Dans le sud de la Moravie, le village de Louka pourrait sembler ordinaire au premier regard. Pourtant, il doit beaucoup à Anežka Kašpárková, une habitante nonagénaire qui a consacré une partie de sa retraite à peindre des motifs moraves sur les façades blanches du village. Elle avait appris ce savoir-faire auprès d’autres femmes, et elle l’a transmis à sa façon, en continuant à le pratiquer.
Un village morave au patrimoine unique
Le village de Louka se situe dans une région où les traditions populaires sont encore visibles dans le paysage quotidien. Ici, les façades blanches, les petites fermes et les jardins entretenus forment un ensemble caractéristique du sud du pays. La Moravie du Sud est aussi connue pour ses arts décoratifs ruraux, notamment les motifs floraux stylisés que l’on retrouve dans les broderies, costumes folkloriques et certaines architectures vernaculaires. Louka ne possède pas de monuments spectaculaires, mais son charme tient justement à cette continuité du quotidien, façonnée par des transmissions du savoir.
C’est dans ce cadre très ordinaire en apparence que le travail d’Anežka Kašpárková a pris de la valeur. En repeignant des motifs moraves sur les murs du village, elle n’a pas créé une nouveauté : elle a ravivé une pratique locale qui faisait autrefois partie de l’entretien saisonnier des maisons rurales. Sa contribution s’inscrit ainsi dans un patrimoine ancré dans la vie des villages et les traditions de Moravie.
Anežka Kašpárková : d’ouvrière à figure artistique
Selon Reuters (2017), Anežka Kašpárková était une ancienne ouvrière agricole qui, après sa retraite, a consacré son temps à embellir son village. À 90 ans passés, elle peignait encore les façades blanches de Louka avec une énergie remarquable. Elle déclarait souvent qu’elle ne faisait cela que « pour le plaisir », sans autre motivation que l’envie de rendre son environnement plus beau.
Son style s’inspire directement des motifs traditionnels moraves, notamment ceux de la région de Haná et de Slovácko, où le bleu outremer est historiquement associé à la peinture des maisons rurales. Ces motifs, que l’on retrouve aussi sur les broderies locales, mêlent volutes, fleurs stylisées et compositions symétriques. Son style s’inscrit dans une tradition où chaque signe a sa place et son intention. Ces motifs n’étaient pas que décoratifs : ils servaient aussi à affirmer l’identité d’une maison ou d’une famille.
- Fleurs stylisées inspirées des broderies de Slovácko
- Volutes et lignes courbes typiques de Haná
- Motifs symétriques rappelant les ornements des coffres et costumes folkloriques
- Bleu outremer appliqué en contraste sur les façades chaulées
Une tradition féminine qui se transmet
Anežka a expliqué dans plusieurs interviews, notamment pour la télévision tchèque Česká televize, qu’elle avait appris cet art auprès d’autres femmes du village, perpétuant ainsi une tradition féminine. Avant elle, plusieurs habitantes peignaient les façades chaque printemps, une pratique courante dans les villages moraves jusqu’au début du XXe siècle. Ce geste s’inscrivait dans la routine des saisons.
Cette tradition rappelle d’autres formes d’art rural d’Europe centrale, où la décoration des maisons était un signe d’identité communautaire. Louka en conserve aujourd’hui l’une des dernières expressions.
La chapelle de Louka, son œuvre la plus emblématique
L’endroit le plus connu de son travail est la chapelle du village, qu’Anežka Kašpárková repeignait chaque année au printemps. Les photos publiées par BBC et Radio Prague International montrent son célèbre bleu outremer appliqué avec une précision étonnante malgré son âge avancé.
Elle affirmait ne jamais faire de croquis préparatoires :
Je ne planifie rien. Mon imagination décide.
Cette spontanéité donnait à chaque version annuelle une personnalité nouvelle, tout en respectant les motifs folkloriques. Elle adaptait ses motifs selon son humeur du moment. Les habitants découvraient chaque printemps de légères variations sur la chapelle. Cela faisait partie de l’identité du village.
Une œuvre comparée à celle de Zalipie en Pologne
Les médias internationaux, dont Reuters et The Guardian, ont rapproché son travail des maisons peintes du village de Zalipie en Pologne. Là aussi, les femmes décoraient les façades, les fours et même les puits avec des fleurs éclatantes. L’écho entre ces traditions rappelle que de nombreuses régions rurales d’Europe centrale ont développé un art domestique façonné par les saisons et la vie communautaire.
À Louka, toutefois, l’usage du bleu outremer distingue clairement la tradition morave locale, plus graphique et plus symétrique que les compositions florales colorées de Zalipie.
Une artiste célébrée, mais humble jusqu’au bout
La notoriété d’Anežka Kašpárková a pris de l’ampleur après 2016, lorsque plusieurs reportages internationaux ont mis en lumière son travail. Pourtant, elle refusait obstinément le terme « artiste » et expliquait qu’elle « faisait ce qu’elle aimait ». Anežka Kašpárková est décédée en 2018, comme l’a rapporté Radio Prague International, mais son œuvre subsiste dans le village. Les habitants continuent de préserver certaines peintures, conscients de la valeur culturelle et symbolique de son travail.
Aujourd’hui encore, le village de Louka attire des visiteurs curieux de découvrir la chapelle décorée et quelques façades ornées. Le village n’est pas devenu un site touristique majeur, ce qui contribue à conserver le charme de cet art populaire. L’histoire d’Anežka Kašpárková rappelle surtout que le patrimoine ne se limite pas aux grands monuments classés : il se tisse aussi à travers les actions simples de femmes qui, sans jamais se revendiquer artistes, ont façonné l’identité visuelle de leur village.