Les maisons troglodytes de Gharyan : une architecture unique

Gharyan est situé dans les montagnes du djebel Nefoussa, à environ 100 km au sud de la capitale Tripoli en Libye, et juste avant Yefren. Ses habitations troglodytes sont une attraction majeure. La racine « Ghar », du nom Gharyan, signifie « cave ». Les grottes ont été creusées verticalement dans le sol rocheux.

Creusées à même le sol, invisibles depuis l’extérieur ou presque, ces habitations répondent depuis des siècles aux contraintes de leur environnement naturel. Elles incarnent une forme d’architecture écologique avant l’heure, conçue pour durer, protéger et isoler, sans technologie ni artifices.

De tailles et formes différentes selon l’usage, ces cavités creusées sont appelées « damous » en dialecte libyen et s’enfoncent dans les entrailles de la montagne.

Une architecture souterraine née du bon sens

À Gharyan, on ne bâtit pas en hauteur. On creuse. Cette solution est une réponse logique à un climat rude. Étés brûlants, hivers frais, vents chargés de sable : la vie en surface peut vite devenir éprouvante.

Les habitants de la région ont donc pris le parti de creuser dans le sol calcaire pour créer des cours intérieures circulaires ou rectangulaires, profondes de 5 à 10 mètres. Autour de cette cour, plusieurs pièces sont taillées horizontalement dans la roche. Chaque espace (ou grotte) possède sa propre fonction : cuisine, chambres, lieux de stockage, et parfois même une petite mosquée.

L’épaisseur naturelle des parois assure une régulation thermique exemplaire. En été, la fraîcheur est conservée. En hiver, la chaleur reste piégée. Sans climatisation, sans aucun chauffage.

Une réponse aux ressources limitées

L’architecture troglodyte de Gharyan n’est pas née d’un luxe de choix, mais d’une économie de moyens. Les matériaux de construction traditionnels (pierre taillée, bois, chaux) sont rares ou coûteux dans cette partie de la Libye. En creusant, on évite le transport, la transformation et l’achat de matériaux.

Le sol de Gharyan se prête bien à cette technique : assez tendre pour être modelé à la pioche ou à la houe, mais suffisamment solide pour ne pas s’effondrer. Ce qui se retire de la cavité sert parfois à ériger un petit muret de protection autour du puits central ou à fabriquer des briques pour d’autres usages.

Cette sobriété dans la construction a permis à de nombreuses familles de se loger dans des conditions relativement confortables, sans avoir recours à une infrastructure extérieure coûteuse.

L’organisation d’un habitat creusé

Vivre sous terre impose une certaine logique d’aménagement. La cour centrale, appelée haouch, est au cœur de la vie sur place des habitants : discussions familiales, jeux des enfants, etc.

Les pièces sont creusées en étoile autour de cette cour centrale. Chaque ouverture est orientée de façon à capter un maximum de lumière sans laisser entrer la poussière. Certaines maisons troglodytes de Gharyan disposent de plusieurs niveaux ou de chambres supplémentaires reliées par des galeries.

Le sol est généralement couvert de tapis ou de nattes, la roche étant légèrement humidifiée pour éviter les remontées de chaleur en été. Les murs, intérieurs (et extérieurs) peuvent être blanchis à la chaux ou décorés de motifs géométriques discrets, selon les moyens et les goûts des occupants.

Comment se fait l’accès à ces maisons ?

L’accès aux maisons troglodytes de Gharyan se fait par le haut, directement depuis la surface du sol.

Voici comment cela fonctionne :

  • Un puits d’accès est creusé verticalement depuis le niveau du sol jusqu’à la cour intérieure creusée dans la roche, à une profondeur moyenne de 5 à 10 mètres.
  • Un escalier est taillé dans la paroi du puits, souvent en colimaçon ou avec des marches irrégulières suivant la roche. Ce chemin permet de descendre dans la cour centrale, cœur de la maison.
  • Parfois, une rampe inclinée est aménagée pour faciliter le transport d’objets ou de denrées, notamment dans les habitations encore utilisées.

Une fois dans la cour, on accède aux différentes pièces (chambres, cuisine, etc.) creusées horizontalement autour de cet espace. Ce système d’accès permet de préserver la fraîcheur, de protéger du vent et du sable et de limiter l’exposition aux regards extérieurs. De l’extérieur, la maison est presque invisible.

cour maison troglodyte Gharyan

Un mode de vie en retrait

Loin des regards et protégées des vents du désert, ces maisons troglodytes favorisent une forme d’intimité rare. On y vit à l’abri, en communauté restreinte, dans un silence que seule la voix humaine vient troubler. Ce cadre crée un rapport particulier à l’espace et au temps.

