Guttiyya : la hutte de chaume traditionnelle du Soudan

Avec sa forme conique, la hutte soudanaise en chaume (guttiyya en arabe soudanais) est l’un des symboles importants de l’architecture soudanaise ancienne, qui résiste encore à la modernité. Du fait de sa résistance aux fortes pluies, les colons britanniques ont copié sa structure pour la construction des logements du personnel ferroviaire, une pratique qui perdure encore aujourd’hui au Soudan.

La hutte en chaume est présente dans de nombreux villages soudanais et en périphérie des zones urbaines. Cependant, les districts de Gedarif (Est), du Nil Bleu (Sud-Est), du Kordofan (Midwest) et du Darfour (Extrême-Ouest) sont ceux qui connaissent le plus grand engouement pour la construction de ces huttes, en grande partie grâce à leurs fortes précipitations et à la disponibilité des matériaux (simplement du bois et de la paille) nécessaires à la construction de telles habitations dans ces régions.

Pour mieux comprendre cet art architectural, découvrons certains de ces districts :

Région du Darfour

Mohammad Ahmed Mansour Alshayib, chercheur spécialisé dans le patrimoine culturel du Darfour et du Soudan, explique que la hutte est conique à sa partie supérieure et circulaire à sa partie inférieure. Elle est construite à partir de matériaux locaux. Au départ, une structure circulaire est construite avec des branches d’arbres, attachées par des cordes obtenues à partir d’écorces ou de feuilles de palmier.

Cet anneau circulaire est la base de la structure sur laquelle reposent quatre poteaux robustes, appelés « kajja ». Ces poteaux sont ensuite soutenus par des poteaux plus petits, appelés « miroog ». Leurs extrémités convergent vers le sommet et sont solidement liées. La hutte prend alors la forme d’une structure conique, semblable à un tombeau. La charpente ainsi obtenue est recouverte de chaume.

Les huttes traditionnelles du Darfour ne sont pas toujours identiques. Dans la région montagneuse du Jebel Marra, connue pour ses fortes pluies, le toit est en chaume, tandis que le pourtour est en pierre. Cette caractéristique permet de conserver l’humidité en été et la chaleur en hiver.

Dans les plaines et les vallées du Darfour, les huttes sont entièrement recouvertes de paille de mil, réputée pour sa résistance. Cette paille est tressée avec des cordes et de l’écorce d’arbre. Parfois, la hutte est couverte de tiges de maharaib, abondantes dans ces régions. Cette plante est réputée pour ses bienfaits pour la santé (elle soulage les troubles rénaux et gastriques) et pour l’agréable odeur qu’elle dégage lors des pluies. Elle est également réputée pour conserver l’humidité et maintenir la fraîcheur.

hutte soudanaise

Un autre type de hutte, appelée dahar altour (à dos de bœuf), est construite par les chefs de tribus aisés. D’un diamètre de 4 à 6 mètres, elle est construite en argile. Elle est reliée à la structure supérieure par une poutre de branches de sesbania et de phragmites. Elle est tissée de racines de tamarinier et de maharaib pour diffuser un parfum agréable. Cette hutte, aussi appelée « durdur », réservée aux invités, possède un grand espace, tandis que la superficie d’une hutte ordinaire ne dépasse pas 2 à 3 mètres. Les portes sont en tôle, en bois ou en tiges robustes et s’ouvrent à l’opposé de la direction du soleil de l’après-midi.

Selon M. Shayib, la guttiyya darfourienne fait partie intégrante du patrimoine local et, malgré l’adoption de l’architecture moderne, elle est toujours construite grâce à l’atmosphère de tranquillité qu’elle dégage.

Une seule hutte traditionnelle darfourienne peut résister aux intempéries pendant 30 ans grâce à des réparations fréquentes de ses cordes et de sa paille. Toute modification des matériaux de ces huttes, comme le ciment, leur fait perdre leur fraîcheur en été et leur chaleur en hiver.

intérieur d'une hutte au Soudan

Région du Kordofan

Dans la région du Kordofan, l’ingénieur Hassan Dagoug Azrag explique que les huttes en chaume sont omniprésentes, dans les villages comme dans les villes. Leur forme et leur taille varient selon les besoins et les matériaux utilisés. On trouve des huttes rondes et carrées, parfois entièrement construites en paille.

La hutte traditionnelle du Kordofan est solide et se distingue par ses couleurs et ses détails. Des artisans talentueux sont réputés pour la construction de telles huttes, tant en termes d’espace que de taille.

Les habitants les construisent également par leurs propres moyens (appelés nafeer dans la culture soudanaise). Les jeunes travaillent collectivement à la réparation des vieilles huttes ou à la construction de nouvelles. Cette activité a lieu avant la saison des pluies. Le groupe construit ou répare les huttes avec des matériaux naturels disponibles. Ainsi fabriquée, la hutte en paille du Kordofan est hygiénique et écologique. Elle est fraîche en été et chaude en hiver. Certains citadins les rattachent à leurs maisons ou les construisent sur leurs toits pour la sieste de l’après-midi, notamment pour les aînés.

