Présent sur les hauts plateaux d’Érythrée, le Hidmo est un habitat rural construit en matériaux locaux et pensé pour durer. Bois, pierre et argile forment un système solidaire, robuste et économe, mis en œuvre par des charpentiers-maçons qui maîtrisent l’assemblage de troncs, de branches et de maçonneries en pierre sèche. Le résultat donne ces maisons basses, couvertes d’un toit végétalisé d’aspect irrégulier, facilement reconnaissables par leur véranda soutenue de poteaux.
Implantation et lecture d’ensemble
Le Hidmo s’implante sur des replats ou des pentes douces, souvent au sein d’un petit enclos de murets en pierre. Le bâtiment se présente comme un parallélépipède bas à façade largement ombragée par une saillie de toiture portée par des poteaux. Cette avancée crée un espace de transition (la gebela) qui fait office de véranda. Les ouvertures sont rares, de petite taille, et regroupées sous l’auvent pour limiter l’ensoleillement direct et les pertes de chaleur nocturnes.
Le contact visuel avec les maçonneries de pierre, l’enduit de terre ou chaux et la couverture épaisse de rameaux et de terre correspond fidèlement à ce que l’on observe sur le terrain.
Système constructif : bois, pierre et argile
L’ossature principale
Le cadre primaire est fait de troncs d’arbres épais ou de grosses branches dressés en poteaux et reliés par des sablières. Un Hidmo de taille moyenne mobilise environ 12 poteaux, disposés en façade et à l’intérieur pour reprendre les charges de la toiture. Ces éléments sont choisis verts puis équarris sommairement. Les assemblages sont simples (entures, appuis en tête, ligatures éventuelles).
Les murs porteurs
Les parois périphériques sont montées en pierre sèche, parfois jusqu’à 70 cm d’épaisseur. Les blocs sont posés de façon à obtenir une face interne assez plane pour recevoir un corps d’enduit. Ce mur assure la stabilité et joue un rôle dans le confort thermique par inertie : il lisse les écarts de température entre le jour et la nuit. Le remplissage entre poteaux peut combiner pierres et clayonnage de branches fines enduites d’argile, ce qui permet de rattraper les irrégularités et d’avoir une surface prête à être blanchie.
La couverture
La toiture est une succession de rameaux et de branches posés serrés sur des solives, elle-même recouverte d’une couche de terre tassée. Avec le temps, cette terre se végétalise par semis spontané. La couverture reste donc non circulable : elle n’est ni un espace de séchage ni un lieu de couchage, mais un « capuchon » lourd, continu et isolant qui protège les maçonneries. La face inférieure, composée de rondins et de branchages, reste visible sous l’auvent, ce qui confirme visuellement la technique.

Plan type et organisation intérieure
La plupart des Hidmo ont 2 pièces distinctes, séparées par une succession de réserves cylindriques :
- Midri-biet : pièce de vie polyvalente (repas, repos, réception). On y déploie des nattes pour la nuit, on y stocke les objets du quotidien.
- Wushate : espace divisé en cuisine d’un côté et cellier de l’autre.
Entre ces deux zones s’alignent huit à dix koffotat, de petits silos cylindriques en terre cuite. Leurs corps, maçonnés et enduits, forment une cloison-stockage très performante : la séparation est physique et, en même temps, le grain reste au cœur de la maison, sous surveillance. En façade, la gebela (véranda) étire l’espace de vie sur l’extérieur. Le jour, on y travaille, on s’y repose et l’on reçoit à l’ombre. La nuit, le bétail peut y être rassemblé, profitant d’un périmètre sécurisé par les poteaux et les murets.
Dimensionnement et économie des moyens
La taille d’un Hidmo varie selon les ressources du ménage et ses préférences. Un bâtiment plus large exige davantage de troncs pour la charpente et plus de pierre pour les murs, d’où des coûts en main-d’œuvre et en matériaux. Les 12 poteaux d’un Hidmo courant constituent un équilibre entre portée, charge de toiture et disponibilité du bois. L’épaisseur des murs, la densité des poteaux et la hauteur sous plafond sont ajustées en fonction du site (exposition aux vents, qualité des pierres, nature du sol).
Performances climatiques et confort
Le confort d’un Hidmo repose sur des principes passifs éprouvés :
- Inertie : les murs en pierre sèche accumulent la chaleur diurne et la restituent lentement, ce qui stabilise la température intérieure.
- Protection solaire : l’auvent profond de la gebela ombre la façade et coupe les pluies battantes.
- Ventilation maîtrisée : de petites ouvertures favorisent un balayage d’air sans courants violents.
- Toiture isolante : la terre sur les rameaux limite les surchauffes et amortit le bruit de pluie.
Ces éléments, combinés à l’usage de la véranda, procurent un bon niveau de confort thermique.

