Les peintures murales d’Ataco : art populaire et identité culturelle

Concepción de Ataco, nichée dans les cordillères occidentales du Salvador, fait partie du département d’Ahuachapán et se situe le long de la Ruta de las Flores, un itinéraire touristique renommé pour ses villages, ses plantations de café et son artisanat local. Bien que le nom officiel soit Concepción de Ataco, tout le monde l’appelle simplement Ataco. Fondée par le peuple Pipil à l’époque précolombienne, la ville doit son nom au nahuat « Ataco », qui signifie « lieu élevé de sources » ou « lieu des eaux ».

Avant l’arrivée du tourisme, Ataco vivait surtout de l’agriculture, du café et de l’artisanat textile. Son paysage urbain garde encore aujourd’hui ce caractère montagnard : petites places fleuries, façades en adobe peintes à la chaux, tuiles d’argile rouge. En flânant dans la ville, on reconnaît les formes sobres des maisons rurales du Salvador, construites pour durer et pour s’adapter au climat frais d’altitude. Cette architecture vernaculaire sert de toile de fond aux fresques murales qui ont fait la réputation d’Ataco.

Une renaissance portée par l’art mural

Longtemps marginalisée par la guerre civile salvadorienne (1980-1992), Ataco a connu un nouvel essor au début des années 2000. En 2004, la municipalité a rejoint un programme national de revitalisation des villes touristiques soutenu par le gouvernement salvadorien (Programa Pueblos Vivos, Ministerio de Turismo de El Salvador, 2004). Des initiatives locales sont alors lancées pour embellir la ville et attirer les visiteurs. C’est dans ce contexte que sont apparues les premières peintures murales, réalisées par des artistes locaux afin de raconter l’histoire, les traditions et la vie quotidienne du pays.

Ces fresques ont rapidement transformé Ataco en musée à ciel ouvert. Aujourd’hui, elles constituent un moteur du tourisme local et un marqueur d’identité culturelle. Selon le Ministère du Tourisme du Salvador, Ataco fait partie des cinq villes les plus visitées du pays dans la catégorie tourisme rural.

Un art populaire enraciné dans la culture salvadorienne

Contrairement à l’idée d’un simple art décoratif, les fresques murales d’Ataco sont un témoignage culturel. Elles reprennent des thèmes chers à la société salvadorienne : traditions religieuses, agriculture, musique folklorique, scènes de la vie rurale, scènes de vie quotidienne et récits historiques.

Les traditions religieuses : tapis de Semaine Sainte

L’une des fresques les plus emblématiques représente la création des tapis (ou alfombras) pour la Semaine Sainte. Cette tradition, bien connue au Guatemala, existe aussi au Salvador, notamment à Sonsonate et Juayúa. Les habitants fabriquent des tapis colorés en sciure de bois, fleurs et pigments naturels pour accompagner les processions religieuses. Ces créations éphémères symbolisent la dévotion et l’identité communautaire. Elles disparaissent après la procession, signe clair d’une offrande.

ataco fresque des tapis de Semaine Sainte

Scènes rurales et vie quotidienne

Une autre peinture montre une jeune fille portant un pichet d’eau sur la tête. Cette peinture évoque la réalité de nombreuses familles rurales où l’accès à l’eau peut être éloigné des habitations. Elle illustre la résilience des femmes salvadoriennes, souvent chargées des tâches domestiques et agricoles. Cet aspect est régulièrement évoqué dans des études sociales du Programa de las Naciones Unidas para el Desarrollo. On la surnomme parfois « la aguadora », en référence au rôle traditionnel de porteuse d’eau dans les campagnes. Son geste raconte une histoire locale de dignité silencieuse.

Hommage aux caféiculteurs salvadoriens

Cette fresque fait partie des plus représentatives d’Ataco, car elle rend hommage à l’une des activités économiques majeures de la région : la culture du café d’altitude. Situé le long de la Ruta de las Flores, Ataco est entouré de plantations de café ombragées qui prospèrent grâce à un climat tempéré et aux sols volcaniques riches de la cordillère d’Apaneca-Ilamatepec. Le café du Salvador, notamment les variétés Bourbon et Pacamara, est reconnu internationalement pour sa grande qualité.

