La présence italienne en Libye, de 1911 à 1947, a marqué l’urbanisme et l’architecture locale. Si le patrimoine berbère, ottoman ou tripolitain reste dominant, de nombreux quartiers et édifices témoignent aujourd’hui de ce pan de l’histoire du pays. L’architecture italienne en Libye, portée par une volonté de modernisation et d’implantation durable, a introduit des typologies d’habitats, des matériaux nouveaux et un vocabulaire formel issu directement de la péninsule italienne et de ses doctrines urbanistiques du début du XXe siècle. Cette période, divisée entre la colonisation initiale (1911-1934) et la phase de la « Libye italienne » (1934-1947), a laissé des traces lisibles dans plusieurs villes côtières du pays.
Contexte historique et influences
La période coloniale italienne a transformé le paysage urbain et architectural de la Libye. Pour comprendre l’apparition et l’évolution des maisons italiennes dans le pays, il convient d’analyser le contexte historique et les influences qui ont marqué chaque étape de cette présence européenne.
La colonisation italienne (1911-1934)
Après la guerre italo-turque et l’annexion de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque, l’Italie lance une politique d’occupation visant à implanter une population européenne. Outre la création d’infrastructures (routes, ports, hôpitaux), des villages agricoles et des lotissements résidentiels voient le jour, suivant des modèles testés dans d’autres colonies (Erythrée, Somalie). Les premiers édifices traduisent une architecture d’importation, souvent standardisée et sans adaptation poussée au contexte climatique libyen.
La « Libye italienne » (1934-1947)
À partir de 1934, la politique coloniale s’intensifie avec la création officielle de la « Libye » comme entité politique unique. Des plans d’urbanisme sont élaborés pour Tripoli, Benghazi et d’autres centres régionaux. L’architecture italienne se veut alors le reflet d’une modernité coloniale, mais elle doit composer avec le climat local et les matériaux disponibles. On observe une évolution progressive, d’une reproduction de modèles italiens vers une intégration de certains procédés adaptés à l’Afrique du Nord.

Caractéristiques architecturales
Les maisons italiennes édifiées en Libye durant la période coloniale possèdent des caractéristiques propres, révélatrices de l’influence méditerranéenne et des adaptations nécessaires au climat local. Une étude détaillée de leurs éléments architecturaux permet d’en saisir toute la singularité.
Organisation spatiale
Les maisons italiennes bâties durant la période coloniale ont une organisation rationnelle : volumes compacts, distribution claire entre espaces de vie, chambres et zones de service. Le plan en U ou en L est fréquent, organisant les pièces autour d’un patio ou d’un jardin, source d’ombre et de fraîcheur.
Volumétrie et élévation
Ces constructions sont souvent à 1 ou 2 niveaux, avec des toitures en terrasse (accessible ou simple dalle) ou des toits à faible pente recouverts de tuiles, typiques du littoral méditerranéen. L’élévation se veut sobre : façades lisses, enduits à la chaux blanche ou ocre, modénatures discrètes autour des ouvertures.
Matériaux et techniques de construction
Au début, l’importation de matériaux italiens (tuiles, ciment, menuiseries, ferronnerie) est courante. Très vite, l’utilisation de ressources locales s’impose : pierre calcaire, brique de terre cuite, chaux. Les murs porteurs, épais, assurent une isolation adaptée aux écarts de température. Les menuiseries en bois, parfois protégées par des volets intérieurs, témoignent d’une influence italienne persistante.
Ouvertures et lumière
Les façades sont percées de fenêtres rectangulaires, souvent à double battant, dotées de persiennes pour limiter la chaleur. Les pièces de vie privilégient l’orientation nord et est, afin de profiter de la lumière naturelle tout en évitant la surchauffe. L’alternance entre les murs pleins et les ouvertures (portes, fenêtres) dans les maisons, une caractéristique courante en Méditerranée, permet à l’air de circuler facilement d’une pièce à l’autre. Cette organisation favorise ainsi la ventilation croisée, une technique qui aide à rafraîchir naturellement l’intérieur en créant des courants d’air entre deux façades opposées.
Détails stylistiques
Certaines maisons arborent des arcades en façade ou sur cour, évoquant l’architecture néo-mauresque alors en vogue en Italie au début du XXe siècle. On retrouve parfois des loggias, balcons filants, colonnettes, ainsi que des éléments de décor stuqués (corniches, encadrements moulurés). Les couleurs sont sobres : blanc, beige, teintes de sable. Cette palette s’intègre discrètement au paysage urbain.
