Riquewihr tient dans une poche de vignes, entre coteau et rempart. Vous arrivez par la porte haute, le pavé sonne sous les pas, puis la rue principale s’ouvre. Les façades forment un rideau. Beaucoup sont à pans de bois. Vous voyez tout de suite le rythme des poteaux, des sablières, des décharges en biais.
Riquewihr est un tissu bâti qui a travaillé pendant des siècles autour de la vigne, du commerce et des métiers. Les maisons à colombages portent cette histoire. Elles ont été agrandies, recoupées, parfois rehaussées. Chaque façade parle de choix : poser la charge, protéger la maison de l’eau, laisser entrer la lumière, garder la chaleur l’hiver. Découvrons ensemble ces maisons à pans de bois.
Comment tient une façade à pans de bois ?
Regardez une façade de près. Trois familles de pièces structurent l’ensemble. Les montants verticaux (poteaux) portent la charge. Les sablières, horizontales, lient le niveau. Les contreventements en biais (décharges) empêchent la déformation sous le vent. L’assemblage se fait par tenons et mortaises bloqués par des chevilles en bois. Pas besoin de métal pour que ça tienne si le bois est bien choisi.
Le remplissage entre les bois varie. On voit du torchis sur lattis, de la brique posée de chant, parfois un mélange. L’enduit vient unifier, protéger, et, à Riquewihr, il reçoit souvent une couleur franche. Le motif du pan de bois reste visible. Vous lisez alors la structure comme un diagramme sur la façade.


Matériaux locaux et logique d’entretien
Le bois vient des massifs proches. Le chêne est recherché pour les pièces maîtresses. Le sapin et l’épicéa couvrent les portées moins sollicitées. Cette hiérarchie économise la ressource. La maçonnerie de soubassement utilise la pierre locale. Elle isole le pan de bois des remontées d’humidité. L’enduit à la chaux respire et accepte les micro-mouvements. Un mortier trop raide fissurerait sur un pan de bois.
Vous verrez parfois des reprises récentes. Un assemblage refait, un potelet changé, un morceau d’about renforcé. C’est normal. Ce système aime la maintenance fine. On remplace la pièce malade, pas tout le mur. C’est aussi ce qui prolonge la vie du bâti. Un charpentier m’a un jour montré une sablière d’angle posée au XVIᵉ siècle. On y voit encore la marque de l’outil. Elle fait toujours son travail.
Couleurs, badigeons et signes de métier
À Riquewihr, la couleur n’est pas qu’un plaisir d’œil. Elle aide à différencier les maisons dans une rue dense. Les badigeons à la chaux teints absorbent et renvoient la lumière selon l’heure. Les huisseries claires accrochent le regard. Vous reconnaîtrez les reprises récentes à l’aplat trop lisse. Les badigeons anciens ont une vibration mate. Ils vieillissent en douceur et se réparent facilement, couche après couche.
Certains linteaux portent des dates, des monogrammes, des outils gravés. Ce sont des indices sur l’usage d’origine. Tonneaux sculptés, grappes, balances, marteaux, rouelles… La vigne et le négoce s’inscrivent sur la pierre et le bois. Cela sert de repère au promeneur et éclaire la lecture de la maison.

Toits, eaux pluviales et climat
Le toit à forte pente évacue vite la pluie et la neige. Les coyaux allongent la ligne basse et éloignent l’eau des façades. Les égouts de toit sont légèrement saillants, avec des noues bien dessinées. Les lucarnes donnent de l’air et de la lumière au comble, souvent utilisé pour sécher ou entreposer. Les tuiles plates à recouvrement jouent serré. C’est une économie de détail qui fait la différence sur un front urbain serré.
La façade sur rue est percée avec prudence, mais la cour reçoit plus de lumière.
Maisons de vignerons, caves et logistique du vin
La vigne donne son tempo. Beaucoup de maisons combinent logement, espace de travail et cave. Au rez-de-chaussée, on trouve souvent une grande porte cintrée. Elle permettait l’accès des charrettes. La cave s’enfonce dans le coteau. Elle garde une température stable. Les pressoirs et cuves occupent les fonds. Les étages servent à sécher, réparer, tenir les papiers et accueillir la famille.
Cette mixité d’usages a façonné les circulations. Les escaliers sont robustes, les planchers renforcés localement. Les encorbellements gagnent de la place pour les pièces à vivre. Le comble ventile les odeurs et l’humidité. Vous lisez donc, dans une seule maison, toute une économie locale.


