Les maisons coloniales de Santa Ana de Coro : un héritage UNESCO

Coro n’a pas la grandeur monumentale de Mexico, ni les balcons flamboyants de La Havane. Elle a autre chose : un tissu de maisons basses en terre crue, patios ombragés et façades enduites à la chaux, posées entre dunes et sierra. Vous y lisez la rencontre de techniques indigènes et d’usages venus d’Espagne… avec, par touches, une influence néerlandaise due aux échanges avec Curaçao. Inscrite à l’UNESCO depuis 1993, la ville vit au rythme de ces maisons qui prennent la lumière et gardent la fraîcheur.

Où sommes-nous et d’où vient cette architecture ?

Santa Ana de Coro est la capitale de l’État de Falcón, fondée en 1527. Son centre ancien s’étire entre le parc national des Médanos (les dunes) et la Sierra de San Luis.

Le plan urbain remonte aux XVIIe-XVIIIe siècles : rues pavées, îlots réguliers, petites places, couvents et maisons de notable autour de patios. Surtout, ici, les bâtiments sont massivement construits en terre : adobe, tapia (pisé) et bahareque (pan-de-bois et remplissage de terre), techniques adaptées au climat sec et chaud. Elles sont toujours utilisées, avec des évolutions pour mieux résister aux intempéries.

Cette identité a valu à Coro et son port de La Vela leur inscription au patrimoine mondial. L’UNESCO reconnaît la valeur de cet ensemble pour sa cohérence urbaine et la qualité d’un savoir-faire de terre crue rare dans la Caraïbe. Cette reconnaissance s’accompagne d’obligations strictes de conservation.

Une maison coriana, pièce par pièce

Imaginez que vous franchissiez le zaguán : un passage droit depuis la rue qui mène au patio. Sur rue, un portail en bois épais et des grilles protègent les ouvertures. Le mur est souvent en adobe sur soubassement de pierre pour éviter les remontées d’humidité. L’enduit à la chaux laisse respirer la paroi. Le toit est couvert de tuiles en terre cuite, avec un large débord (alero) porté par des corbeaux de bois : l’ombre est votre première climatisation. Chaque détail répond à une nécessité plus qu’à une mode.

Le patio est le cœur : jardin, citerne, galerie périphérique soutenue par des poteaux. Les pièces se distribuent autour : sala pour recevoir, comedor pour les repas, alcôves ventilées, cuisine à l’arrière. Les plafonds montrent leur structure : poutres apparentes et solives, parfois décorées. C’est simple et précis : épaisseur des murs pour l’inertie, ombre portée, courants d’air croisés. Ces choix ne viennent pas d’un style, mais d’une logique de confort. Cette organisation crée une maison tournée vers l’intérieur.

façade maison coloniale à Coro

Trois techniques de terre, trois façons de tenir debout

  • Adobe : briques moulées, séchées au soleil, montées au mortier de terre. Avantage : masse thermique élevée, donc fraîcheur au jour et chaleur restituée la nuit.
  • Tapia (pisé) : terre humidifiée, compactée entre banches. On obtient un mur monolithique, une technique de construction rapide à élever quand la terre locale est bonne.
  • Bahareque : ossature de bois et cannes, remplissage de terre. Plus léger, un peu plus souple en cas de mouvements du sol, facile à réparer pièce par pièce.

Dans les trois cas, l’ennemi est l’eau stagnante. D’où l’importance des soubassements, des enduits à la chaux, des toits bien débordants, des rigoles et des seuils relevés. Les habitants savent également refaire un enduit à la saison sèche : la maintenance est une culture, pas une option à Coro.

Couleurs, ferronneries et touche des Antilles néerlandaises

Les façades de Coro misent sur la retenue. Les enduits à la chaux couvrent les murs de teintes minérales : ocre doux, bleu grisé, rouge brun sur les soubassements. Les encadrements soulignent les ouvertures sans surcharge décorative. Les rejas, ces grilles en fer forgé, dessinent un rythme horizontal dans la rue et servent autant à ventiler qu’à sécuriser la maison. Les lignes sont simples, sans excès.

Cette sobriété fait ressortir quelques éléments plus affirmés comme les grandes portes en plâtre mouluré, héritées du baroque espagnol. On en voit surtout sur les maisons de notables près de la cathédrale. Elles ne sont pas les seules à attirer l’attention : certains détails trahissent aussi une influence venue de la mer. Les liens commerciaux avec Curaçao ont apporté des goûts venus de Willemstad : couleurs plus soutenues sur certaines façades, menuiseries aux profils légèrement différents, quelques garde-corps à l’esprit néerlandais. Santa Ana de Coro n’a pas adopté l’exubérance chromatique des maisons colorées de Willemstad, mais l’échange existe et il donne au centre historique une note caribéenne discrète.

La Casa de las Ventanas de Hierro (littéralement : la maison des fenêtres de fer) doit son nom à ses lourdes grilles importées de Séville en 1764 et payées… en cacao. On raconte le troc de « cinq quintaux ». La demeure montre également un portail de plâtre mouluré d’environ huit mètres de haut : un geste d’apparat pour une demeure urbaine qui a gardé mobilier et souvenirs de la famille.

