Dans la capitale sénégalaise, les murs transmettent des messages, reflètent des aspirations. Dans le quartier de Damels, au cœur de la médina de Dakar, cette parole s’exprime avec éclat par la couleur et le geste artistique. Ici, les façades deviennent des toiles collectives. L’expérience AFRICA ♥ COLOR, née en 2011 lors du Festival XEEX et prolongée à Damels lors de la Biennale Dak’Art en 2012, illustre cette rencontre entre art urbain, vie communautaire et désir de transformation sociale.
Une naissance au croisement de l’art et du civisme
L’Afrique a toujours entretenu un rapport privilégié avec la couleur. Textiles, parures, architecture, elle est un langage codé, porteur de symboles et de significations. C’est cette énergie chromatique que les initiateurs du projet AFRICA ♥ COLOR ont voulu mettre en lumière. L’idée n’était pas juste de décorer, mais de réinventer un espace de vie, de redonner du souffle à un quartier en impliquant ses habitants.
En mai 2012, à l’occasion de la Biennale Dak’Art, le quartier de Damels, dans la médina de Dakar, s’est transformé en atelier à ciel ouvert. Né un an plus tôt lors du Festival XEEX, le projet AFRICA ♥ COLOR repose sur une conviction : l’Afrique vit de couleurs, les aime et leur offre une place dans son quotidien chargé de symboles. C’est dans cet esprit qu’une douzaine d’artistes internationaux ont rejoint plus de cinquante volontaires du quartier. Pendant une semaine, les habitants ont nettoyé les rues, réparé les façades et préparé leur environnement avant d’accueillir l’explosion chromatique.

Quand les murs deviennent des toiles
Le résultat fut spectaculaire. Dix maisons repeintes de couleurs vives, sept graffitis originaux, deux grandes fresques murales et plus de trente collages monumentaux se sont intégrés à la vie du quartier. Les murs, autrefois ternes, sont des surfaces de dialogue entre artistes et habitants. Chaque couleur a une histoire : le rouge de la vitalité, le jaune de l’optimisme, le bleu de la mémoire, le vert de l’espoir.
À Damels, l’art de rue ne s’impose pas comme une signature extérieure, mais comme une écriture partagée. Les habitants, enfants comme adultes, ont participé à la transformation. Les façades sont devenues des vitrines de fierté collective. Le quartier, longtemps perçu comme marginalisé, a commencé à attirer les regards, non plus pour ses difficultés mais pour son inventivité.
Un projet en expansion permanente
L’ambition de AFRICA ♥ COLOR ne s’est jamais limitée à une intervention ponctuelle. L’événement était conçu comme une invitation ouverte : un appel lancé aux artistes de Dakar, du Sénégal et du monde entier pour venir prolonger cette métamorphose. La vision des organisateurs est que les murs de Damels deviennent un chantier permanent, en mouvement, toujours prêt à accueillir de nouvelles œuvres.
Cet aspect “interminable” du projet reflète une certaine philosophie : la ville change, le quartier change, et l’art doit accompagner cette transformation. Dans ce processus, l’art n’est pas figé, il est permanent, réactif, en dialogue avec les mutations sociales et les besoins de ses habitants.

Sensibiliser et embellir à la fois
Derrière la couleur, le projet porte un message civique et écologique. Les peintures et fresques sont un moyen de sensibiliser à la pollution, de promouvoir la propreté urbaine et d’améliorer le cadre de vie. En redonnant de l’éclat aux maisons, les habitants se réapproprient leur environnement.
L’impact dépasse l’esthétique. Des murs propres et colorés modifient le regard porté sur le quartier, tant par ceux qui y vivent que par ceux qui le visitent. L’image de Damels évolue : d’un espace contraint, il devient un lieu de créativité, de résistance face au fatalisme et aux discours catastrophistes. Comme le disent les initiateurs du projet : peindre le monde, c’est déjà esquisser le futur que l’on souhaite.


Dakar, capitale de l’art contemporain africain
Le choix du quartier de Damels n’est pas anodin. Dakar s’impose depuis plusieurs décennies comme un foyer majeur de l’art contemporain africain, avec la Biennale Dak’Art comme vitrine internationale. L’ancrage d’un projet de street art dans la médina prolonge cette dynamique en la rapprochant du quotidien des habitants. Là où les expositions se tiennent dans des galeries ou des musées, AFRICA ♥ COLOR offre une version ouverte, gratuite et accessible de la création contemporaine.
Cette articulation entre art institutionnel et art populaire est essentielle. Elle permet à la Biennale de dépasser ses murs et d’irriguer la ville entière, du centre historique jusqu’aux quartiers périphériques. Elle démontre que l’art peut être un objet de contemplation et un outil de transformation urbaine.

La couleur comme résistance
Dans un contexte de crise et de difficultés sociales, peindre devient un acte politique au sens noble du terme. C’est affirmer que malgré les incertitudes, la vie continue et mérite d’être embellie. Les habitants de Damels, en participant à la métamorphose de leur quartier, opposent une résistance pacifique au découragement. La couleur est une arme douce, capable de réenchanter l’espace urbain. Chaque façade repeinte dit : “nous sommes ici, nous avons une histoire, nous avons un avenir”.
Le projet rappelle que l’esthétique et le civisme peuvent aller de pair, que le beau n’est pas un luxe mais une nécessité pour se projeter collectivement. Au-delà des murs, c’est la dynamique communautaire qui compte. Les habitants, en s’impliquant , ont retrouvé une forme de cohésion et de fierté partagée. Ce tissu social renforcé ouvre des perspectives : attirer des visiteurs, développer de nouvelles activités, etc.

Une leçon universelle
L’expérience de Damels dépasse largement les frontières de Dakar. Elle illustre une idée universelle : la ville appartient à ceux qui la vivent, et chacun peut participer à sa transformation. L’art urbain, loin d’être un simple ornement, peut devenir un outil d’émancipation et un moteur d’espérance.
Peindre sa maison, son mur, sa rue, ce n’est pas uniquement un acte d’embellissement : c’est affirmer une vision du monde. Comme le résument les initiateurs du projet : “la vie a la couleur avec laquelle on la peint”. À Damels, ce choix s’est traduit par des façades éclatantes, des fresques vibrantes et surtout, une énergie contagieuse qui continue de rayonner bien après la fin de la Biennale.