Détails constructifs et finitions
Fondations et soubassements
Le plus souvent, un lit de pierres plus grosses sert de fondation superficielle. Il répartit la charge, améliore le drainage et limite les remontées d’humidité. Un soubassement légèrement saillant protège l’enduit bas de mur des éclaboussures et renforce la stabilité de toute la structure.
Enduits et badigeons
Les faces internes et la partie supérieure des façades reçoivent un enduit de terre, souvent stabilisé par de la paille hachée. Des badigeons à base de chaux ou d’argile colorée peuvent être appliqués pour éclaircir les pièces et faciliter l’entretien. La base reste parfois dans la teinte naturelle de la terre.
Menuiseries et ouvertures
Portes et volets sont en bois. Les petites baies limitent l’entrée de poussière et les pertes de chaleur nocturnes. Leur profondeur, du fait de l’épaisseur des murs, produit un ombrage et protège les cadres.
Auvent et poteaux
Les poteaux de façade portent une lisse qui reçoit l’extrémité des solives de toiture. L’irrégularité volontaire des troncs permet de bien caler les éléments et d’absorber les déformations. Cet auvent donne son expression au Hidmo et conditionne l’usage social de la maison.
Organisation domestique et usages
Le midri-biet concentre les activités familiales : préparation des repas autour du foyer mobile, partage, tissage, réparations. Le wushate se divise en cuisine ventilée (foyer fixe, ustensiles, jarres d’eau) et cellier sec pour denrées et outils. La rangée de koffotat tient un rôle stratégique : elle sécurise le grain, répartit les réserves par type et par saison, et sert d’élément d’ordre dans la maison.
La gebela accueille les travaux nécessitant de la lumière naturelle : tri des récoltes, réparation des paniers, soins au bétail. Le soir, on s’y installe également pour profiter d’un air plus tempéré.


Entretien, réparations et durée de vie
Le Hidmo réclame une maintenance régulière, aisée à réaliser avec les matériaux du site :
- Toiture : contrôle des affaissements, comblement des creux par de la terre fraîche, remplacement de rameaux dégradés, coupe périodique de la végétation spontanée.
- Enduits : ragréage des fissures, reprise localisée après chocs ou pluies prolongées.
- Poteaux : surveillance des têtes de bois, ajout de cales si une solive s’est tassée.
Correctement entretenu, l’ouvrage a une longue durée de vie. L’épaisseur des murs et la simplicité des assemblages facilitent les reprises partielles sans immobiliser toute la maison.
Variantes et adaptations locales
Les ressources disponibles et les habitudes familiales introduisent des variantes : largeur d’auvent plus ou moins généreuse, choix d’essence de bois (selon les coupes possibles), présence d’un banc maçonné sous la véranda, nombre de koffotat ajusté à la capacité de stockage recherchée.
Certaines maisons reçoivent un petit appentis latéral pour étendre la cuisine lors des grandes préparations. La teinte des badigeons varie du blanc au bleu clair, avec des soubassements ocre.
Enjeux actuels
L’usage du ciment, de la tôle et des blocs manufacturés progresse pour des raisons de rapidité et de facilité d’approvisionnement. Ces solutions répondent à des besoins contemporains (extensions rapides, pièces plus hautes, surfaces lisses), mais elles dégradent parfois les performances thermiques et l’intégration paysagère de la maison traditionnelle. La préservation du Hidmo passe par la documentation des techniques, la formation des jeunes artisans, l’accès à un bois géré durablement et des chantiers pilotes de rénovation mêlant enduits améliorés, détails de drainage et reprises de toiture.

Repères pratiques pour décrire un Hidmo
- Plan généralement bipartite : midri-biet (vie) et wushate (cuisine + cellier).
- Cloison centrale composée de 8 à 10 koffotat (silos cylindriques en terre cuite).
- En façade : gebela (véranda) sous grand auvent, poteaux visibles.
- Structure : environ 12 poteaux pour une maison moyenne, solives et rondins apparents.
- Murs : pierre sèche épaisse, enduits de terre ponctuellement badigeonnés.
- Toit : rameaux + branches + terre compacte, non circulable.
- Usages : repos et travaux légers en véranda ; abri du bétail la nuit.
Conclusion
Le Hidmo conjugue une structure en bois simple, des murs en pierre sèche épais et des enduits d’argile pour produire une maison solide, confortable et cohérente avec les ressources des hauts plateaux érythréens. Sa logique constructive (poteaux nombreux mais faciles à obtenir, maçonneries massives, couverture de rameaux et de terre) offre un rapport robuste entre coût, performance climatique et entretien. Le plan en deux pièces organisé autour des koffotat et la véranda gebela traduisent des besoins précis : nourrir, stocker, abriter la famille et protéger le bétail. Préserver et transmettre ces savoir-faire donne aux communautés locales des solutions pragmatiques pour rénover, agrandir ou adapter leurs maisons sans renoncer aux qualités qui font la valeur du Hidmo.