Exemples de villes et quartiers à héritage italien
Plusieurs villes libyennes ont des quartiers où l’empreinte architecturale italienne demeure visible. Quelques exemples permettent d’illustrer la diversité et la répartition de ce patrimoine sur le territoire.
Al Khums (Leptis Magna)
Si la ville est surtout connue pour ses vestiges romains, le centre d’Al Khums a été réorganisé durant la période italienne, avec la construction de maisons individuelles en périphérie, souvent de plain-pied, aux façades enduites de blanc et aux toitures à deux pentes. Ces bâtiments contrastent avec l’architecture rurale traditionnelle de la région. Ils témoignent d’une volonté de modernisation à l’époque coloniale.
Gharian
Située dans les montagnes du Djebel Nefoussa, Gharian conserve quelques maisons bâties pour les colons agricoles italiens : volumes massifs, grandes fenêtres, terrasses couvertes, adaptation aux pentes du terrain. La disposition des villages, en grappe autour d’une place centrale, reprend des principes d’urbanisme méditerranéen. Cette organisation favorise la vie collective et l’échange entre habitants.
Benghazi
Dans le centre historique de Benghazi, plusieurs bâtiments témoignent de la présence italienne : habitations collectives, immeubles d’angle, villas entourées de jardins. Le quartier de Sidi Abayd et les abords de la cathédrale de Benghazi présentent des exemples de maisons à patio central et de petits immeubles de style rationaliste. Les décors de ferronnerie et les volets en bois confèrent une identité particulière à ces ensembles. Cette architecture contribue au caractère singulier du centre-ville.
Tripoli
La capitale abrite le plus vaste ensemble d’architecture coloniale italienne du pays. Le quartier d’El Dahra, édifié entre les années 1920 et 1930, conserve de nombreuses maisons individuelles ou mitoyennes construites selon les principes urbanistiques italiens : rues orthogonales, places arborées, villas de style méditerranéen. Le long de la Via Roma (actuelle Shari’ al-Fatah), on observe encore des façades typiques, parfois rénovées, parfois laissées à l’abandon. Ce contraste reflète l’histoire mouvementée du quartier.

Spécificités locales et adaptation au contexte libyen
Si l’inspiration italienne domine, plusieurs adaptations sont notables :
- Les maisons sont fréquemment dotées de pergolas, loggias ou auvents pour protéger les espaces extérieurs du soleil. Ces éléments assurent confort et protection en période estivale.
- La maçonnerie, souvent réalisée en pierre calcaire locale, répond à la nécessité de lutter contre la chaleur estivale et l’humidité marine. Ce choix optimise l’isolation et la durabilité.
- Les jardins intérieurs, héritage à la fois arabe et méditerranéen, sont omniprésents dans les quartiers résidentiels conçus à l’italienne. Ils apportent fraîcheur et intimité au cœur de l’habitat.
Dans les campagnes, les maisons coloniales intègrent parfois des éléments de l’habitat vernaculaire libyen : pièces semi-enterrées, silos à grains, murs épais blanchis à la chaux.
État et valorisation du patrimoine italien en Libye
L’état de conservation de ces maisons italiennes en Libye varie énormément : certaines ont été transformées, divisées ou surélevées, d’autres sont abandonnées ou en ruine, conséquence des aléas politiques et économiques du pays. Quelques initiatives locales cherchent à préserver ce patrimoine, parfois inscrit à l’inventaire des sites protégés, mais la documentation reste limitée.
Plusieurs maisons et édifices remarquables font l’objet de restaurations dans les centres historiques de Tripoli et Benghazi, où la mixité des influences architecturales est un enjeu identitaire et urbain.
Les maisons italiennes dans la culture urbaine libyenne
Pour de nombreux habitants, ces maisons italiennes incarnent une période de transformation urbaine et de contact avec d’autres cultures méditerranéennes. Leur style sobre, leurs patios ombragés et leur adaptation au climat en font aujourd’hui des habitats recherchés dans certains quartiers anciens. Ces demeures suscitent également l’intérêt de chercheurs et de passionnés de patrimoine, qui y voient un témoignage précieux de l’histoire architecturale du XXe siècle en Afrique du Nord.
L’architecture italienne en Libye, en particulier les maisons édifiées durant la période coloniale, illustre l’influence exercée par l’Italie sur l’habitat urbain et rural du pays. Ces maisons, reconnaissables à leur organisation spatiale rationnelle, à leurs volumes sobres et à l’utilisation de matériaux adaptés au climat méditerranéen, sont un patrimoine architectural singulier, méritant d’être documenté et valorisé. Tripoli, Benghazi, Al Khums ou Gharian offrent encore de nombreux exemples de ce legs.