Cienfuegos a une réputation tenace : une ville claire, ordonnée, à l’air français. Vous le sentez dès les premiers pas sur la Plaza José Martí. Les alignements sont nets, les façades tiennent une même ligne, les portiques dessinent une ombre continue. Ce décor n’est pas que joli. Il raconte une manière de bâtir au XIXᵉ siècle, quand la cité s’est développée grâce au port sucrier et à des colons venus de l’aire franco-caribéenne. Parlons maisons, rues, matériaux, et gestes d’architecte qui répondent au climat.
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Un cadre urbain pensé pour respirer
La trame est orthogonale, avec de larges rues qui se croisent à angle droit. Cela facilite l’orientation. Cela aide aussi l’air à circuler. Sous les arcades, vous marchez à l’ombre. Les portales protègent les piétons et la base des façades. Les rez-de-chaussée accueillent boutiques et ateliers ; les étages gardent l’intimité du logement. Le plan place une grande place civique au centre, entourée d’édifices publics, d’églises et de maisons de notables. Dans la ville de Cienfuegos, ce cœur est toujours bien lisible.
Sur le Paseo del Prado et la rue San Fernando, la ville de Cienfuegos déroule une leçon de façade après l’autre. Les gabarits ne débordent pas. Les corniches se répondent d’un côté à l’autre. Vous voyez tout de suite le principe : l’ornement change, la règle d’alignement tient bon.
Des maisons de ville à portique
La maison de ville se lie à la rue par un portique. Colonnes, arcs segmentaires ou pleins cintres, parfois un entablement simple. Sous ce bandeau, portes hautes et fenêtres jalousies laissent entrer l’air sans livrer la vue. L’ornement vient par touches : chapiteaux moulurés, encadrements enduits, persiennes fines.
La parcelle est longue. On entre, puis on traverse une ou deux pièces pour atteindre une cour. Le patio, règle l’ensoleillement : lumière verticale, ventilation croisée, évacuation de l’eau. Autour, des galeries allègent la façade intérieure. Le bois (cèdre/acajou) se prête aux menuiseries. Les sols en carreaux refroidissent le pas. Vous marchez sur un damier frais, c’est une sensation que l’on n’oublie pas.

Les quintas de Punta Gorda
À l’extrémité de la péninsule, les quintas de Punta Gorda montrent une autre famille de maisons. Jardins ouverts, vérandas profondes, pièces en enfilade. On y cherchait l’air du large. Les silhouettes prennent de la fantaisie au tournant du XXᵉ siècle : coupoles, tourelles, loggias. Les colonnes restent, mais les motifs changent. La maison s’ouvre sur toutes ses faces, avec des varandas qui tournent l’angle. Ici, la relation au paysage prévaut : lumière rasante du soir, brise du golfe, vues diagonales sur l’eau.

Un vocabulaire néoclassique, puis éclectique
Le néoclassicisme donne le ton au XIXᵉ siècle. Trames régulières, baies hautes, frontons discrets, corniches horizontales. Pas d’exubérance. Le langage vise la proportion. La couleur fait beaucoup : bleus doux, verts d’eau, ocres pâles. Cette palette apaise la rue et convient au soleil.
Avec la prospérité, les maisons prennent des libertés. Vous verrez des vitrales au-dessus des portes, en éventail, qui colorent le hall d’entrée. Vous verrez des gardes-corps en fer travaillé, parfois importés, parfois sortis d’ateliers locaux. À la fin du siècle, l’éclectisme s’invite. On marie moulures classiques et motifs plus libres. Le début du XXᵉ voit surgir des coupoles et des dômes légers sur certaines demeures.

Intérieur : pièces hautes, portes jumelles, patio régulateur
Les hauteurs sous plafond sont généreuses. Cela limite la chaleur au niveau de vie. Les portes jumelles, souvent opposées, créent un courant d’air franc. Les auvents protègent les baies des pluies d’averse. Dans la cour, un puits ancien, un lavabo en pierre, des plantes en pots. Rien d’ostentatoire. Tout sert à rendre le quotidien supportable pendant la saison humide.
Les pièces principales s’alignent côté rue. Le salon s’ouvre par deux grandes portes battantes. Les chambres s’éloignent vers l’arrière, plus fraîches. Une cuisine ventilée, parfois séparée du volume principal, évite d’échauffer la maison. Entre les pièces, des vitrages colorés dans les impostes laissent passer l’air et le jour. Ce détail simple transforme l’ambiance. On peut fermer sans étouffer.
Matériaux et techniques
Les murs portent en maçonnerie de brique et de pierre, enduits à la chaux. Ce couple mur épais + enduit respire. Il absorbe l’humidité nocturne, il la relargue au soleil. La chaux accepte les microfissures et se répare par reprises locales. Les charpentes utilisent des bois durs pour les pièces maîtresses et des bois plus légers pour le lattage. Les couvertures alternent : toits à faible pente cachés derrière un parapet ou toitures apparentes en tuiles canal. Dans les deux cas, on vise l’ombre portée et l’écoulement de l’eau.
La quincaillerie compte : pentures larges, serrures solides, barreaudages fins. Les fenêtres jalousies en bois orientent le flux d’air. Les stores intérieurs filtrent la lumière. Beaucoup de maisons gardent des sols en baldosas hydrauliques moulés en Cuba à partir de modèles européens. On retrouve des rosaces, des frises, des géométries nettes. Quand vous entrez, le motif vous ancre au sol ; la hauteur laisse respirer.


