Santa Cruz del Islote, c’est un confetti au large de la Colombie, perdu au cœur des eaux turquoise de l’archipel de San Bernardo. À peine 2,4 acres, soit moins qu’un terrain de football. Pourtant, 1 200 personnes vivent ici, côte à côte, sur ce minuscule îlot corallien. Cela fait de Santa Cruz del Islote l’île la plus densément peuplée au monde. Mais ici, rien ne ressemble à Manhattan.
Une vie à l’étroit, mais pas malheureuse
Dès que vous posez le pied sur l’île, tout est proche. Les maisons sont accolées, souvent peintes de couleurs vives, parfois en béton, parfois en bois, rarement identiques. Chaque mètre carré compte.
L’espace manque, alors certaines habitations avancent sur la mer, posées sur des pilotis ou des remblais faits main. Il n’y a pas de jardins, pas de parcs. Seulement une cour centrale, souvent inondée par la marée, où les enfants se retrouvent pour jouer. À Santa Cruz del Islote, tout le monde se connaît.
Vous croisez une voisine en sortant de chez vous. Les enfants courent dans les ruelles étroites de l’île. Les portes ne sont jamais fermées à clé. L’île est trop petite pour que l’anonymat puisse exister.

Une organisation unique
L’île compte 90 maisons. Mais aussi deux petits magasins, un restaurant, une école, une discothèque (oui, même ici). Tout tient sur ce bout de terre. Il n’y a pas de grands bâtiments. Pas d’immeubles à étages. Les maisons sont de plain-pied, avec parfois une pièce en plus construite au-dessus, mais rarement plus.
Chaque habitation déborde de vie. On voit le linge sécher dehors, suspendu entre deux poteaux. Les murs sont parfois délabrés, repeints avec ce qu’on trouve. Beaucoup de toits sont en tôle ondulée.
Quelques panneaux solaires ont fait leur apparition, posés sur le toit de l’école ou du restaurant, mais l’électricité est un luxe intermittent sur ce bout d’île. Le générateur ne tourne que de 19h à 23h. Juste le temps de regarder la télévision, d’écouter de la musique ou de suivre un match de foot.

Des conditions de vie simples
L’eau douce n’arrive pas en continu. Il n’y a pas de robinet. Ce sont les militaires qui viennent livrer de l’eau potable une fois toutes les trois semaines. Chacun doit faire attention à sa consommation. Il n’y a pas non plus de système d’égouts. On se débrouille, comme souvent dans les endroits isolés.
Pour cuisiner, on utilise du gaz, parfois du bois. Beaucoup de familles possèdent un petit bateau, amarré devant la maison, ou un coin pour réparer les filets de pêche. Car ici, la pêche a longtemps été l’unique ressource. Aujourd’hui encore, les gestes du quotidien tournent autour de la mer :
- Préparer les filets tôt le matin sur le quai ou devant la maison
- Sortir en mer dès l’aube pour rapporter du poisson frais
- Réparer les barques à la main, avec des matériaux récupérés
- Nettoyer et saler les poissons pour les conserver
- Apprendre aux enfants à nager et à ramer dès leur plus jeune âge
- Organiser la vente de la pêche du jour aux visiteurs ou aux hôtels des îles voisines

Pourquoi rester vivre sur l’île ?
C’est une question que l’on pourrait effectivement se poser. Pourquoi vivre à Santa Cruz Del Islote, si loin de tout, sans confort moderne ? L’histoire raconte que les premiers habitants sont arrivés il y a environ 150 ans. Des pêcheurs de Baru, en quête de nouveaux territoires, auraient découvert l’îlot et, surpris par l’absence de moustiques, auraient décidé d’y rester. Cette légende continue de se transmettre de nos jours, et l’esprit du lieu tient autant à ses racines qu’à la force de l’habitude.
Les familles sont nombreuses, parfois trois générations vivent sous le même toit. Beaucoup de jeunes partent travailler sur les îles voisines, dans les hôtels ou les stations balnéaires.
L’économie s’est adaptée. On vend des coquillages, de la limonade, du poisson séché aux visiteurs venus de Múcura ou des maisons colorées de Carthagène. Le tourisme n’a pas tout changé, mais il aide.

L’architecture de l’entraide
Sur l’île, personne ne construit seul. Quand une maison doit être réparée ou agrandie, les voisins et les amis viennent prêter main forte. Les matériaux sont achetés à plusieurs kilomètres de là, transportés par bateau. On bricole, on recycle, on adapte. Les fondations sont parfois faites de corail, de pierres et de vieux débris. On se sert de ce qu’on trouve. C’est collectif, et chaque maison porte la trace de l’entraide.
La plupart des maisons sont simples : une pièce principale, une ou deux chambres, un espace pour cuisiner, souvent à l’extérieur. On dort souvent à plusieurs dans une même pièce, faute de place. Les couleurs apportent de la gaieté. Bleu vif, jaune, rose, vert pomme… les façades égayent le paysage.


Pas d’espace perdu
Ici, chaque centimètre est utilisé. Même les passages entre deux maisons deviennent des lieux de vie. On y range des filets, des bouées, parfois un banc pour s’asseoir à l’ombre. Quelques arbres poussent sur l’île, mais la plupart du temps, l’ombre est faite par les toits ou des bâches tendues.
Le seul endroit un peu dégagé, c’est la cour de l’école. Elle sert aussi de terrain de sport, de place de fête et de lieu de rassemblement. Mais lors des grandes marées, elle est souvent inondée.

Un mode de vie collectif
Vivre sur Santa Cruz del Islote, c’est vivre ensemble. Il n’y a pas d’intimité comme on la connaît en ville. Tout se fait en groupe. Les enfants jouent ensemble. Les adultes partagent les tâches, la cuisine, les soirées. Les grandes familles se soutiennent. Si un problème survient, tout le monde est au courant, et tout le monde aide. Il n’y a ni violence, ni délinquance. Les portes sont ouvertes, et la vie suit son rythme.
La télévision est le point de rencontre du soir pour les habitants. On se retrouve pour regarder les feuilletons ou le football, quand il y a de l’électricité. Pendant les grands matchs, chaque famille donne un peu d’argent pour acheter du carburant et faire tourner le générateur plus longtemps.
Vivre ici, c’est s’adapter en permanence. La mer grignote parfois le rivage. L’humidité use les murs et la tôle. Quand il pleut, l’eau s’infiltre partout. Mais les habitants s’arrangent. On pose une bâche, on bouche les trous, on repeint avec ce qu’on trouve. Les maisons ne sont pas parfaites. Elles sont marquées par le temps, le sel, le vent. Mais elles tiennent, parce que les habitants y tiennent !


Des défis quotidiens
Santa Cruz del Islote n’est pas une carte postale figée. Il y a des difficultés. L’eau manque, parfois la nourriture aussi. L’électricité est rationnée. Mais la solidarité permet de traverser les moments difficiles.
La pêche ne nourrit plus tout le monde. Beaucoup partent travailler ailleurs, mais l’île reste un point d’ancrage. On y revient pour les fêtes, pour retrouver la famille, pour faire vivre la tradition.
Ce qui frappe, quand vous passez un peu de temps sur l’île, c’est la fierté des habitants. Leur attachement à ce bout de terre. Malgré l’exiguïté, malgré la précarité, ils parlent de leur maison avec douceur. Ils n’envisagent pas vraiment de partir, même si la vie ailleurs semble plus facile.
Santa Cruz del Islote, c’est une histoire d’adaptation, d’entraide et de couleurs. Les maisons sont simples. Elles incarnent la ténacité d’une communauté, la beauté d’un lieu qui force l’admiration.