Deux exemples à voir en priorité

  • Casa de las Ventanas de Hierro : façade basse, quatre fenêtres aux grilles massives, portail monumental, patio meublé. C’est à la fois une maison et un petit musée privé où l’on vous parle des mantuanos (élites créoles) et de la vie urbaine au XVIIIe siècle.
  • Les îlots proches de la cathédrale : maisons de plain-pied, toits de tuiles continues, rythmes réguliers d’ouvertures et de pilastres enduits. La valeur n’est pas dans un « monument », mais dans la continuité : même gabarit, mêmes matériaux, mêmes règles d’ombre et de ventilation.

Pourquoi ces maisons tiennent-elles dans le temps ?

Parce que le système est cohérent :

  • La terre crue régule l’humidité.
  • La chaux protège sans étouffer.
  • Le bois travaille mais se remplace.
  • Le plan centré sur le patio limite l’exposition au soleil.
  • Les débords de toit évitent le ruissellement sur la façade.

Dans les années 2004-2005, des pluies exceptionnelles ont abîmé de nombreux édifices. L’UNESCO a alors classé Coro en péril (2005). En cause : dégâts d’eau, mais aussi mauvais murs de clôture et projets inadaptés dans le périmètre protégé. Depuis, des actions d’urgence et des plans de gestion ont été lancés, avec des fortunes diverses. L’enjeu est de protéger la ville de l’eau et guider les travaux.

rue de Coro

Visite : comment regarder sans passer à côté ?

  • Lisez les murs : repérez le soubassement en pierre, l’épaisseur (embrasures profondes), l’enduit de chaux parfois gaufré par les reprises.
  • Cherchez l’ombre : débords de toit, corbeaux, galeries. Les parcours évitent le soleil direct.
  • Ouvrez l’œil sur la menuiserie : portes à panneaux, serrures anciennes, rejas forgées. Ici, la ferronnerie est un langage urbain.
  • Depuis la rue jusqu’au patio : quand une maison se visite, sentez le rôle du zaguán, c’est une coulisse qui rafraîchit l’air avant d’entrer dans les pièces.

Entretien et risques : le vrai sujet

La vulnérabilité des maisons de terre est connue : l’eau, surtout quand les drains sont bouchés ou que les débords manquent. Après les pluies de 2004-2005, beaucoup de structures ont souffert ; d’autres ont été défigurées par des clôtures neuves et des « portes monumentales » hors d’échelle dans la zone tampon. Les rapports mentionnent aussi des projets de front de mer à La Vela qui n’aident pas toujours à protéger le site. Le classement en péril rappelle que la valeur d’un centre ancien tient autant à l’architecture qu’aux espaces publics, aux clôtures, au paysage.

Sur le terrain, les gardiens, les familles et les guides maintiennent ce qu’ils peuvent. Certaines maisons se visitent, d’autres restent fermées selon l’état, les moyens, ou des décisions administratives. Cela peut frustrer un voyageur, mais cela dit une réalité : entretenir la chaux, reprendre une sablière, refaire un chaînage, cela coûte. Le succès tient à des gestes modestes et réguliers.

maison coloniale à Coro

Une maison-repère : la Ventanas de Hierro

Revenons à cette maison phare. Construite vers 1764-1765, elle a traversé sept générations et s’est faite musée de tradition familiale. Son portail en plâtre mouluré (environ 8 m de haut) est souvent cité comme l’un des plus raffinés de la Caraïbe hispanique. Les grilles arrivées de Séville par la mer sont devenues son nom propre. L’histoire du troc en cacao résume la géographie d’alors : la façade raconte la mer autant que la ville. Quand la maison est ouverte, des visites commentées replacent le décor dans la vie : rythmes, pièces, mobiliers, métiers. Vous ne voyez pas une belle façade, vous entrez dans une façon d’habiter.

Ventanas de Hierro à Coro

Et la question des couleurs ?

Coro n’a pas la palette acidulée de Curaçao, mais la ville n’est pas monochrome. Les enduits à la chaux sont souvent teintés dans la masse : ocres, jaunes doux, bleus grisés, rouges bruns sur les soubassements. Ces teintes servent d’abord à gérer l’éblouissement, à différencier les seuils, à marquer une adresse. Les influences caribéennes ont apporté quelques tons plus francs au XIXe siècle, sans bouleverser l’équilibre d’ensemble. Chaque rue garde ainsi une identité lisible sans excès décoratif.

Pour terminer

Les maisons coloniales de Santa Ana de Coro ne cherchent pas l’effet. Elles tiennent par une logique climatique, des matériaux du lieu et une culture de l’entretien. Elles demandent du soin ; elles le rendent en confort et en beauté discrète. Si vous préparez une visite, gardez l’œil sur les détails : un soubassement bien taillé, l’épaisseur d’une embrasure, l’ombre portée d’un alero. Et, si la Casa de las Ventanas de Hierro est ouverte, poussez la porte : vous verrez comment un patio, quelques poutres et une grille de fer suffisent à faire une maison qui a traversé deux siècles et demi.

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