Quand vous arrivez à Riga, la ville peut sembler fragmentée. D’un côté, un centre médiéval compact. Un peu plus loin, des façades Art nouveau chargées de visages et de symboles. Puis des rues bordées de maisons en bois, et enfin des barres de logements héritées de l’époque soviétique.
En réalité, tout cela parle de la même histoire à propos de Riga : celle d’une ville de commerce qui s’est adaptée à chaque période sans effacer complètement la précédente.
Une ville façonnée par la Daugava et le commerce
Riga naît en 1201 sur la rive de la Daugava, à un point stratégique entre mer Baltique et arrière-pays. Très tôt, la ville rejoint le réseau de la Hanse. Les marchands allemands, les artisans, puis les autorités successives (ordre livonien, Pologne-Lituanie, Suède, Empire russe) la transforment en place forte et en port de premier plan. Le plan du centre se fixe globalement entre le XIIIᵉ et le XVIᵉ siècle : rues étroites, îlots dense, maisons accolées, églises puissantes. Autour, la ville s’étend par cercles :
- un noyau médiéval compact
- un arc de boulevards du XIXᵉ siècle avec parcs et édifices représentatifs
- des faubourgs à trame régulière, où le bois domine encore aux XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles
Riga est aujourd’hui un cas d’école pour comprendre comment coexistent centre ancien, ville du XIXᵉ siècle, quartiers ouvriers, banlieues de panneaux de béton et projets contemporains.
Vecrīga : centre historique de marchands et d’artisans
Le centre historique (Vecrīga) est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ce secteur rassemble les traces les plus anciennes de la ville : maisons de marchands, églises gothiques en brique, anciens entrepôts portuaires, cours intérieures serrées. Les maisons médiévales ont une façade étroite tournée vers la rue, parfois surmontée d’un pignon marqué, puis un passage qui mène vers l’arrière. En traversant cette porte, on découvre une cour où se trouvaient autrefois un entrepôt, un atelier ou une petite aile destinée au travail. Ce schéma se répète dans tout le centre ancien et donne à ces ruelles leur rythme.
La plupart des structures d’origine sont en brique, parfois combinée à de la pierre. Les façades ont souvent été remaniées : des ajouts baroques, des reconstructions après incendies, des modernisations successives. Cela donne un paysage urbain où les époques se superposent sur de petites parcelles.
En vous promenant autour de la cathédrale ou de l’église Saint-Pierre, vous découvrez toute cette diversité architecturale : volumes médiévaux assez sobres, maisons des XVIIᵉ–XVIIIᵉ siècles plus régulières, immeubles du XIXᵉ siècle qui comblent les vides avec des façades alignées.
Des maisons médiévales aux façades reconstruites
Pour saisir la longue durée de l’habitat urbain à Riga, deux ensembles servent de repère : les maisons des Trois Frères et la maison des Têtes Noires. Les Trois Frères montrent trois phases de construction :
- le « Grand Frère » (daté vers 1490), avec façade gothique tardive, pignon triangulaire, grandes baies hautes, traces de fonctions mixtes (commerce et logement)
- le bâtiment jaune au milieu, parfois appelé le « Frère du milieu » construit en 1646, est plus régulier et a été influencé par les compositions hollandaises du XVIIᵉ siècle
- le « Petit Frère », vert, de la seconde moitié du XVIIᵉ siècle, au décor plus libre
L’ensemble donne une idée de l’évolution des maisons de centre-ville : même parcelle étroite, mêmes volumes de base, mais un vocabulaire de façade qui change selon les modes et techniques disponibles.
La maison des Têtes Noires illustre une autre réalité : celle des reconstructions. Démolie pendant la Seconde Guerre mondiale, cette ancienne maison de confrérie a été reconstruite à la fin du XXᵉ siècle, sur la base de plans anciens et de relevés précis. Le résultat s’inscrit dans la silhouette de la place, avec son pignon très travaillé, ses briques claires, ses décors inspirés des formes maniéristes et baroques.
