Les maisons traditionnelles des Émirats Arabes Unis

Vous voyez d’abord la lumière, puis la poussière portée par le vent. Entre mer et désert, l’habitat s’est ajusté au climat bien avant l’essor pétrolier. Les maisons traditionnelles des Émirats Arabes Unis parlent de gestes sobres, de matériaux locaux et d’une attention fine aux usages. Rien de spectaculaire. Juste des solutions qui tiennent au bon sens, à l’économie de moyens et à la vie quotidienne.

Un territoire contraignant, des réponses précises

Le climat est chaud une bonne partie de l’année, avec des étés longs et humides sur la côte du Golfe. À l’intérieur des terres, la chaleur sèche domine. La montagne au nord apporte la pierre, les oasis apportent l’ombre et l’eau, la côte apporte la pêche et le commerce. Les maisons vernaculaires des Émirats Arabes Unis se sont construites dans ce cadre. Elles visent trois choses : se protéger du soleil, capter le vent, organiser la vie familiale autour d’un cœur frais. Chaque région a trouvé ses propres réponses.

Et cela commence par la parcelle. Les rues étroites réduisent l’ensoleillement direct et créent de l’ombre. Les murs s’alignent, les portes ne se font pas face. Les ouvertures sont mesurées côté rue. Les vues sont filtrées par des grilles en bois ou en plâtre sculpté. Au centre de la maison, une cour : elle dirige l’air, distribue les pièces et sert d’espace de travail, de socialisation, de jeu ou de repos selon l’heure.

maison traditionnelle émirats arabes unis

3 types de maison, un même objectif : le confort d’été

Selon les régions, les matériaux et les formes changent, mais le but est le même : rendre la chaleur supportable. Trois types d’habitations dominent, chacun né d’un paysage précis et d’un savoir-faire local.

1. La maison de palmier (areesh ou barasti)

Sur les îles, le long des lagunes et près des mangroves, les habitants ont longtemps élevé des abris en matériaux de palmier. Tronc, nervures, palmes tressées : tout sert. Le principe est léger, démontable, adapté aux déplacements saisonniers. Les parois laissent passer l’air, les toits rejettent vite la chaleur nocturne. On ancre la structure avec des cordages. On relève ou on abaisse des panneaux tressés selon le vent. Rien ne coûte cher, tout se répare dans une hutte barasti ou une maison d’areesh.

Cette architecture vivait autrefois au rythme des saisons. Les pêcheurs et les plongeurs de perles montaient et démontaient des campements entiers. Le matin, on ouvre au vent. À midi, on recherche l’ombre compacte. La nuit, on dort dehors ou sous un toit très ventilé. Vous pouvez en voir des reconstitutions dans plusieurs quartiers-musées. La sensation d’air y est immédiate.

maisons-traditionnelles-emirats-arabes-unis

2. La maison de corail et de gypse sur la côte

Dans les vieux quartiers portuaires, la structure devient plus stable. On extrait des blocs de corail. On les lie avec du mortier de gypse. La matière est légère et isolante. Les façades sont toujours relativement épaisses. Un étage s’ajoute parfois. Et surtout, une tour à vent s’élève : le barjeel.

Cette tour n’est pas un caprice. C’est un dispositif de confort. Quatre bouches capent le vent dominant. L’air descend par un puits vers les pièces de vie et la cour. La tour crée aussi une dépression qui aide à aspirer l’air chaud. Des volets en bois permettent d’orienter le flux. On suspend des nattes humides quand l’air manque d’agrément. Vous entrez dans une pièce, vous sentez le souffle. Un gardien rencontré à Al Fahidi, à Dubaï, résumait la logique : « Le vent arrive du nord-ouest en fin de journée. Ici, il descend tout seul. » Cet effet physique suffit à rafraîchir toute la maison sans électricité.

maison de corail à Al Jazirat Al Hamra

3. La maison de terre crue dans les oasis et la montagne

Autour d’Al Ain et dans les vallées de l’Hajar, l’argile et la pierre dominent. Les murs en terre crue offrent une forte inertie. Ils stockent la fraîcheur nocturne et amortissent la chaleur du jour. Les toits reposent sur des poutres en bois, souvent importé par cabotage (teck, bois d’Afrique de l’Est ou de l’Inde), complétées par des troncs de palmier. Des terrasses protègent les pièces. En montagne, la pierre sèche compose aussi des maisons compactes, ancrées dans le relief, avec peu d’ouvertures et des escaliers étroits.

Dans ces paysages, l’eau des canaux d’irrigation (aflaj) guide la vie. L’habitat suit la trame des jardins. Les alignements de palmiers créent de l’ombre. On comprend vite l’accord entre agriculture, cheminement de l’eau et forme bâtie. Tout semble réglé par le flux lent de l’eau et la course du soleil.

