Pustevny est un ensemble de bâtiments de style gingerbread au sommet d’une colline dans la région de Valašsko en République tchèque, près de la frontière avec la Slovaquie.
Quand vous arrivez à Pustevny par le téléphérique, les maisons colorées surgissent presque d’un coup. Toits à plusieurs niveaux, balcons en bois, pignons peints, poteaux rayés… On a l’impression d’entrer dans un décor de conte, mais tout y est très pensé. Ici, rien n’est décoratif “pour faire joli”. Chaque ligne montre une vision précise de l’architecture en bois tchèque de la fin du XIXᵉ siècle.
Un col de montagne devenu laboratoire d’architecture
Pustevny se trouve à un peu plus de 1 000 mètres d’altitude, dans un col des Beskides moravo-silésiennes, près du mont Radhošť, à l’est de la République tchèque. Le nom vient des ermites qui vivaient là jusqu’au XIXᵉ siècle, sur un site alors difficile d’accès, fréquenté surtout par les paysans et les bergers.
À la fin du XIXᵉ siècle, le tourisme de montagne commence à se structurer. Un club local, Pohorská jednota Radhošť, achète des terrains, trace des sentiers, construit des refuges. En quelques années, des chalets d’accueil se succèdent, dont les plus connus aujourd’hui : Libušín et Maměnka, bientôt rejoints par une petite cloche en bois et d’autres bâtiments. Depuis 1995, l’ensemble est classé monument culturel national. Le site est géré par le Musée en plein air de Rožnov pod Radhoštěm.
Pour un visiteur d’aujourd’hui, Pustevny cumule plusieurs couches : paysage de montagne, station de ski, point de départ de randonnées… et, au milieu, ce noyau d’architecture en bois très travaillée.
Né de la rencontre entre tourisme et identité nationale
Les maisons de Pustevny ne sortent pas de nulle part. Elles arrivent dans un contexte précis : montée du tourisme, affirmation de la culture morave et slovaque, intérêt nouveau pour l’architecture rurale.
Le club Pohorská jednota Radhošť veut accueillir les randonneurs, mais aussi affirmer une identité. Il ne s’agit pas de copier des chalets suisses. L’idée est d’ancrer le site dans la tradition locale, tout en proposant un confort moderne pour l’époque (hébergement, restauration, salles communes).
Pour ce projet, le club fait appel au constructeur Michal Urbánek, qui emploie alors un jeune architecte : Dušan Samuel Jurkovič. Celui-ci travaille déjà sur des maisons inspirées des architectures rurales de Slovaquie et de Moravie. On lui confie les plans de deux grandes “útulny”, ou refuges : Libušín, la maison-restaurant, et Maměnka, la maison-hôtel. Les travaux ont lieu entre 1897 et 1899.
Aujourd’hui, ces deux bâtiments sont devenus le cœur d’un ensemble où se lisent encore les ambitions du XIXᵉ siècle qui étaient d’accueillir, de montrer et d’affirmer une culture.
Dušan Jurkovič, architecte des maisons en bois
Jurkovič (1868-1947) se trouve à mi-chemin entre l’architecte et l’ethnographe. Il observe les granges, les fojtství (maisons de bailli), les églises en bois de la région. Il collecte des motifs, des assemblages, des profils d’avant-toits. Puis il recombine tout cela dans des compositions très riches.
À Pustevny, il ne cherche pas à reproduire à l’identique une ferme ou une maison de village. Il exagère les balcons, multiplie les décrochements de toiture, ajoute des escaliers théâtraux. Les couleurs accentuent encore ce côté scénique : rouge, jaune, vert, brun foncé, parfois avec des contrastes très marqués.
On voit aussi l’influence de ce qu’on appelle souvent la “sécession populaire” : une version locale de l’Art nouveau, nourrie de motifs ruraux, de courbes et de lignes répétées. Les maisons parlent un langage européen de leur époque, mais avec un accent clairement régional. Le style sécession populaire transparait encore plus dans les maisons de Dušan Jurkovič à Luhačovice réalisées un peu plus tard.
Libušín et Maměnka : deux visions complémentaires
Même si elles forment un ensemble, Libušín et Maměnka jouent deux rôles différents.
Maměnka, l’auberge qui s’inspire du fojtství
Maměnka ressemble à une grande maison de notables ruraux, avec un volume plus compact. Le soubassement en pierre porte une superstructure en bois à deux niveaux, surmontée d’un petit “belvédère” central. Les façades sont rythmées par les poteaux de galerie, les barrières découpées, les fenêtres groupées. On dirait une grande maison de village faite pour recevoir.
On lit dans ce plan l’écho des grandes fermes moraves : partie résidentielle, espace de réception, chambres sous combles. Mais tout est compressé dans un volume plus urbain, adapté à un refuge de montagne. Maměnka abrite un hébergement pour le tourisme et dispose d’un intérieur en bois décoré dans un style similaire à l’extérieur, avec des expressions traditionnelles et des dictons peints sur les murs.
Libušín, la maison-restaurant inspirée d’une église en bois
Dušan Libušín adopte une composition plus complexe. Jurkovič s’inspire du plan d’une église en bois de Velké Karlovice : nef, partie transversale, volumes qui s’imbriquent.
De l’extérieur, cela donne un bâtiment très animé, avec des toitures multiples, des pignons qui se répondent, une tour latérale et une base en pierre solide. Le contraste entre la masse de pierre et la légèreté visuelle des parties en bois joue un rôle majeur dans la perception de l’ensemble.
