L’architecture domestique du Lesotho présente une singularité remarquable : la décoration murale Litema. Ce savoir-faire féminin est une tradition vivace dans les villages basotho, où il confère aux habitations une identité visuelle et sociale unique. Le Litema illustre la capacité des sociétés vernaculaires à associer esthétique, symbolisme et vie collective à travers la transformation de l’espace domestique. Ce patrimoine, transmis de mère en fille, demeure aujourd’hui un marqueur fort de la culture basotho.
Origine et signification du Litema
Le mot « Litema « , prononcé « di-the-ma », a des origines agricoles : « ho lema » signifie cultiver et « tema » désigne un champ labouré. Cette étymologie traduit la proximité entre la décoration murale et l’acte de travailler la terre. À l’origine, les motifs apparaissaient sur les parois intérieures des habitations, avant de migrer au XIXe siècle vers les murs extérieurs. Le Litema est devenu un signe de distinction, un langage ornemental exprimant l’appartenance, la mémoire collective et les cycles de la vie.
Aujourd’hui, la pratique du Litema est principalement saisonnière, intimement liée aux célébrations et événements marquants : naissances, décès, mariages, fêtes religieuses comme Noël ou Pâques. À travers ses motifs géométriques, le Litema sert aussi de repère temporel, rappelant la succession des saisons et l’inévitable passage du temps. Chaque motif est un moment de vie partagé par la communauté.


Organisation et transmission de la pratique
La réalisation des motifs Litema suit une organisation sociale précise. Une fois la maison achevée par les hommes, les femmes prennent en charge la décoration. Autrefois, pour les grandes occasions, l’ensemble du village participait à la décoration ; un artiste ou une conseillère reconnue était invitée à diriger les travaux, sélectionnant les formes et les techniques appropriées. Ce rôle de supervision garantissait une certaine cohérence artistique et favorisait la transmission des savoirs.
Le début des périodes de décoration donne lieu à une effervescence collective : voisines, parentes et amies se retrouvent, échangent idées et encouragements, dans une ambiance conviviale. Les discussions portent sur le choix des motifs, la sélection des pigments et la préparation des supports. Cette dynamique sociale favorise l’apprentissage informel et renforce les liens communautaires. Progressivement, l’évolution des modes de vie a conduit à une personnalisation accrue : chaque femme choisit désormais librement ses propres motifs, éventuellement aidée par les membres de sa famille.

Techniques et matériaux
Le Litema est une diversité de techniques, héritées d’un long savoir-faire. Les motifs géométriques sont appliqués à main nue, au doigt, à la fourchette ou à l’aide de petits bâtons. La terre locale est le matériau de base, mélangée parfois à de la bouse ou des fibres pour obtenir la consistance recherchée. Les artistes jouent avec la plasticité de la boue pour réaliser des reliefs, des incisions ou des motifs en creux.
Pour la coloration, les femmes emploient des pigments naturels issus de l’argile, du charbon, des plantes ou de pierres réduites en poudre. Avec la disponibilité de peintures industrielles, certains motifs sont désormais enrichis de couleurs vives, accentuant la visibilité. Il n’est pas rare d’observer l’intégration de petits galets ou de fragments de poterie, incrustés dans les parois pour prolonger la durée de vie des ornements. La dimension éphémère du Litema est centrale : chaque saison, les motifs sont voués à disparaître sous l’effet du soleil et des intempéries, avant de renaître selon de nouveaux agencements.


Symbolique et formes
Les Litema se distinguent par leur géométrie, leur symétrie et la rigueur des tracés. Triangles, losanges, cercles et lignes parallèles s’imbriquent en réseaux ordonnés, formant des panneaux décoratifs continus ou fragmentés sur les maisons traditionnelles du Lesotho. Ces figures renvoient à des codes symboliques multiples : fertilité, harmonie, protection du foyer, transmission. Certaines familles ou lignages perpétuent des schémas spécifiques, véritables signatures visuelles reconnaissables de loin.
Le Litema exprime la relation entre l’homme, la terre et le cycle de la vie. Il traduit la volonté de magnifier l’espace domestique, de marquer la permanence des liens sociaux et d’affirmer une identité collective face aux évolutions du monde extérieur. Chaque décor reflète l’attachement au foyer et à la communauté.

Rythme saisonnier et valeur sociale
Le Litema suit le rythme de la nature : il apparaît avec l’arrivée du printemps et s’estompe avec la saison sèche ou les fortes pluies. Ce caractère transitoire participe à la dynamique créative des villages basotho. Le renouveau décoratif rythme la vie communautaire et souligne l’attachement au foyer. Le Litema accompagne les moments-clés de la vie, qu’il s’agisse d’une naissance, d’un mariage ou d’un deuil.
Les périodes de décoration sont aussi l’occasion de réunir le village autour d’un projet commun. Chacune vient observer, commenter, féliciter ou conseiller, prolongeant ainsi la tradition orale et l’apprentissage collectif. L’art du Litema structure l’espace et le temps social autant qu’il embellit les murs.



Permanence et renouveau de la tradition
Si le Litema est encore présent dans de nombreux villages, il évolue avec les pratiques sociales et les matériaux disponibles. La modernisation des modes de vie, la disponibilité de nouveaux pigments et l’individualisation de la décoration participent à la transformation de cette tradition.
Toutefois, la transmission intergénérationnelle se poursuit, soutenue par des initiatives de valorisation patrimoniale et des programmes de sensibilisation à l’art vernaculaire.
Au Lesotho, le Litema est considéré comme un élément clé du patrimoine culturel immatériel. Son maintien témoigne de la capacité d’adaptation et d’innovation des sociétés rurales face aux mutations du monde contemporain. Loin d’être figée, cette tradition continue d’inspirer, d’agréger des influences extérieures et d’exprimer l’attachement profond des Basotho à leur environnement bâti.
L’art du Litema, par son raffinement et sa richesse symbolique, fait des maisons basotho bien plus que de simples abris : elles deviennent des lieux de création, d’expression et de mémoire partagée. Ce patrimoine vivant, œuvre collective et individuelle à la fois, rappelle la force du lien entre architecture, société et culture au Lesotho. En observant une façade ornée de Litema, c’est tout un pan de la vie communautaire, du savoir-faire artisanal et de la créativité féminine qui se révèle, illustrant la capacité de l’architecture vernaculaire à façonner des environnements où la beauté rejoint l’usage et la transmission.

Crédit photos : wishflowers.tumblr.com.