Au nord de la Corse, le Cap Corse, souvent qualifié de « doigt » de l’île, cache des trésors insoupçonnés. Parmi eux, des maisons d’une beauté et d’une exubérance rares, connues sous le nom de « maisons des Américains ». Ces demeures sont les témoins d’une époque où des familles corses ont traversé l’Atlantique pour faire fortune dans le Nouveau Monde, avant de revenir sur leur terre natale.
Une quête d’aventure et de richesse
Au 16ème siècle, les premiers aventuriers corses, principalement originaires du Cap Corse, levaient les voiles vers les Amériques. Leur quête n’était pas motivée uniquement par le besoin économique. Bien sûr, le Nouveau Monde offrait des opportunités de richesse rapide, facilitée par une main-d’œuvre abondante grâce à l’esclavage. Mais pour beaucoup, c’était surtout la soif d’aventure qui les poussait à franchir l’océan. Les États-Unis, le Pérou, la Bolivie, le Mexique, le Venezuela, les Antilles et Haïti devinrent les nouvelles terres d’accueil de ces insulaires audacieux.
La migration vers le continent américain s’intensifia au fil des siècles et atteignit son paroxysme au 19ème siècle. Ce mouvement transatlantique transformait parfois des familles entières qui partaient, pleines d’espoir, à la conquête d’une vie meilleure. Mais que se passait-il une fois là-bas ? Tous ne trouvèrent pas la fortune, et quelques rêves s’écroulèrent. Cependant, pour ceux qui réussirent, les champs de café, les mines d’or, les plantations de canne à sucre et d’hévéa devinrent des sources de richesse.
Le retour triomphant
Malgré le prestige et le succès qu’ils pouvaient acquérir à l’étranger, les capcorsins gardaient une attache indéfectible avec leur île. Ce dicton bien connu chez eux : « un Corse ne part pas, il s’absente », illustre bien cet état d’esprit. Une fois leur fortune faite, beaucoup d’entre eux retournaient dans leurs villages d’origine. Leur réussite devait être célébrée, et quelle meilleure façon de le faire qu’en bâtissant de grandes demeures somptueuses (appelées « palazzi di l’Americani » en corse) ?
Ces maisons, véritables palais, s’érigeaient alors comme des monuments à la gloire de leur succès. La première d’entre elles a vu le jour en 1724, dans le hameau de Pozzo. Carlo Ferdinand, plus connu sous le nom de « Brandoni », a choisi de retourner à sa terre natale après avoir amassé une fortune à Veracruz. Ce geste marqua le début d’une longue tradition qui allait donner au Cap Corse une image unique.
Un patrimoine architectural unique
Avec le temps, ces luxueuses demeures se multiplièrent à travers la Corse, principalement dans la région du Cap Corse, mais également en Balagne et dans le Cortenais. C’est ainsi que des villages tels que Belgodère, Feliceto, Morsiglia, Centuri et bien d’autres, virent s’élever des maisons aux architectures spectaculaires. On estime que plus de 300 de ces bâtisses se dressent aujourd’hui sur l’île.
L’architecture de ces maisons des Américains en Corse contraste nettement avec celle, plus sobre, des habitations traditionnelles des villages corses. Inspirées par le style toscan, ces demeures exhibent des escaliers majestueux, des jardins exotiques peuplés de plantes rares, ornées de colonnes et de bassins. Certaines, comme la villa Saint-Pierre à Sisco, reprennent même le plan des haciendas latino-américaines, apportant une touche d’exotisme supplémentaire à leur charme déjà envoûtant.
Une marque indélébile sur les villages
La construction des maisons ne fut pas l’unique affaire des propriétaires. La générosité de ces riches familles s’étendit souvent à tout le village. Elles participèrent à la rénovation des chapelles et des routes, et financèrent la construction de monuments publics tels que des écoles et des mairies. À Barrettali, par exemple, une fontaine fut érigée, tandis qu’à Pietracorbara, des orgues furent offerts à l’église locale.
Ces actes de générosité contribuèrent à l’embellissement des villages, en y laissant une empreinte durable. Aujourd’hui encore, les visiteurs peuvent admirer ces bâtisses et ressentir l’aura de grandeur qu’elles dégagent, rappelant une époque où le rêve américain avait conquis le cœur et l’esprit des Corses.
