Architecture Queen Anne : secrets d’un style exubérant et raffiné

Parmi les styles architecturaux qui ont façonné les quartiers résidentiels anglo-saxons à la fin du XIXᵉ siècle, le style Queen Anne occupe une place de choix. Ornementé et audacieux, il illustre bien l’attrait de l’époque pour les détails pittoresques, la fantaisie et le mélange des influences. Bien qu’il porte le nom d’une souveraine du XVIIIᵉ siècle, ce style s’inscrit en réalité dans la phase tardive du courant victorien.

Aux origines : un style victorien inspiré du XVIIIᵉ siècle

Contrairement à ce que son nom pourrait laisser croire, le style Queen Anne ne date pas du règne de la reine Anne, qui a gouverné l’Angleterre de 1702 à 1714. Il s’agit en réalité d’un style imaginé et popularisé bien plus tard, dans les années 1870, au cœur de l’époque victorienne.

Son créateur le plus influent est l’architecte britannique Richard Norman Shaw, qui cherchait à renouveler l’architecture résidentielle anglaise. Pour cela, il s’est librement inspiré des maisons de campagne et des bâtiments en briques rouges typiques du début du XVIIIᵉ siècle, tout en intégrant des éléments médiévaux, des détails Renaissance néerlandaise et une touche pittoresque propre au goût victorien.

Le Queen Anne britannique se distingue donc par son aspect « revivaliste » : il ne reproduit pas fidèlement l’architecture du temps de la reine Anne, mais la réinvente dans un style éclectique et ornementé, correspondant aux aspirations esthétiques de la fin du XIXᵉ siècle.

Ce style s’est rapidement diffusé dans les banlieues londoniennes, notamment à Bedford Park, considéré comme le premier lotissement jardin de banlieue, où l’on peut encore admirer ses façades en briques rouges, ses hautes cheminées et ses pignons décoratifs. À partir des années 1880, le style traverse l’Atlantique et connaît un succès retentissant aux États-Unis. Là-bas, il est interprété de façon encore plus spectaculaire, avec une profusion de boiseries décoratives, de tourelles et de vérandas ouvragées qui donnent aux quartiers résidentiels nord-américains leur charme si reconnaissable.

maison d'architecture Queen Anne

Un style marquant dans l’histoire de l’habitat bourgeois

Au Royaume-Uni comme aux États-Unis, la diffusion du Queen Anne correspond à une période où la classe moyenne émergente aspire à afficher un certain confort et un goût affirmé pour l’ornementation. La démocratisation des matériaux industriels et l’essor des catalogues de plans standardisés facilitent la construction de maisons aux façades travaillées et aux silhouettes asymétriques. Les dates à retenir :

  • 1870-1880 : premières réalisations en Grande-Bretagne, principalement pour des villas urbaines ou suburbaines. Ces premières maisons, comme ces cottages victoriens, illustrent déjà le mélange typique de briques rouges, de pignons à colombages et de toitures complexes. Elles marquent une rupture avec l’austérité géorgienne en remettant à l’honneur les détails et l’asymétrie.
  • 1880-1910 : âge d’or du Queen Anne en Amérique du Nord.
  • Après 1910 : le style décline progressivement, supplanté par l’essor du Colonial Revival et des lignes plus sobres de l’architecture de style Craftsman et de l’architecture de style Prairie.

Les caractéristiques majeures du style Queen Anne

Ce qui frappe d’emblée, c’est le foisonnement décoratif et la complexité des volumes. Voici quelques traits distinctifs qui permettent de reconnaître une demeure Queen Anne au premier coup d’œil :

  • Toits complexes : de multiples pentes, des lucarnes, des tourelles coniques ou polygonales qui créent un profil animé et varié. chaque maison a une silhouette unique, reconnaissable de loin
  • Tourelles d’angle : ce sont des petites tours élancées, souvent coiffées d’un toit conique ou polygonal, qui accentuent la verticalité et apportent une touche théâtrale.
  • Façades asymétriques : aucun mur n’est parfaitement rectiligne avec le style Queen Anne, tout est ponctué de bow-windows, de porches et d’avancées en encorbellement.
  • Ornementation de bois : l’usage du spindlework (motifs de bois tourné) pour les balustrades, les frises sous les toits ou les garnitures de porches est une signature du style.
  • Variété de matériaux et de textures : bardeaux de bois, planches à clins, briques apparentes, parfois associées à de la pierre. Le jeu des textures renforce le caractère pittoresque.
  • Couleurs audacieuses : contrairement à la sobriété de certaines époques antérieures, les maisons Queen Anne arborent des palettes polychromes pour souligner les détails architecturaux.
  • Vitraux et fenêtres à petits carreaux : des baies vitrées colorées ou à motifs géométriques viennent souvent agrémenter les façades. Elles fajoutent une touche d’élégance unique.
détail spindlework