La scène murale représente une famille de petits producteurs de café, figure emblématique de l’économie rurale salvadorienne, où près de 85 % des exploitations sont familiales. Le père, la mère et l’enfant collaborent à la récolte manuelle des cerises de café, symbole de transmission du savoir-faire agricole entre générations. Le style naïf des personnages et les couleurs chaudes évoquent une ruralité enracinée dans la culture locale. À l’arrière-plan, les collines vertes et la petite église blanche évoquent le paysage typique de l’ouest du Salvador, tandis que les sacs estampillés « Café de El Salvador » rappellent l’identité exportatrice du pays. Cette fresque célèbre un produit agricole, mais aussi la résilience des communautés montagnardes qui continuent de cultiver le café malgré les crises économiques et climatiques.

fresque sur le café à Ataco

Un style artistique naïf et narratif

Le style des fresques d’Ataco est souvent qualifié de naïf. Ce mot ne doit pas faire penser à quelque chose de maladroit. Il décrit plutôt une façons de peindre, sans chercher à paraître compliqué. Les artistes représentent la vie comme ils la voient : simple, rude parfois, mais belle quand elle est partagée.

Les proportions ne sont pas toujours exactes, les perspectives sont libres, mais cela donne un charme particulier. Ce qui compte ici, ce ne sont pas les règles du dessin, c’est l’expression. Chaque visage ou paysage parle d’une histoire. On lit la fierté, la fatigue, la tendresse ou la solidarité. On sent que ces œuvres ne viennent pas d’ateliers ou d’écoles d’art, mais des mains mêmes de la communauté.

La couleur occupe une grande place. Les murs éclatent d’orange, de vert et de bleu. Ce choix ne vise pas que l’effet visuel. Il traduit l’énergie du pays : les marchés bruyants, les fêtes patronales, les champs de café sous le soleil. Les artistes n’hésitent pas à exagérer les teintes, comme pour mieux dire l’intensité.

Ces fresques ont une autre particularité : elles montrent une ville qui cultive son identité. Elles parlent de travail, religion, musique, traditions, mémoire. Elles donnent à voir un mode de vie et une culture que les habitants tiennent à transmettre. Ici, chaque mur devient un récit et chaque rue une galerie d’art.

Tourisme, économie locale et art de rue

L’essor du tourisme a stimulé l’économie locale. Des artisans ont ouvert des ateliers de tissage, des cafés se sont installés et des petits hôtels familiaux ont vu le jour. Parmi les enseignes connues, El Botón, un café tenu par un Français installé au Salvador, est réputé pour son fromage de chèvre artisanal et ses brunchs en terrasse. L’établissement est devenu un point de rencontre pour artistes et voyageurs.

Le tourisme mural a aussi permis de mobiliser la jeunesse locale. Des ateliers artistiques sont proposés par des associations comme Arte para Todos El Salvador, qui utilise les fresques comme outil d’éducation culturelle. Le mouvement a pris de l’ampleur et de nouvelles initiatives voient régulièrement le jour. Elles montrent que les fresques jouent aussi un rôle social dans la ville. Parmi ces actions locales :

  • événements de peinture collective pour renforcer la cohésion de la communauté
  • organisation de stages de peinture pour les enfants des quartiers ruraux
  • restauration de fresques abîmées par les intempéries
  • création de parcours guidés pour raconter l’histoire des murs
  • ateliers intergénérationnels réunissant anciens et jeunes artistes
fresque d'Ataco

Une ville engagée dans la préservation culturelle

Avec plus de 200 peintures murales réparties dans ses rues et ruelles, Ataco continue de développer une identité culturelle forte. Des festivals d’art sont organisés plusieurs fois par an, dont Arte en las Calles, qui invite des artistes nationaux et internationaux à créer de nouvelles fresques collectives.

Les peintures murales d’Ataco ne sont pas là que pour faire joli. Elles parlent de la ville, de ses habitants et de leur façon de vivre ensemble. Mur après mur, elles montrent comment une petite communauté des montagnes a choisi l’art pour se relever, faire connaitre sa culture et donner du travail à ceux qui en manquaient. Chaque fresque est un morceau de vie, un souvenir ou un clin d’œil à une tradition. On ne visite pas Ataco, on la parcourt comme un livre dont les pages sont peintes sur les façades. Entre mémoire et présent, les murs expliquent clairement ce que signifie appartenir à un lieu.

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