Nichées dans les hautes pentes de la montagne Bistra, les maisons traditionnelles en pierre de Galičnik composent l’un des ensembles vernaculaires les plus singuliers de Macédoine du Nord. Leur silhouette compacte, leurs toits de dalles et leurs encorbellements en bois montrent une manière d’habiter la montagne façonnée par les éleveurs et les maçons miyaks. À 1400 mètres d’altitude, ce village de Reka mêle climat rude, terrain escarpé et héritage artisanal d’une rare cohérence. L’ensemble forme un paysage culturel où chaque façade traduit un savoir-faire transmis sur plusieurs siècles et encore perceptible dans l’organisation des maisons comme dans les techniques de maçonnerie renforcée.
Un village de haute montagne au pays des Miyaks
Galičnik (Galitchnik) est un village de montagne de l’ouest de la Macédoine du Nord, dans la région de Reka, accroché vers 1400–1500 mètres d’altitude sur les pentes de la montagne Bistra, au-dessus de la vallée de la Radika et non loin du lac Mavrovo. Il fait partie des grands villages miyaks (tout comme les habitations du village de Gari ou de Lazaropole), ce groupe montagnard réputé pour l’élevage, la maçonnerie et la sculpture sur bois, dont les savoir-faire se lisent dans chaque façade.
Au XIXᵉ siècle, Galičnik comptait plusieurs centaines de maisons, habitées par une population chrétienne engagée dans la transhumance ovine et les métiers de la construction.
Aujourd’hui, le village ne compte plus que quelques dizaines d’habitants, mais reste un symbole fort de l’architecture vernaculaire macédonienne, grâce à ses maisons de pierre « de type forteresse » et au festival de mariage traditionnel qui attire chaque été habitants d’origine et visiteurs.
Un paysage de pierre et de pentes
Le relief très accentué conditionne la forme bâtie. Les maisons occupent les versants, souvent sur des terrasses de pierre sèche, avec des murs de soutènement qui prolongent visuellement les façades. Cette continuité entre murs de soutènement et maçonnerie renforce l’impression d’un village sculpté dans la montagne. Cela donne au village une cohérence architecturale lisible dès les premiers pas.
Les façades sont bâties en pierre locale, appareillée de façon plus ou moins régulière selon les niveaux et les moyens des propriétaires. Les angles, les encadrements de portes et de fenêtres, ont certains chaînages souligné par des blocs mieux taillés, ce qui donne à ces maisons un caractère presque défensif, d’où l’expression de « maisons-forteresses » utilisée par les spécialistes de l’architecture macédonienne.
Des maisons-forteresses organisées sur trois niveaux
Un grand nombre de maisons traditionnelles de Galičnik présentent trois niveaux superposés, qui répondent à la fois à la pente, au climat montagnard et aux activités pastorales.
Le niveau le plus bas, partiellement enterré ou ouvert sur la pente, abritait les animaux (moutons, chèvres, parfois bovins) et des pièces de stockage pour le fourrage et les provisions. Dans ce niveau, les ouvertures sont rares et les murs épais, afin de protéger le bétail du froid et du vent.
Le niveau intermédiaire regroupait les pièces de vie principales qui servaient d’espace familial et de lieu de réception. On y trouvait les chambres, des pièces de séjour chauffées, et parfois de petites pièces de travail liées à la transformation des produits laitiers ou à l’artisanat.
Le niveau supérieur accueillait la cuisine et un grand espace commun. Cette distribution, signalée notamment dans la maison qui jouxte l’église des saints Pierre et Paul, est typique des grandes maisons miyaks. Dans ces étages, l’espace se fait plus ouvert vers le paysage, grâce à des avancées en bois appelées čardaci (chardaks), qui jouent le rôle de balcon, séjour d’été et belvédère sur la vallée.
Maçonnerie renforcée et culture sismique
La région de Reka se situe dans une zone sismique active, ce qui a fortement influencé les techniques de construction. À Galičnik, la maçonnerie de pierre est souvent associée à des chaînages horizontaux en bois intégrés dans l’épaisseur des murs.
Ces bandes de bois courent le long des façades et se prolongent à l’intérieur du mur par des traverses, formant une sorte de ceinture continue. Dans la maison voisine de l’église, décrite par les études architecturales, ces bandes relient les parements extérieurs à une ossature intérieure, contribuant à répartir les efforts en cas de séisme et à limiter l’éclatement des murs.
Cette combinaison pierre/bois s’inscrit dans une culture plus large de la construction antisismique dans les Balkans, étudiée par plusieurs chercheurs, où la charpente et les cadres en bois travaillent avec les murs de pierre pour absorber une partie des mouvements du sol.
Le čardak, un belvédère en bois suspendu
L’un des éléments les plus caractéristiques des maisons de Galičnik est le čardak, ce volume en surplomb, entièrement ou partiellement en bois, qui marque souvent l’angle de la maison. Dans certains cas, le čardak forme un coin en encorbellement au dernier étage, soutenu par une série de consoles ou de crochets supplémentaires fixés dans la maçonnerie.
Les études menées sur ces habitations décrivent un čardak plaqué de bois, encadré par des montants de charpente et rempli d’un mélange de galets et de plâtre. Les montants sont reliés par des pièces diagonales qui stabilisent le cadre et servent de support au remplissage.
En façade, ces parties peuvent être laissées apparentes, sous forme de lambris de bois, ou recouvertes de fines lattes et d’un enduit de plâtre. Le résultat est une articulation subtile entre la masse de pierre et la peau de bois, qui allège le dernier niveau et offre un espace de transition entre l’intérieur et l’extérieur.
Toits en dalles de pierre et détails constructifs
Traditionnellement, les toits des maisons de Galičnik étaient couverts de panneaux ou dalles de pierre (ploča). Sur plusieurs maisons conservées, on observe encore ces toitures lourdes à faible pente, parfois remplacées plus récemment par des tuiles mécaniques.
La maison de la famille Tomoski, aujourd’hui transformée en musée, est souvent citée comme exemple type. Elle présente un toit en ploča, des murs de pierre renforcés de bandes de bois, et un čardak d’angle doté de consoles supplémentaires. L’ensemble illustre bien la manière dont les habitants combinaient ressources locales (pierre, bois) et réponses techniques à la pente, au climat et au risque sismique.
Les menuiseries (portes et fenêtres) sont généralement encadrées par des linteaux en bois, visibles surtout aux niveaux inférieurs. Sur certains exemples, le niveau le plus haut présente au contraire des ouvertures formées par un appareillage de pierre, sans linteau visible, ce qui témoigne de variations dans les techniques et de l’évolution des savoir-faire au fil du temps.
Galičnik aujourd’hui : entre mémoire et réinvestissement
De nombreuses maisons de Galičnik appartiennent à des familles dispersées dans tout le pays ou à l’étranger, qui reviennent surtout pour les grandes fêtes, notamment le festival du mariage. Quelques maisons emblématiques (comme celles des familles Tomovski, Melovski, Cubalevski et d’autres lignées) sont officiellement protégées par l’Office macédonien de la protection du patrimoine culturel.
Pour un regard extérieur, les maisons traditionnelles en pierre de Galičnik ont une histoire sociale (celle d’un village de maçons et de bergers montagnards) et une histoire technique, celle d’une architecture de pierre et de bois conçue pour durer malgré la pente, le climat et les séismes. Leur conservation pose des questions très concrètes de transmission de savoir-faire, de mise aux normes et de réappropriation par les descendants. Mais c’est précisément cette tension entre mémoire et usages contemporains qui fait de Galičnik un laboratoire vivant de l’architecture vernaculaire en Macédoine du Nord.