Vous vous trouvez ainsi devant deux façons de transmettre l’héritage : le bâti conservé et la restitution fondée sur des sources historiques. Riga assume cette tension : la ville protège les vestiges, mais n’hésite pas non plus à reconstituer des volumes disparus pour garder la cohérence de certains ensembles.
Art nouveau : façades sculptées, appartements modernes
À la fin du XIXᵉ siècle, Riga connaît une forte croissance. La population augmente, la ville déborde ses frontières historiques, un nouveau quartier de boulevards et d’immeubles de rapport se construit. C’est le moment où l’Art nouveau à Riga devient le registre privilégié pour les façades. Entre 1896 et 1913, on construit tant d’immeubles de ce style que Riga est aujourd’hui considérée comme l’une des villes les plus riches en Art nouveau au monde. L’Art nouveau dans la ville se décline en plusieurs familles :
- un Art nouveau décoratif, très chargé, où la structure est relativement classique mais où la façade se couvre de reliefs, de mascarons et de motifs végétaux
- une tendance « perpendiculaire » plus géométrique, aux compositions verticales marquées
- un courant dit « romantisme national », qui puise dans les motifs lettons (feuilles de chêne, animaux locaux) et dans des volumes proches de l’architecture du Nord
- une approche plus sobre, parfois qualifiée de néo-classique, surtout visible dans certains immeubles bancaires, où les façades jouent davantage sur la proportion et la symétrie
Les noms qui reviennent sont ceux de Mikhail Eisenstein, de Konstantīns Pēkšēns ou d’Eižens Laube. Leur terrain de jeu le plus visible, c’est Alberta iela, rue ouverte entre 1901 et 1908, aujourd’hui alignement de façades spectaculaires reconnues comme monuments architecturaux d’intérêt national.
Sur ces immeubles, les façades parlent fort : visages géants, têtes de Méduse, sphinx, colonnes engagées, corniches très saillantes. Ces décorations architecturales masquent pourtant un programme assez rationnel dans la ville : immeubles de rapport, avec boutiques au rez-de-chaussée, appartements d’angles, cages d’escalier mises en valeur, réseaux techniques modernisés pour l’époque.
Vous faites donc l’expérience d’une ville qui, au tournant du XXᵉ siècle, cherche une image urbaine sophistiquée tout en logeant une bourgeoisie en plein essor et en recherche de confort.
Maisons en bois des faubourgs : l’autre visage de Riga
On oublie souvent que Riga n’est pas qu’une ville de pierre et de stuc. Autour du centre, des quartiers entiers ont longtemps été construits en bois. C’est ce que l’UNESCO rappelle en mentionnant les faubourgs du XVIIIᵉ et du XIXᵉ siècle, organisés sur un réseau de rues orthogonales, où s’alignent des demeures et des maisons mitoyennes ou semi-mitoyennes d’un ou deux niveaux.
On les retrouve à Āgenskalns, sur la rive gauche de la Daugava, et dans le « quartier de Moscou », à Grīziņkalns ou sur l’île de Kipsala. La silhouette des maisons en bois de Riga est souvent modeste :
- volume parallélépipédique
- toit à deux pentes
- façade sur rue à planches horizontales ou verticales
- encadrements de fenêtres soulignés par un jeu de moulures
Les parcelles accueillent parfois un petit jardin, une remise, un second bâtiment côté cour. La brique intervient pour les soubassements, les cheminées ou les annexes moins résistantes au feu.
Pendant longtemps, ces quartiers ont été perçus comme vieillissants. Aujourd’hui, ils suscitent un regain d’intérêt. Le Kalnciema Quarter, ensemble de maisons en bois restaurées sur Kalnciema iela, en est un symbole : ateliers, galeries, cafés, et un marché où artisans et producteurs locaux occupent la rue le samedi. Un centre d’architecture du bois y a ouvert en 2016, avec expositions et ateliers.
Ce mouvement ne tient pas uniquement à une mode. Il s’appuie sur un travail de fond mené par des architectes, des habitants et des historiens, qui documentent les typologies, les décors, les techniques de construction et négocient avec les règles d’urbanisme pour éviter les démolitions systématiques.