Elles confèrent une belle allure à la maison. Les cantines routières en construisent aussi pour attirer les clients et les touristes, notamment pour leurs formes coniques attrayantes qui auraient fasciné les dirigeants britanniques du Soudan, qui les ont reproduites pour la construction de gares et de certains internats scolaires. Le chercheur Azrag affirme que la hutte en paille conserve encore sa place dans les villages et les zones agricoles, car les matériaux de construction nécessaires y sont abondants.

Les familles commencent généralement par une hutte lors du mariage. La hutte matrimoniale est souvent peinte de couleurs vives et ornée de détails géométriques. À côté de cette hutte, elles construisent une rakoba (cabane) avec des poteaux en bois, qu’elles couvrent de nattes de paille et de sacs de jute vides. La famille construit ensuite d’autres huttes au fur et à mesure de la naissance des enfants.

Une maison peut compter plus de cinq huttes selon la taille de la famille : une pour les enfants, une pour les invités, une pour le magasin, une pour garder le jeune bétail et une pour cuisiner.

Selon l’ingénieur Azrag, lorsqu’une fille aînée de la famille Kordofani se marie, la mère de la mariée demande au marié de construire sa propre hutte dans la maison de la mariée. Il y vit avec sa femme jusqu’à ce que le nouveau couple construise sa propre maison. La hutte traditionnelle soudanaise ainsi construite s’ajoute alors à la maison familiale existante de la mariée.

hutte de chaume au soudan

Région du Nil Bleu

Ali Mukhtar Omar, chercheur en patrimoine, considère la hutte en chaume comme un élément du patrimoine du district du Nil Bleu. Elle incarne un ensemble de significations et de valeurs et représente un paysage naturel de la civilisation du Nil Bleu. Malgré les progrès en construction, la hutte en chaume a conservé sa place dans la conscience de tous les Soudanais. Elle fait partie des habitations du Nil Bleu et forme un cadre adapté à la nature et à l’économie de la région. Elle protège les habitants de la chaleur du soleil en été et pendant la saison des pluies. Elle draine l’eau vers le sol, prévenant toute inondation.

Comme dans la région du Kordofan, les habitants se rassemblent pour construire de nouvelles huttes traditionnelles soudanaises ou réparer celles existantes. Le propriétaire d’une hutte en projet invite ses proches à donner un coup de main. Les femmes préparent le repas. Une fois le travail terminé, le groupe se réunit pour chanter et danser, un moment qui renforce considérablement les relations sociales. Comme ailleurs, la hutte en paille du Nil Bleu est construite à partir de branches et de troncs d’arbres.

huttes soudanaises

Région de Gedarif

L’un des notables du district de Gedarif, Taj Alsir Mohammad Ahmed, considère la hutte en chaume comme un héritage ancestral des Soudanais, la première habitation des Soudanais. Autrefois construite à partir de branches et de troncs d’arbres, elle était recouverte de paille.

Comme ailleurs au Soudan, la hutte en chaume de Gedarif est de forme conique. Aujourd’hui, sa partie inférieure circulaire est construite en argile ou en briques. Les huttes en chaume de Gedarif sont désormais équipées de l’eau courante, de l’électricité et même de climatiseurs. E

lles sont colorées et décorées à l’intérieur. Bien que le choix des huttes diminue en ville avec l’amélioration des conditions de vie et le changement climatique, les huttes en chaume sont toujours utilisées dans les zones rurales de Gedarif. Elles résistent aux fortes pluies et au sol argileux et expansif de la région. C’est pourquoi elles constituent les habitations les plus adaptées aux habitants de la région.

huttes de chaume au Soudan

La hutte de chaume dans l’art soudanais

La hutte occupe une place prépondérante dans les œuvres des artistes soudanais.

Le peintre plasticien international Bakralful affirme que la hutte traditionnelle guttiyya est un pur héritage soudanais, en harmonie avec la nature du territoire et son climat.

Il considère que la forme de la hutte soudanaise s’inspire des pyramides antiques du pays, compte tenu de sa forme pyramidale conique. Sa beauté s’harmonise avec la circulation de l’air à l’intérieur de son corps de paille artistiquement agencé. Cette paille a la particularité d’être grasse, ce qui lui permet de laisser passer la moindre goutte d’eau de pluie. Elle est fraîche en été et chaude en hiver.

Sa forme conique est le secret de sa beauté, car ses formes nettes sont épuisantes et désagréables à l’œil. Une autre source de sa beauté réside dans l’argile, qui s’harmonise avec la nature et la verdure du Soudan. De plus, elle surpasse les autres types d’habitat en termes de coût et d’hygiène.

La hutte en chaume guttiyya est un art populaire et, de ce fait, elle apparaît dans les peintures de nombreux artistes soudanais. « Même quand on nous demande de dessiner à l’école, nous avons tendance à dessiner une hutte en paille », explique l’artiste Bakralful.

« La hutte en chaume est peu coûteuse à construire et résiste aux fortes chaleurs du Soudan. C’est un patrimoine qui s’intègre à la nature sans la dénaturer comme le font les bâtiments en béton. Un tableau est jugé incomplet s’il ne présente pas une partie pointue. Mais la hutte en chaume est en harmonie avec les arbres et, vue de loin, elle ressemble à un arbre sec, a affirmé l’artiste visuel Bakralful.


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