Les maisons troglodytes de Gharyan ont longtemps été habitées par des familles entières, souvent sur plusieurs générations. Elles étaient transmises, entretenues, agrandies selon les besoins. Chacun participait à leur entretien : colmater les fissures, évacuer l’eau de pluie, blanchir les parois.

Cette architecture montre une culture de la discrétion, de la modestie et de la résistance. Le paysage urbain de Gharyan s’est construit sans architecture visible, comme si la ville refusait d’apparaître.

Les limites et contraintes de ce type de construction

Tout modèle architectural a ses limites. Dans le cas des habitations troglodytes, l’humidité est l’un des premiers défis. En cas de pluie, l’eau peut stagner dans la cour centrale ou s’infiltrer dans les parois. Des systèmes d’évacuation sont parfois prévus, mais leur efficacité dépend de l’entretien régulier.

L’aération est un autre point délicat. Certaines pièces très profondes peuvent manquer d’oxygène si les ouvertures sont mal positionnées. Les odeurs de cuisine ou d’humidité peuvent aussi s’accumuler.

Enfin, l’agrandissement ou la modification d’une maison troglodyte de Gharyan demande un effort important. Creuser une nouvelle pièce exige du temps, de la force physique et un certain savoir-faire. Il faut également vérifier la stabilité du sol et l’absence de fissures existantes.

Déclin progressif et efforts de préservation

Depuis plusieurs décennies, ces maisons troglodytes sont peu à peu abandonnées. L’urbanisation, l’exode rural, le développement de l’habitat moderne ont conduit de nombreuses familles à quitter leur haouch pour des immeubles de surface. Ce changement n’est pas uniquement lié au confort : il traduit aussi une aspiration à une autre image sociale. Vivre sous terre, même si c’est plus agréable l’été, renvoie à un mode de vie jugé « arriéré » par certains jeunes citadins qui préfèrent une maison moderne à Tripoli.

Pourtant, ces habitations enterrées ont inspiré de nombreux architectes et chercheurs locaux et internationaux. Certains projets de rénovation, voire de reconversion touristique, émergent ici et là. Des familles réhabilitent leur ancienne demeure pour en faire une maison d’hôtes ou un musée privé. Ces efforts restent marginaux, mais ils rappellent que cet héritage ne demande qu’à être valorisé.

Téloignage d’un ancien habitant

Assis sur des tapis colorés sur le sol et entouré par des pots en argile, Belhaj, un homme de 43 ans, décrit la vie dans ce qui était autrefois sa maison. « Cette maison a été creusée en 1666 et des générations de familles ont vécu ici. Je suis né ici et j’avais l’habitude de vivre à huit familles ensemble ».

Belhaj a passé les 10 premières années de sa vie dans cette maison creusée verticalement dans le sol par ses ancêtres, qui excavaient les grottes autour d’une cour carrée centrale. Chaque pièce abritait une famille avec des zones de cuisson (des petites grottes) qui étaient utilisées en commun. Décorée avec des motifs berbères traditionnels (tapis colorés, coffres et poteries), chaque grotte de 10 mètres de long était divisée en trois sections : l’aire de repos des parents, la literie des enfants et une salle de séjour.

Une porte faite de bois d’olivier fermait la maison à l’avant, la maison fournissait ainsi une isolation en hiver et permettait à ses habitants de se rafraîchir pendant les étés chauds.

« Les maisons troglodytes de Gharyan sont maintenant inoccupées car les familles ont déménagé en 1985. Mais nous venons toujours ici en été pour être un peu plus au frais ». Gharyan possédait des centaines d’habitations troglodytes de ce type dispersées dans ses montagnes rocheuses. Mais beaucoup ont été abandonnées car leurs habitants ont déménagé dans des maisons plus modernes.

Conclusion – Habiter la terre, en toute simplicité

L’architecture troglodyte de Gharyan n’a rien d’anecdotique. Elle incarne une réponse sensée à un territoire exigeant, une manière d’habiter le monde sans l’imposer. Ces maisons sous terre témoignent d’un savoir-faire transmis, d’une relation intime au sol, d’un art de vivre à l’écart du tumulte.

Dans une époque où la question de l’habitat durable revient sur toutes les lèvres, les haouch de Gharyan offrent une leçon silencieuse : celle de l’humilité constructive. Creusées pour durer, pensées pour protéger, elles rappellent que la modernité n’est pas toujours là où on la cherche.

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