Rigueur des parcelles et souplesse des façades
Dans une rue étroite, chaque centimètre compte. L’encorbellement agrandit l’étage sans gêner la circulation. Les bow-windows en pan de bois apportent de la lumière en profondeur.
Les surcroîts de fenêtres alignés sous sablière rythment la façade. Le dessin n’a rien d’ornemental. Il répond à la lumière, à la vue, au voisinage. Vous retrouvez là une forme d’intelligence domestique.
La souplesse du système bois-terre permet les ajustements. On ouvre une trémie, on ajoute un potelet, on renforce une sablière. Les maisons évoluent sans tout refaire. Une qualité pour traverser les époques.
Fenêtres, vitrages et lumière
La fenêtre de la maison à colombages alsacienne traditionnelle possède une menuiserie fine et des petits bois. Les vitrages modernes pèsent lourd. Il faut donc adapter sans épaissir à outrance. Vous pouvez poser un double vitrage mince sur châssis existant quand il est sain. Vous gardez ainsi le dessin et la profondeur de feuillure. Dans les rues étroites, l’angle de lumière compte. Une menuiserie trop épaisse assombrit la pièce. Un vitrage trop réfléchissant modifie la perception de la rue.
Le volet joue aussi un rôle thermique et sécuritaire. Les volets bois à lames verticales s’intègrent bien dans ce tissu. Ils coupent le rayonnement en été et gardent la chaleur la nuit en hiver.

Détails à ne pas négliger lors d’une visite
Le nez de dalle des encorbellements mérite un regard. Il dit l’état des pièces maîtresses. La sablière intermédiaire raconte la rectitude de la maison. Une légère flèche n’est pas un drame si elle est stable.
Ce qui inquiète sont les ruptures nettes, les pourritures actives, les bois mous sous tournevis. La pierre de soubassement doit rester hors d’eau. Les descentes pluviales doivent être continues jusqu’au caniveau. Une gouttière manquante suffit à dégrader un mur en deux hivers.
Regardez aussi le pied de poteau dans les cours. Un simple piédroit en pierre peut sauver un bois du ruissellement. Ce genre de correction discrète prolonge la vie de l’ouvrage sans l’enlaidir.
Une anecdote de chantier
Un matin d’automne, un charpentier m’a montré une mortaise ouverte dans une façade de la rue. Le touriste voyait un « trou ». Lui y voyait un point d’accès prévu pour glisser une pièce neuve sans démonter tout le pan. Il a posé la pièce, chassé la cheville, resserré l’assemblage, puis refermé l’enduit. Dix minutes. Ce petit geste dit bien l’esprit de ces maisons : prévoir la réparation dès le dessin.


Petit glossaire utile
- Sablière : pièce de bois horizontale qui relie les montants et reçoit le plancher.
- Décharge : pièce en biais qui contrevente la façade et la stabilise sous le vent.
- Encorbellement : saillie d’un étage sur la rue, portée par des consoles ou des solives.
- Tenon-mortaise : assemblage bois-bois, bloqué par une cheville.
- Torchis : mélange terre-paille appliqué sur un lattis qui remplit les cadres du pan de bois.
- Soubassement : partie basse du mur, en pierre, qui isole le bois de l’humidité du sol.
Le mot de la fin
Si vous venez visiter cette ville, prenez le temps de lever la tête. Riquewihr se lit en façade, mais se comprend surtout par ses détails. Si vous repartez avec le dessin d’un poteau, la photo d’une console et l’envie de regarder les gouttières autrement, vous avez déjà saisi l’essentiel du lieu.