contraste entre les surfaces polies et les parties brutes, confère au bâtiment une présence, comme s’il respirait la forêt environnante. Cette esthétique du bricolage poétique, proche de l’art brut, fait de Zelenkovac un exemple d’architecture instinctive : ni folklorique, ni académique, mais enracinée dans l’économie du lieu et la sensibilité de celui qui l’a bâtie.
Un écosystème culturel et écologique
Autour de la cabane magique s’est développé le Zelenkovac Eco Zone, un petit complexe de cabanes, galeries, espaces de concert et jardins. Le lieu accueille chaque année un festival de jazz et des résidences d’artistes. Les constructions environnantes poursuivent la même logique : matériaux locaux, auto-construction, formes organiques. Zelenkovac est devenu un laboratoire d’architecture alternative, où l’on expérimente une façon de bâtir respectueuse de la nature, de l’artisanat et du rythme des saisons.
Entre conte et manifeste architectural
La cabane magique de Zelenkovac illustre un renversement du rapport entre art et habitat : ici, l’architecture est un acte poétique, évolutif, enraciné dans le paysage. Elle montre qu’un bâtiment peut naître sans dessin préalable, sans ingénierie sophistiquée, simplement par observation du site, du climat et des matériaux disponibles. Ce faisant, elle rejoint une longue tradition européenne d’architecture spontanée et témoigne de la créativité rurale bosnienne, encore trop méconnue.