Les maisons peintes de Sirigu : un patrimoine unique du Ghana

Au nord-est du Ghana, à la lisière du Sahel, se cache un village dont les murs ont une histoire : Sirigu. Réputé pour ses maisons ornées de fresques géométriques et animalières, ce village est un témoignage de l’ingéniosité et de la créativité des femmes qui perpétuent un art ancien malgré les épreuves du temps et de la modernité. Longtemps menacé par l’exode rural et le climat aride, ce patrimoine mural a retrouvé un souffle nouveau grâce à l’engagement d’une figure locale, Mama Melanie, et à la solidarité de toute une communauté. Découvrons comment ces peintures murales, la poterie et la vannerie de Sirigu sont devenues un héritage, et un moteur d’émancipation et de renaissance pour tout un village.

Un village au carrefour de l’art et de la tradition

Sirigu est un village du Haut Ghana oriental, à environ 800 km de la capitale Accra. Bien que relativement isolé, Sirigu est renommé pour ses traditions artisanales : la vannerie, la poterie, l’architecture vernaculaire et surtout ses peintures murales distinctives. Ces fresques, aux motifs géométriques stylisés et animaux symboliques, ornent les murs en banco des habitations et reflètent une esthétique unique influencée par des traditions communes avec certaines communautés du Burkina Faso voisin.

maisons peintes à Sirigu

L’art mural : une signature féminine

Dans la culture de Sirigu, c’est la responsabilité des femmes de réaliser ces peintures. Elles n’utilisent que trois couleurs (noir, rouge et blanc) obtenues à partir de pigments naturels comme la roche ocre broyée, l’argile et le charbon végétal. Les motifs sont appliqués à même la surface lisse ou sculptée en relief, créant un effet tridimensionnel. Chaque symbole possède une signification bien spéciale :

  • Les points symbolisent des bénédictions,
  • Les triangles en zigzag évoquent le respect,
  • Les lignes ondulées racontent le chemin vers le succès,
  • Le lézard incarne l’amitié,
  • Le python et le crocodile sont associés à la protection et à la survie du clan,
  • La vache est l’emblème de la prospérité.

La poterie et la vannerie : artisanats complémentaires

Outre les fresques murales, les femmes de Sirigu perpétuent la poterie utilitaire et rituelle. Elles façonnent à la main des jarres pour stocker l’eau, la bière locale ou conserver les aliments. Ces poteries jouent un rôle central lors des mariages et funérailles, servant d’offrandes ou de symboles de fertilité et de lien communautaire. La vannerie, quant à elle, produit paniers et nattes indispensables au quotidien.

femme de sirigu poterie

Une organisation sociale marquée par le patriarcat

Traditionnellement, Sirigu est une société patriarcale : l’homme est le chef du foyer et peut avoir plusieurs épouses. La première épouse occupe la pièce principale, les autres disposent de chambres annexes reliées par des murs circulaires. Les femmes, autrefois, n’avaient aucun droit sur les terres ni sur leurs enfants en cas de divorce ou veuvage. Cette structure sociale limitait fortement leur autonomie financière et leur pouvoir de décision. Aujourd’hui encore, certaines de ces pratiques perdurent.

Un art menacé par l’exode rural et le climat

Au fil des décennies, Sirigu a failli voir disparaître son art mural. L’avancée du Sahel et l’aridité croissante ont fragilisé les ressources agricoles, poussant les jeunes à migrer vers les villes. Les maisons en banco, soumises aux intempéries, perdaient peu à peu leurs décorations, faute de moyens pour les restaurer. Or, ces fresques devaient être repeintes tous les deux à trois ans pour conserver leur éclat.

La renaissance grâce à Mama Melanie et SWOPA

Face à ce déclin, Melanie Kasise (surnommée Mama Melanie), enseignante retraitée et native de Sirigu, décide en 1995 de sauver ce patrimoine. Elle fonde le Sirigu Women Organisation for Pottery and Art (SWOPA) avec 54 femmes pour raviver les techniques ancestrales.

Sous son impulsion, la coopérative développe :

  • des ateliers de peinture murale et sur toile,
  • des créations de poteries décoratives,
  • des expositions et ventes dans les villes voisines et à l’international.

Un impact social et économique majeur

Aujourd’hui, SWOPA compte plus de 300 membres actifs et attire près de 1 000 visiteurs par an. Grâce à cette organisation, les femmes génèrent un revenu stable, gagnent en autonomie et participent activement au maintien de leur culture. Certaines suivent même des formations pour devenir guides touristiques ou formatrices pour transmettre leur savoir-faire aux plus jeunes.

Un modèle d’écotourisme et d’artisanat équitable

Sirigu est devenu une étape prisée du tourisme culturel au Ghana. Les visiteurs peuvent participer à des ateliers, acheter des œuvres directement aux artistes et découvrir les coutumes locales. L’argent généré contribue au développement de l’école du village, à la restauration des maisons traditionnelles et à la préservation de l’environnement. Cela renforce la fierté locale et collective.

Entre tradition et modernité : un avenir prometteur

Si la plupart des artistes respectent encore les pigments naturels pour les peintures murales du village de Sirigu, certaines œuvres destinées à la vente internationale intègrent désormais des peintures acryliques plus durables et plus faciles à utiliser. Cette combinaison de techniques anciennes et modernes garantit la transmission vivante de cet art tout en répondant aux exigences du marché global.

Grâce à la vision de Mama Melanie et au courage des femmes de Sirigu, un art menacé d’extinction est devenu un levier de développement local et d’émancipation féminine. Ces murs colorés rappellent qu’au-delà de la décoration, chaque motif est porteur d’identité, de mémoire collective et de fierté communautaire. À Sirigu, l’art est un langage que l’on peint pour ne jamais oublier d’où l’on vient.

Un héritage partagé avec Tiébélé et les Gourounsi

Sirigu n’est pas un cas isolé : ses fresques murales trouvent un écho direct chez ses voisins du Burkina Faso, notamment à Tiébélé, célèbre pour ses maisons peintes traditionnelles. Les maisons peintes de Tiébélé, ornées de motifs géométriques et animaliers, suivent la même logique symbolique et le même usage de pigments naturels. Elles témoignent d’un héritage Gourounsi commun, transmis de génération en génération par les femmes, véritables gardiennes de cet art mural unique en Afrique de l’Ouest.

Cette parenté culturelle entre Sirigu et Tiébélé rappelle combien ces communautés partagent une vision de l’habitat comme support d’identité et de mémoire collective. Préserver et valoriser ces peintures, des murs de Sirigu aux cours fortifiées de Tiébélé, c’est entretenir un fil entre passé et présent.

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