5 maisons d’Américains emblématiques en Corse
Les maisons des Américains, ou palazzi di l’Americani incarnent le prestige, la réussite et l’attachement à une terre natale que les Corses n’ont jamais oubliée, même après des années passées à l’autre bout du monde. Certaines d’entre elles sont emblématiques par leur histoire et leur architecture.
1. Le Palazzu Nicrosi à Rogliano
Construit en 1877 par Pierre-Marie Nicrosi, le Palazzu Nicrosi est une imposante résidence de 1 600 mètres carrés répartis sur cinq niveaux. Situé au sommet des collines de Rogliano, ce domaine de plus d’un hectare est bordé par une allée majestueuse de platanes et offre une vue imprenable sur les îles italiennes de Capraia et d’Elbe. Le porche d’entrée, soutenu par deux imposantes colonnes, et la rampe en fer forgé ornée de la date de construction, témoignent de l’élégance de cette demeure. Restée dans la même famille depuis sa construction, elle a été transformée en une demeure de charme composée de cinq chambres et suites à louer, permettant aux visiteurs d’entrer dans l’histoire des Corses d’Amérique.
2. La villa Gaspari-Ramelli à Sisco
Érigée en 1840 par Simon Giovanni Gaspari, établi au Venezuela en 1827, cette villa est un exemple remarquable des « maisons des Américains ». Inspirée des villas palladiennes de Vénétie, elle se distingue par son architecture élégante et son histoire. Aujourd’hui, sous l’impulsion de Rose-Marie Carrega-Ramelli, la villa est devenue un lieu de rencontres culturelles, accueillant des expositions d’artistes, des conférences et divers événements, contribuant ainsi au rayonnement culturel du Cap Corse.
3. La villa Castel Brando à Erbalunga
Construite en 1853 par M. De Zerbi, médecin au service des armées de Napoléon III, la villa Castel Brando est une élégante demeure patricienne située à Erbalunga. Plus tard, elle fut acquise par M. Calisti, originaire d’Erbalunga, qui avait quitté la Corse au début du 19ème siècle pour chercher fortune dans les plantations de canne à sucre à Saint-Domingue. Cette maison reflète le succès de son propriétaire et son attachement à sa terre natale, incarnant l’esprit des « maisons d’Américains » du Cap Corse.
4. La villa Saint-Jacques à Luri
Située dans le hameau de Piazza à Luri, la villa Saint-Jacques est un autre exemple des « maisons des Américains ». Ces demeures ont été bâties par des familles corses parties au XIXe siècle en Amérique du Sud pour y faire fortune. La Villa Saint-Jacques, avec son architecture distinctive, témoigne de cette époque où les Corses émigraient pour prospérer avant de revenir investir dans leur île natale.
5. Le château Cagninacci à Sisco
Situé dans le village de Sisco, le château Cagninacci est l’un des plus remarquables exemples des demeures construites par les Corses de retour des Amériques. Érigé au 19ème siècle par Joseph Cagninacci, un entrepreneur ayant prospéré à Porto Rico dans le commerce de la canne à sucre, ce château impressionne par son style néo-classique mêlé à des influences exotiques.
Entouré d’un grand parc aux essences rares, rapportées d’Amérique, le domaine comprend aussi une chapelle privée. À l’intérieur, on trouve des salons ornés de fresques, des meubles d’époque et des objets exotiques témoins des voyages de son propriétaire. Aujourd’hui, ce château est un lieu emblématique du patrimoine culturel du Cap Corse, offrant un aperçu de l’histoire des Corses d’Amérique.
Un patrimoine à redécouvrir
Aujourd’hui, les maisons des Américains constituent un patrimoine architectural et culturel unique en son genre. Elles racontent l’histoire d’un peuple insulaire qui, malgré les océans, n’a jamais perdu le lien avec ses racines. Pour les visiteurs, ces demeures sont des joyaux à découvrir. Une découverte d’un passé où aventure, audace et réussite se conjuguaient pour dessiner les contours d’un paysage à nul autre pareil.
En visitant les villages du Cap Corse, on peut admirer la beauté de ces édifices tout en découvrant l’héritage d’une époque où chaque pierre racontait l’histoire d’une famille. Des visites guidées offrent l’occasion d’explorer ces bâtisses, de percer leurs secrets et la passion qui animait leurs bâtisseurs.