Le bâtiment est aujourd’hui un restaurant servant des plats traditionnels de Valachie et de Moravie. Le nom de Libušín provient de la légendaire princesse tchèque Libuše. L’intérieur de Libušín est décoré de fresques dessinées par Mikoláš Aleš et basées sur des légendes populaires de Wallach et de Slovaquie. Des lustres de style Art Nouveau ajoutent une touche d’élégance à la salle à manger.
Les deux maisons se font face sur une sorte de plateau. Entre elles, le visiteur perçoit un petit “théâtre” d’architecture, encadré par la cloche en bois et les autres constructions du site.
Couleurs, motifs et détails
Quand vous approchez de Maměnka ou de Libušín, la première chose que vous remarquez, ce sont les couleurs. Jurkovič utilise des teintes vives sur le bois : rouge, jaune, bleu, parfois vert. Les poteaux peuvent être rayés, les garde-corps découpés en formes géométriques, les frises ornées de motifs floraux stylisés.
Ce choix renvoie aux peintures sur bois, aux coffres, aux frontons de maisons rurales de la région. L’architecte reprend ces codes et les amplifie. Il les rend visibles de loin, dans un paysage de montagne souvent couvert de neige. On les repère même de très loin, surtout quand la neige recouvre tout.
Les proportions des balcons et des toitures répondent aussi à des contraintes concrètes : protéger les façades de la pluie, gérer les charges de neige, offrir des vues sur le paysage. Les avant-toits débordants, par exemple, réduisent l’exposition des murs à l’eau. Les galeries superposées servent de circulation et de filtre climatique. Chaque élément a donc une fonction précise, loin d’un simple effet décoratif.
Si vous aimez les détails, un conseil : prenez le temps d’observer les têtes de poteaux, les entraits peints, les encadrements de fenêtres. Chaque niveau a son motif, comme une partition.
À l’intérieur de Libušín : un décor narratif
L’intérieur de Libušín jouait dès l’origine un rôle. La grande salle de restaurant était décorée de peintures murales inspirées de légendes valaques et slovaques, d’après des dessins de Mikoláš Aleš, réalisées par Karel Štapler. On y voyait des personnages comme les brigands Ondráš et Juráš ou le dieu Radegast.
Cette salle montrait une vision romantique du pays, à travers des scènes, des symboles, des inscriptions. Pour un visiteur de 1900, manger là signifiait aussi prendre part à une sorte de récit national.
Le 3 mars 2014, un incendie lié à des travaux sur le conduit de fumée détruit environ 80 % de Libušín, notamment cette salle très décorée. La structure en bois, les peintures, une grande partie du toit partent en fumée. Les dommages sont évalués à des dizaines de millions de couronnes tchèques.
Le choc est fort dans le pays. Une collecte nationale est lancée dès le lendemain. Des boîtes de dons apparaissent dans les festivals et les lieux touristiques. Ce mouvement soutient la décision du musée : reconstruire Libušín, et pas uniquement “remettre un restaurant sur pied”.
Reconstruire à l’identique
La reconstruction de Libušín, engagée à partir de 2016, est présentée comme une “reconstruction scientifique”. L’idée est de rebâtir la maison en respectant au maximum les techniques, les matériaux et les proportions d’origine, en s’appuyant sur la documentation conservée : plans, photos, relevés, archives.
Plus de deux cents artisans sont mobilisés. Les planches sont rabotées à la main, comme au XIXᵉ siècle, car une surface travaillée manuellement résiste mieux aux intempéries qu’un bois passé à la machine. Les assemblages sont conçus avec des méthodes traditionnelles, même si certains éléments cachés intègrent des renforts adaptés aux normes actuelles.
En parallèle, un système de protection incendie très discret est installé : gaz inerte, brumisation d’eau basse pression, capteurs. Le bâtiment redevient ce qu’il était visuellement, mais avec une couche technique invisible destinée à éviter un nouveau drame.
Libušín rouvre en 2020. Le public retrouve la silhouette familière, les couleurs, les galeries, la grande salle avec ses motifs reconstitués. On peut y manger des plats régionaux, mais aussi regarder les charpentes, les assemblages, les détails des nouvelles peintures.
Comment visiter Pustevny avec un regard d’architecte ?
Si vous prévoyez une visite, voici une façon très concrète de regarder les maisons :
- Depuis l’esplanade : placez-vous à distance pour voir comment les volumes de Maměnka et Libušín répondent à la pente, à la ligne d’horizon, aux autres bâtiments du col.
- Sous les avant-toits : observez la largeur des débords, les gouttières, la façon dont l’eau est guidée. Dans un climat de montagne, cette gestion change beaucoup la durée de vie du bois.
- Le long des balustrades : comparez les découpes, motifs répétés, variations d’un côté à l’autre de la maison. Vous verrez que rien n’est exactement identique, ce qui donne du rythme à l’ensemble.
- À l’intérieur de Libušín : regardez les peintures murales comme un décor pédagogique. Elles condensent des mythes, des figures locales, des images d’un pays idéalisé.
Et, surtout, prenez le temps de vous demander : si l’on devait construire aujourd’hui un refuge de montagne enraciné dans une culture locale, que garderiez-vous de Pustevny ? Les couleurs ? Les techniques en bois ? La manière de lier architecture, récit et paysage ?
Répondre à cette question, même mentalement en buvant un café à Maměnka, permet de mieux comprendre pourquoi ces habitations en bois dépassent le simple statut de curiosité touristique. Ce sont également des outils de pensée pour l’architecture en bois contemporaine.
Crédit photos : thegoulashtrain