Le barjeel, une idée simple et robuste

La tour à vent, appelée barjeel, n’est pas vraiment décorative. Elle fonctionne comme un Venturi artisanal. Les quatre faces captent, accélèrent et dirigent l’air. L’intérieur de la tour est divisé par des cloisons en bois. Chaque bouche ouvre sur un conduit. Les menuiseries modulent l’entrée selon la direction du vent. L’air, plus frais et plus rapide en tête de tour, descend vers la pièce. Il chasse l’air chaud vers la cour et les toits. Le cycle se maintient tant que l’écart de température et la brise subsistent.

Vous pouvez observer le système dans des maisons de marchands du quartier d’Al Fahidi. Certaines ont conservé leurs volets et leurs conduits d’origine. Une visite aide à comprendre : le bois usé aux poignées, l’orientation des bouches, la petite marche avant d’entrer dans la pièce pour se déchausser.

maison de corail avec barjeel à Al Jazirat Al Hamra

Une organisation intérieure lisible

La cour commande tout. Elle apporte la lumière tamisée, elle ventile, elle distribue. Les galeries périphériques créent une zone d’ombre. Elles filtrent l’éblouissement. On y mange, on y travaille, on s’y repose. Les pièces s’ouvrent côté cour. La rue reste secondaire pour l’habitat.

L’entrée mène vers un espace d’accueil des invités (majlis). Il est près de la porte pour préserver l’intimité du reste de la maison. Les ailes familiales se développent en retrait. La cuisine et les espaces de service se tiennent à l’écart des pièces de réception. L’escalier monte vers le toit-terrasse. La nuit d’été, c’est un vrai lieu de vie. On y dort à la belle étoile, on y place des jarres pour rafraîchir l’eau.

Cette organisation hiérarchise les usages sans lourdeur. Les distances sont courtes. Les passages sont à l’ombre. Les seuils marquent les transitions. Vous pouvez la dessiner sur un carnet : un rectangle de parcelle, une cour carrée, des galeries, des pièces. On retrouve ce schéma avec des variantes d’une ville à l’autre. C’est une logique simple, répétée dans tout le pays parce qu’elle fonctionne.

Vieux majilis
Vieux majilis

Matériaux et détails qui comptent

Les matériaux viennent d’abord du proche environnement. Palmier pour la charpente légère, cordage de fibre, panneaux tressés pour les parois. Coraline et gypse pour les murs côtiers. Pierre et terre crue pour l’intérieur des terres. Le plâtre sculpté dessine des grilles fines qui laissent passer l’air et cadrent les vues. Le bois importé par les routes maritimes sert pour les grandes portées et les portes.

Les toitures combinent poutres, perches et nattes de palmier. Une couche de terre ou de plâtre lisse assure l’étanchéité minimale. Les débords protègent les façades. Les sols en plâtre ou en chaux restent frais sous le pied nu. Les seuils sont rehaussés de quelques centimètres pour éviter les eaux sales de la rue. Chaque détail répond à une nécessité pratique, jamais à l’ornement.

La couleur n’est pas un sujet d’apparat. On blanchit au plâtre ou à la chaux pour limiter l’absorption solaire. On laisse parfois la texture du corail visible. Le toucher des murs est granuleux, légèrement irrégulier, agréable au contact. La matière parle d’elle-même, sans recherche d’effet.

Tente bédouine et mobilité

L’habitat nomade a sa logique propre. La tente en poil de chèvre (bayt al-sha’ar) protège du soleil et de la pluie grâce au tissage serré. Les panneaux se montent vite, se tendent au sol par des piquets. On ajuste l’ouverture selon le vent. L’intérieur se divise par des tentures. La mobilité impose la légèreté. L’énergie vient du feu, l’eau des puits, l’orientation de l’ombre des animaux et des personnes.

Ce mode de vie a nourri un sens aigu de l’orientation et du vent. On lit le ciel. On repère les lignes de dunes. Ce savoir se retrouve, transformé, dans les maisons fixes : choix des orientations, gestion de l’ombre, attention aux seuils. L’habitat sédentaire a juste prolongé ces réflexes du désert.

tente bédouine

Le quartier comme première climatisation

L’urbanisme vernaculaire des Émirats Arabes Unis forme déjà un dispositif climatique. Les ruelles (sikkas) sont étroites, parfois couvertes. Les maisons se serrent pour produire de l’ombre. Les décrochements créent des courants d’air. Les angles cassent la ligne du vent trop fort. Les places restent modestes. La ville ancienne, vue d’en haut, ressemble à un tapis serré. Ce tissu a protégé ses habitants pendant des générations, sans machines. Et il donne des repères clairs : mosquée, souk, maisons, front d’eau.

