Les maisons longues (longhouse) traditionnelles de Sabah et Brunei

Les longhouses, ou maisons longues, occupent une place centrale dans la culture architecturale de Bornéo, particulièrement à Sabah (Malaisie) et au Brunei. Ces constructions sur pilotis témoignent d’un art de vivre collectif, hérité des peuples autochtones tels que les Iban, les Dusun, les Murut ou les Kedayan. Elles associent intelligence constructive, adaptation au climat tropical et organisation sociale.

Une architecture pensée pour la collectivité

Une longhouse, comme son nom l’indique, se distingue par sa longueur. Ce n’est pas une maison individuelle, mais un habitat partagé par plusieurs familles, souvent issues d’un même clan. Chaque foyer dispose d’un espace privé (appelé bilik), juxtaposé aux autres. Tous ces espaces donnent sur une vaste galerie commune, appelée ruai chez les Iban ou tangah chez les Kedayan, servant de lieu de vie collectif.

Ces maisons sont généralement bâties en ligne droite, parfois légèrement incurvée si le relief l’exige. Leur longueur dépend du nombre de familles qu’elles abritent : certaines dépassent les 80 mètres. Ce modèle répond à une logique communautaire forte, où l’entraide, la transmission et le vivre-ensemble priment.

Une construction adaptée au climat et au terrain

Dans une région humide, boisée et sujette aux crues, les bâtisseurs ont misé sur la simplicité intelligente. Les longhouses sont généralement élevées sur des pilotis d’environ deux à trois mètres de hauteur. Cette surélévation protège de l’humidité, des inondations et de la faune sauvage.

Les matériaux sont puisés localement : le bois de fer (belian) pour la structure, le bambou ou le rotin pour les murs et les planchers, et des feuilles de palmier tressées pour les toits. L’ensemble forme une architecture souple, respirante et démontable si besoin. Ces maisons sont parfois déplacées en fonction des cycles agricoles ou des conditions politiques, notamment à l’époque où les conflits tribaux obligeaient à être mobiles. Cela n’est pas anecdotique : la longhouse peut être démontée et reconstruite ailleurs en quelques semaines. Ce savoir-faire permettait aux communautés de suivre les ressources ou d’éviter les tensions. Aujourd’hui encore, cette flexibilité inspire certains projets d’habitat durable.

maison longue

Étapes de construction traditionnelles

Les étapes de construction d’une maison longue de Sabah ou de Brunei suivent un schéma bien rodé, où la coopération est primordiale. On distingue généralement :

  • Le choix du site : en hauteur, à proximité d’un cours d’eau mais hors de portée des crues.
  • L’abattage et le transport du bois : une activité collective souvent accompagnée de rituels.
  • L’implantation des pilotis : plantés profondément dans le sol pour garantir la stabilité.
  • La mise en place du plancher : en planches de bois ou en bambou fendu, avec un système d’assemblage sans clous. Le tout reste souple et facile à réparer.
  • La construction du toit : réalisé en feuilles de palmier (nipah ou attap), assurant une bonne étanchéité. C’est une solution légère et parfaitement adaptée au climat local.
  • Les finitions intérieures : cloisons, plateformes, zones de stockage ou de couchage, chacune conçue avec sobriété et fonctionnalité. Tout est pensé pour durer sans superflu.

Une vie communautaire structurée

La longhouse n’est pas qu’un alignement de logements. C’est un microcosme social où tout est codifié : rôles, rituels, organisation. Le chef de maison (souvent appelé tuai rumah chez les Iban) veille à l’harmonie du groupe. Les décisions sont prises collectivement, les fêtes sont partagées, les tâches redistribuées. La galerie centrale accueille les cérémonies, les veillées, et parfois les cours pour les enfants.

Chaque foyer possède son autonomie pour la cuisine, la gestion des affaires ou le repos. Mais dès que la communauté est concernée, tout le monde se rassemble. Ce modèle favorise la solidarité.

intérieur maison longue

Entre tradition et adaptation

Dans les villages plus isolés de Sabah ou du Brunei, les longhouses conservent encore leur forme initiale. Mais ailleurs, elles évoluent. Certaines sont désormais en béton ou en parpaings, dotées de toitures en tôle, d’eau courante ou de panneaux solaires. L’électricité a souvent été installée grâce à des artisans locaux ou à des entreprises familiales. Les dimensions et le plan global restent souvent inchangés. Ce qui montre à quel point l’organisation d’origine était pertinente. Certains projets, notamment touristiques ou éducatifs, misent sur la restauration fidèle de longhouses pour transmettre cette mémoire.

Vous découvrirez ci-dessous une maison longue plus moderne à Bornéo qui est semblable dans la disposition, mais qui est construite en matériaux modernes et avec des espaces en-dessous.

maison longue moderne

Ce qu’il faut retenir des longhouses de Sabah et Brunei

Les longhouses incarnent une réponse collective à des défis multiples : naturels, sociaux, logistiques. Elles ont traversé les siècles, les conflits et les mutations, en conservant leur fonction centrale dans la vie des communautés. Voici ce qui distingue les maisons longues de Sabah et Brunei :

  • Une architecture linéaire et surélevée, pensée pour le climat tropical humide.
  • Une structure modulaire, où chaque famille a sa place, mais partage un espace commun.
  • Des matériaux naturels, souvent renouvelables, et une faible empreinte au sol.
  • Un chantier collectif, où chacun apporte son savoir-faire et son énergie.
  • Une forte dimension sociale et symbolique, bien au-delà de l’aspect fonctionnel.
maison longue malaisie

Un modèle inspirant pour aujourd’hui ?

Dans une époque marquée par l’individualisme et la pression foncière, le modèle de la longhouse interpelle. Il invite à repenser l’habitat non pas comme un bien isolé, mais comme un lieu de vie pensé collectivement. Sa sobriété, son adaptabilité et sa longévité sont autant d’enseignements pour les architectes contemporains. Certaines initiatives en auto-construction ou en habitat participatif s’en inspirent indirectement : construire à plusieurs, partager un toit tout en respectant des espaces privés, mutualiser les ressources, adapter l’architecture à l’environnement local.

La longhouse n’est pas un modèle figé. Elle a su évoluer sans renier ses principes de base. C’est cette souplesse, plus que le style architectural lui-même, qui en fait une source d’inspiration. Elle montre que l’habitat peut être le reflet fidèle d’un mode de vie, d’une culture et d’un rapport au monde.

Les longhouses de Sabah et Brunei forment un écosystème, un récit de l’architecture vernaculaire de Bornéo. En combinant savoir-faire local, logique communautaire et matériaux durables, elles rappellent que bâtir peut également rimer avec transmettre, s’adapter, et vivre ensemble. Pour les passionnés d’architecture comme pour les curieux de modèles alternatifs, elles offrent une leçon précieuse : celle d’un équilibre entre ancrage et souplesse, entre besoin individuel et vie partagée.

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