Des microrayons soviétiques aux immeubles modernes
À partir de la fin des années 1950, le décor change brutalement. L’Union soviétique pousse un urbanisme de microrayons : grands ensembles d’immeubles préfabriqués, équipements intégrés, espaces verts organisés autour de la voiture et des transports publics. À Riga, la bascule vers ce type d’aménagement intervient vers 1957. Le premier microrayon, Āgenskalna priedes, sort de terre entre 1958 et 1962.
Puis viennent Purvciems, Imanta et d’autres secteurs périphériques, qui transforment durablement la structure résidentielle de la capitale. Les logements se standardisent :
- immeubles en panneaux de béton
- escaliers communs
- appartements répétitifs, souvent traversants
- espaces extérieurs conçus pour les jeux d’enfants, cheminements piétons, petits équipements
Une étude sur l’habitat de cette période montre que ces ensembles influencent aussi la façon dont les habitants perçoivent leur espace de vie, l’échelle du voisinage et la distance au centre.
Aujourd’hui, ces microrayons suscitent des réactions contrastées. Certains y voient un héritage, d’autres un stock de logements à réhabiliter. Des projets de rénovation thermique, de requalification des espaces publics et de densification ponctuelle sont à l’étude ou déjà engagés.
Pour un visiteur intéressé par l’architecture, ces quartiers montrent un autre chapitre : celui d’une modernité industrialisée, qui voulait offrir à chaque famille un appartement doté de chauffage central, d’eau courante et de sanitaires. Cette ambition peut sembler modeste aujourd’hui, mais elle répondait à un besoin réel après des décennies de logements précaires. Et quand vous traversez ces rues, vous mesurez comment ces immeubles standardisés ont changé la vie de milliers d’habitants.
Rénovations, tensions et nouveaux usages
Si vous regardez la ville d’un peu haut, vous distinguez clairement les couches de son développement. Mais à l’échelle de la maison ou de l’immeuble, la situation est plus nuancée.
Dans le centre historique de Riga et dans les quartiers Art nouveau, la pression touristique et immobilière pousse vers la rénovation, souvent avec de la transformation en bureaux, en hôtels ou en logements de standing. Le cadre légal de protection du centre historique, renforcé par une loi spécifique en 2019, impose un contrôle des interventions, des matériaux et des volumétries.
Dans les quartiers en bois, un équilibre plus fragile se joue entre réhabilitation respectueuse, remplacements par des immeubles neufs et dégradation faute de moyens. Le Kalnciema Quarter illustre une version réussie : restauration, activités culturelles, présence d’un centre de ressources. D’autres rues restent en suspens, avec des maisons vacantes, parfois en attente de projet.
Les microrayons, eux, sont au cœur de discussions sur l’énergie, le confort d’hiver, l’accessibilité, la mixité sociale. Les habitants y sont attachés pour des raisons très concrètes : proximité des écoles, vue dégagée, habitudes de voisinage. Les architectes et urbanistes y voient aussi un terrain d’expérimentation pour inventer des formes de densification douce ou de restructuration des barres vétustes.
Enfin, des bâtiments récents complètent ce puzzle : sièges d’entreprises, réhabilitations d’anciennes usines, équipements publics. Ils s’installent souvent sur les franges, près de la Daugava ou le long des axes de transport, en dialogue avec les couches plus anciennes du tissu urbain.
Au final, parler des maisons de Riga, ce n’est pas seulement commenter des façades. C’est observer comment une ville portuaire, passée sous plusieurs souverainetés, a assemblé brique, bois, béton et verre pour répondre, à chaque période, à une question simple : où et comment loger ses habitants ?
Si vous visitez la ville, essayez un parcours en trois temps : matin dans Vecrīga, début d’après-midi à Alberta iela et dans les rues Art nouveau, fin de journée à Āgenskalns ou dans un quartier de maisons en bois. Vous aurez alors une image assez fidèle de l’architecture de Riga aujourd’hui : entre héritages assumés, contraintes du climat balte, défis et plaisir de vivre dans une ville aux différentes couches.