Ce que ces maisons apprennent encore aujourd’hui

Vous ne construirez pas en corail dans une tour de verre. Mais ces architectures anciennes ne relèvent pas du folklore : elles traduisent une intelligence du climat que beaucoup de bâtiments modernes ont oubliée. On peut en tirer des principes valables aujourd’hui, même avec d’autres matériaux et d’autres usages. Voici ce que ces logiques peuvent inspirer, y compris pour des projets récents dans la région :

  • L’ombre d’abord : une enveloppe qui évite l’ensoleillement direct réduit les besoins de refroidissement. Abris, galeries, arbres, écrans ajourés : tout compte.
  • L’air doit circuler : prévoyez des hauteurs libres adaptées, des entrées d’air basses et des sorties hautes. Le vent de mer et le vent du désert n’ont pas la même charge d’humidité.
  • La cour reste une bonne idée : elle apporte de la lumière et une ventilation de la maison sans exposition directe. Elle crée un cœur de maison, utile au quotidien.
  • Les matériaux à forte inertie tempèrent la chaleur diurne : les solutions à faible masse, elles, restituent plus vite la fraîcheur nocturne. On peut combiner les deux.
  • Le toit n’est pas qu’une couverture : c’est un lieu de vie quand la nuit s’y prête. C’est aussi une surface utile pour capter l’air, filtrer la lumière, recueillir la rosée rare.

Certains programmes récents en reprennent l’esprit. Tours à vent modernes dans des espaces publics, rues couvertes, écrans ajourés inspirés des motifs locaux, patios au pied des bâtiments. Ce n’est pas du pastiche quand le principe fonctionne. C’est une continuité logique avec le climat.

maison vernaculaire traditionnelle des Émirats Arabes Unis

Où voir ces architectures ?

  • Quartier historique d’Al Fahidi (Dubaï) : maisons de marchands, tours à vent et ruelles étroites de la vieille ville de Dubaï. Le tracé aide à comprendre l’urbanisme côtier ancien.
  • Shindagha Museum (Dubaï) : ensemble restauré au bord du Creek, avec un focus sur la vie maritime, les objets du quotidien et les maisons de corail dont nous avons parlé plus tôt.
  • Qasr Al Hosn (Abou Dhabi) : fort et maison d’époque, matériaux et restaurations visibles, lecture claire de l’évolution du Qasr Al Hosn. On y voit l’évolution du fort vers la demeure urbaine.
  • Oasis d’Al Ain : palmeraies, canaux, maisons de terre, forts comme Al Jahili. Vous voyez comment l’eau structure l’habitat d’Al Ain. Tout s’organise autour de la fraîcheur et de l’irrigation.
  • Jazirat Al Hamra : village côtier abandonné, ruines en corail et gypse, très parlant sur les techniques de l’époque. Jazirat Al Hamra garde la mémoire intacte des savoir-faire côtiers.
  • Vallées de l’Hajar : maisons de pierre et villages de montagne, volumes compacts, sentiers étroits, terrasses agricoles. Dans cette zone, l’architecture se confond avec la roche et les pentes. Un exemple parlant est le village abandonné Wadi Habib où les maisons se confondent avec la roche.

Prenez le temps d’observer les détails : la hauteur des seuils, la section des poutres, l’épaisseur des murs, la position des ouvertures. Dessinez un croquis de la cour et des galeries. Vous retiendrez plus que par une longue explication. Votre œil liera rapidement la forme, le climat et l’usage.

Shindagha Museum à Dubaï
Shindagha Museum à Dubaï

Une journée type dans une maison à cour

Matin, on ouvre les pièces côté est pour capter la brise. Le patio s’anime. Les galeries servent d’atelier. Midi, on se rapproche des murs épais, sous l’ombre dense. Après-midi, on tire des nattes pour bloquer le soleil bas. Soir, la terrasse de toit devient le lieu préféré. On y dîne, on y parle, on y dort parfois.

Un vieux menuisier rencontré près du Creek m’a montré son geste de jeunesse : il posait sa paume sur le bois du volet pour décider s’il fallait l’ouvrir ou non. « Trop chaud, on laisse. Tiède, on pousse. » Cette régulation fine vaut tous les thermostats quand on s’y tient.

Lexique utile en quelques mots

  • Barjeel : tour à vent, quatre bouches orientables, conduit d’air vers les pièces.
  • Arish (barasti) : construction en éléments de palmier, parois tressées, charpente légère.
  • Majlis : pièce d’accueil pour les invités, souvent près de l’entrée.
  • Liwan : espace couvert en bord de cour, galerie d’ombre.
  • Aflaj : canaux d’irrigation traditionnels dans les oasis.

Ce que l’on retient

Ces maisons vernaculaires des Émirats Arabes Unis n’ont pas été dessinées pour étonner. Elles servent d’abord la vie quotidienne. Elles respectent le vent, la lumière et l’eau. Elles cherchent l’ombre, la circulation de l’air et l’intimité. Et elles y parviennent avec peu de moyens, car chaque détail compte.

Si vous vous promenez dans un quartier ancien au coucher du soleil, le vent du nord-ouest commence à se lever. Le barjeel se met au travail. Les galeries se remplissent de voix basses. Les murs gardent encore la chaleur du jour, mais l’air devient plus doux. À ce moment-là, vous comprenez ce qui tient ces architectures : une attention obstinée aux choses qui font du bien quand il fait chaud.

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