Des exemples célèbres et emblématiques

En Grande-Bretagne

Les premières maisons Queen Anne de Norman Shaw, notamment Bedford Park à Londres (quartier considéré comme le premier « garden suburb », un quartier résidentiel conçu comme une cité-jardin, avec des espaces verts communs et une conception urbaine harmonieuse), sont une référence. Les façades en briques rouges, ponctuées de pignons et de hautes cheminées, sont une version plus sobre que celle popularisée outre-Atlantique. Elles illustrent l’équilibre entre tradition et fantaisie discrète.

Aux États-Unis

C’est surtout dans les villes nord-américaines que le style a atteint son apogée décoratif. Parmi les exemples les plus connus :

  • Les « Painted Ladies » de San Francisco sont une série de maisons mitoyennes richement ornées et colorées face à Alamo Square, construites entre 1892 et 1896.
  • The Carson Mansion à Eureka, en Californie est souvent citée comme l’un des plus beaux spécimens Queen Anne au monde, avec ses tourelles, ses boiseries sculptées et son asymétrie spectaculaire. Elle attire chaque année des passionnés d’architecture du monde entier.
  • De nombreux quartiers historiques de villes comme Boston, Chicago ou New Orleans abritent encore des rangées de maisons Queen Anne merveilleusement bien restaurées.

Pourquoi ce style plait-il encore aujourd’hui ?

Au-delà de son aspect théâtral, le Queen Anne séduit pour son atmosphère unique et sa capacité à raconter une époque de transition. Pour les amateurs de restauration, posséder une maison Queen Anne, c’est s’engager à préserver un patrimoine ornemental foisonnant, souvent réalisé à la main.

La polyvalence de ce style permet aussi des adaptations contemporaines. Certains architectes réinterprètent ses éléments : vérandas ornées, bow-windows et toitures complexes trouvent leur place dans des constructions neuves qui conservent une touche rétro en respectant les normes actuelles.

Dans la vidéo ci-dessous, vous pouvez découvrir l’intérieur d’une maison de style Queen Anne :

Conseils pour rénover ou s’inspirer du Queen Anne

Pour ceux qui souhaitent restaurer une demeure de ce type ou simplement intégrer quelques références stylistiques dans une maison plus moderne, voici quelques recommandations pratiques :

  • Privilégier la restauration fidèle : conserver les frises, colonnes tournées et détails de boiserie est un gage d’authenticité. Chaque élément d’origine valorise le caractère historique de la maison.
  • Entretenir régulièrement les éléments en bois : le spindlework exposé aux intempéries demande des retouches de peinture et un traitement antifongique pour éviter la détérioration.
  • Soigner la palette de couleurs : oser les associations contrastées pour mettre en valeur les moulures et les variations de volume. Des teintes bien choisies accentuent la richesse des détails.
  • Valoriser les vérandas et porches couverts : ces espaces conviviaux peuvent être isolés ou fermés pour un usage quatre saisons, tout en conservant leur charme originel.

Aujourd’hui, le style Queen Anne reste un symbole fort de l’ère victorienne tardive et du goût pour l’exubérance maîtrisée. Qu’il s’agisse de préserver une maison historique ou de puiser dans son vocabulaire pour nourrir un projet neuf, ce style inspire par sa fantaisie et son raffinement.

Pour tout passionné d’architecture résidentielle, le Queen Anne offre un terrain d’exploration inépuisable, tant par la richesse de ses détails que par l’histoire sociale qu’il porte en filigrane.

En résumé, qu’il orne les rues de San Francisco ou qu’il ponctue une banlieue anglaise, le style architectural Queen Anne demeure un témoignage précieux de l’architecture domestique de la fin du XIXᵉ siècle. Pour qu’il traverse encore les générations, il mérite l’œil attentif et la main patiente de celles et ceux qui savent en apprécier chaque volute, chaque bow-window et chaque tourelle.

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