Les Taïnos sont une ethnie amérindienne qui occupait les grandes Antilles lors de l’arrivée des Européens au 15ème siècle. Malgré leur quasi disparition au 16ème siècle, beaucoup d’Antillais, spécialement des Cubains, Haïtiens, Portoricains et Dominicains continuent de se considérer comme Taïnos.
Parler du bohío, c’est évoquer toute la mémoire de l’habitat traditionnel cubain. Hérité des populations indigènes, il traverse les siècles, s’adapte aux bouleversements sociaux, et demeure l’un des symboles les plus puissants de la ruralité cubaine. À travers ses transformations, le bohío incarne la précarité et la résilience du paysan cubain, mais aussi une adaptation à l’environnement et aux ressources locales.
Origines précolombiennes : la culture taïna
Avant l’arrivée des colons espagnols, Cuba était habitée par différents peuples autochtones, notamment les Ciboneyes dans l’ouest et les Taïnos dans l’est, porteurs d’une culture néolithique plus avancée. Ce sont les Taïnos qui, venus des autres îles caraïbes, introduisent un modèle d’habitat structuré : le bohío. Ces maisons étaient implantées sur des terrains fertiles, souvent surélevés, proches des points d’eau. Elles servaient de logement communautaire et pouvaient accueillir une vingtaine de personnes.
Architecture et matériaux
Le bohío traditionnel repose sur un plan rectangulaire, avec un toit à deux versants surélevé, soutenu à l’avant par deux colonnes formant un petit porche. Une entrée basse donne accès à l’intérieur, et plusieurs ouvertures latérales assurent la ventilation et l’éclairage naturel. D’autres variantes plus grandes, appelées bajareque, pouvaient accueillir des groupes beaucoup plus importants.
La structure de ces maisons est très ingénieuse dans son humilité :
- Ossature en bois dur, fourches plantées dans le sol ;
- Parois en bois, branches, roseaux ou feuilles de palmier (yagua ou guano), liés par des fibres végétales ou des lianes locales ;
- Toiture en feuilles de palmier entrelacées, offrant étanchéité et isolation contre la chaleur.
Cette technique tire parti des ressources locales. La simplicité du système constructif autorise de nombreux aménagements : extensions latérales, ajout de porches, adaptation de la toiture, etc.

Fonctions et variantes du bohío
Le terme bohío désigne avant tout l’habitation familiale rurale, mais d’autres types d’abris existent dans le répertoire vernaculaire cubain :
- Le caney : de plan polygonal et à toiture conique, le caney abritait généralement le chef de communauté et ne possédait pas de porche.
- La barbacoa : hutte sur pilotis ou cabane perchée, servait à la conservation des récoltes (comme le maïs), puis s’est transformée en espace de stockage ou de couchage supplémentaire.
Du bohío indigène à l’habitat colonial
À la suite de la conquête espagnole, le bohío s’impose comme modèle d’habitat rural. Les colons espagnols, puis les populations esclaves venues d’Afrique, adoptent et adaptent ce type de maison :
- Pendant tout le XVIᵉ siècle, les Espagnols reprennent le modèle du bohío pour leur propre usage rural, l’estimant idéalement adapté au climat et aux ressources.
- L’arrivée massive d’esclaves dans les plantations sucrières introduit la barraca ou barracón, grand dortoir collectif, souvent construit selon les principes du bohío, mais dans des conditions de promiscuité et de précarité accrues.
Le bohío devient ainsi l’habitat de référence du paysan cubain, quels que soient son origine ou statut : petit propriétaire, ouvrier agricole, fermier, voire parfois créole aisé. Pendant des siècles, il marque le paysage rural, autour des villages, le long des routes et jusque dans les quartiers pauvres des villes.

Évolution sociale et transformations du paysage rural
Les guerres d’indépendance (1868–1898), puis la naissance de la République en 1902, apportent de nombreux bouleversements. Malgré le développement des industries sucrières et des nouveaux matériaux (brique, tuiles, béton), le bohío perdure dans la campagne, souvent faute d’alternative pour les plus démunis. Jusqu’au recensement de 1953, 63 % des habitations rurales sont encore construites en matériaux végétaux locaux ; la plupart n’ont ni salle d’eau ni électricité, les latrines étant à l’extérieur.
Les politiques d’éradication et la résistance du bohío
À partir de 1959, la Révolution cubaine entreprend une modernisation radicale du logement rural. La Commission nationale des logements ruraux tente d’éradiquer les bohíos, en construisant de nouveaux villages agricoles aux logements uniformes et modernes. Cependant, par manque de moyens, cette politique ne transforme qu’une partie du paysage : les bohíos restent omniprésents.
Dans les années 1970 et 1980, le regroupement forcé des paysans dans des immeubles de 3 ou 4 étages bouleverse le mode de vie traditionnel. Le bohío, souvent relégué à un abri secondaire ou à un espace familial, résiste comme une mémoire vivante de l’identité rurale cubaine.


Le bohío aujourd’hui : entre mémoire et renaissance
L’habitat traditionnel du bohío n’a jamais complètement disparu. Face à la chaleur et à la précarité du logement en béton, de nombreux paysans continuent de reconstruire, à proximité de leur maison, un bohío pour y retrouver un mode de vie plus adapté au climat et aux besoins familiaux.
Au-delà de sa fonction résidentielle, le bohío est un symbole culturel :
- Il inspire la poésie, la chanson populaire, la littérature, la peinture et le cinéma cubain.
- Il cristallise la mémoire collective des campagnes et la créativité artisanale de la nation cubaine.

Conclusion : un patrimoine menacé mais vivant
Le bohío témoigne d’une adaptation millénaire à l’environnement, d’un savoir-faire ancien, et d’une résilience culturelle face aux changements sociaux et politiques. Sa disparition progressive interroge la relation de Cuba à son passé, à ses traditions et à la gestion de son patrimoine rural. Mais tant qu’il restera des paysans et des artisans attachés à leur mémoire, le bohío continuera de vivre.