Adaptations au climat et aux cyclones
Construire en bord de mer impose des règles. Plinthes hautes en façade pour passer les pluies battantes. Enduits réguliers pour fermer la porosité. Charpentes contreventées. Fixations renforcées aux points d’appui. Ferrures soignées pour que les volets tiennent. Les maisons de ville s’abritent mutuellement par mitoyenneté. Les avants-toits limitent les ruissellements sur les murs.
La ventilation est une nécessité. Les maisons multiplient les traversées : deux portes alignées, persiennes, impostes vitrées. Le patio agit comme un puits à air. L’air chaud monte, l’air neuf prend sa place. Vous sentez ce souffle en avançant du portique à la cour. Ce n’est pas spectaculaire. C’est constant et utile.
Lire une façade à Cienfuegos
Voici une méthode rapide pour regarder. Placez-vous en face. Repérez la trame : largeur des travées, répétition des baies. Comptez les pleins et les vides. Cherchez la corniche : simple ou moulurée, elle donne la hauteur de référence. Regardez le soubassement : peint différemment, plus solide, il protège la base du mur. Observez les encadrements : pilastres, bandeaux, clés d’arc. Notez le portail : double vantail ou porte cochère ; imposte pleine ou vitrée. Le message est clair : ordre, mesure, confort d’usage.
Ensuite, avancez. Sous le portique, le rythme se resserre. Les colonnes créent une seconde façade au bord du trottoir. À l’angle des rues, les maisons soignent la courbe ou la coupe droite.
L’angle actif attire l’œil. Dans la cour, cherchez les galeries en bois et les escaliers secondaires : ils parlent de la vie domestique, des circulations discrètes, des heures les plus chaudes.

Trois zones pour voir des maisons coloniales
- Autour de la Plaza José Martí. Vous trouverez des demeures alignées sur une séquence d’édifices civiques. L’ordonnance est sobre ; la qualité des enduits fait la différence. Les portiques accueillent librairies, cafés, petits ateliers. Asseyez-vous à l’ombre et regardez la rue respirer.
- Boulevard San Fernando et rues adjacentes. Les maisons de marchands se succèdent avec leurs arcades. Les rez-de-chaussée actifs gardent leur rythme commercial. Les étages ouvrent des balcons filants, parfois en fonte. Vous verrez des vitrales colorés au-dessus des portes.
- Punta Gorda. Villas et quintas aux vérandas généreuses. Les parcelles offrent des vues vers l’eau. Les maisons jouent avec les vents. Les éléments décoratifs sont plus libres.
Public et domestique : le portique comme zone tampon
Le portique n’est pas qu’un décor. C’est une pièce de rue. On y discute, on y attend la fraîcheur du soir, on regarde la pluie tomber sans se mouiller. La maison s’ouvre sans se livrer. Les seuils sont hauts pour retenir l’eau. Quand une averse éclate, chacun ferme les jalousies, puis les rouvre dès que la lumière revient. Un commerçant rencontré sur le Prado résumait la logique avec humour : « Ici, on ne cache pas la maison, on la filtre. » Vous voyez aussitôt l’intention : laisser passer l’air, garder l’intimité.

Couleurs et entretien
Les couleurs pastel ne sont pas une fantaisie récente. Elles servent à réduire l’éblouissement et à tempérer la chaleur accumulée par les murs. Les enduits à la chaux tiennent bien si on les ravive régulièrement. Racler, reboucher, badigeonner : trois gestes et la façade retrouve sa douceur. Les huisseries demandent une peinture plus résistante au sel et aux UV, avec un contrôle régulier des assemblages pour éviter les jeux. Une corniche fissurée se répare vite si l’on agit tôt. Attendre ne fait qu’agrandir le problème.
Ce que les maisons disent de la ville sucrière
Le XIXᵉ siècle voit affluer capitaux et savoir-faire. Les maisons traduisent cette ambition calme : on affirme une réussite économique, on adopte un langage européen, on l’adapte au climat caribéen. Le portique protège, la cour rafraîchit, la trame discipline la rue. La prospérité permet des matériaux importés ; le chantier local ajuste et pose. Cette rencontre produit une ville lisible, agréable à parcourir à pied.
Au tournant du XXᵉ siècle, plusieurs demeures adoptent des motifs plus voyants. Coupoles, belvédères, tourelles. On aime voir et se faire voir sur le front de mer. L’essentiel ne change pas : ombre, air, proportions.








Ce que vous pouvez retenir en marchant
Une maison coloniale de Cienfuegos se lit par couches. D’abord la trame et la corniche. Puis le portique et ses colonnes. Ensuite la porte haute, les impostes, les jalousies. À l’intérieur, le patio et la galerie. Chaque élément sert une idée simple : donner de l’ombre, capter l’air, protéger la vie domestique tout en nourrissant la rue. Vous n’avez pas besoin de jargon. Regardez, comparez deux façades voisines, demandez-vous ce qui change. Une moulure plus marquée, un rythme de baies différent, une hauteur de plinthe augmentée. À force d’observer, vous lirez la maison comme une personne lit une carte.
Et si vous devez garder une image, pensez à ce moment de fin d’après-midi sous le portique, quand la ville ralentit. Les colonnes jettent de longues ombres sur le pavé. Une porte s’ouvre, une seconde se referme. L’air glisse de la rue au patio. Toute la logique de ces maisons tient dans ce courant discret. Vous le sentez, et vous comprenez aussitôt pourquoi Cienfuegos donne envie de marcher encore un peu.