Aux îles Marshall, la hutte traditionnelle n’est pas qu’un abri exotique posé sur le sable. C’est une architecture vernaculaire élaborée, pensée pour un environnement extrême : atolls bas, vents marins, sols coralliens pauvres, cyclones, chaleur constante. Les Marshallais la désignent surtout par le terme iem (ou im / em), la maison de vie, parfois dans une version surélevée connue comme im/mon kidjerik (« maison à l’épreuve des rats »). Loin d’être anecdotique, cette maison légère montre une manière d’habiter le monde fondée sur la sobriété, la maîtrise des ressources locales et une organisation sociale fine.
Une maison-toiture : poteaux, grand toit et peu de murs
La forme la plus caractéristique de l’iem est un grand toit très pentu posé sur quatre poteaux principaux, parfois complétés de supports secondaires. Le toit descend bas, protège du soleil, de la pluie horizontale, du sel ; l’intérieur est en grande partie ouvert, sans murs pleins dans la forme ancienne, ou avec des parois légères sur le côté exposé au vent après les contacts missionnaires et coloniaux.
Sous le toit, le sol n’est ni surélevé ni maçonné, mais recouvert de gravier corallien nivelé, drainant, souvent couvert de nattes. On vit au rez-de-chaussée, à ciel filtré. En hauteur, un grenier / loft accessible par une trappe sert à la fois de zone de couchage et de réserve pour les objets précieux ou les victuailles. Le fait que ce plancher soit porté par des poteaux lisses rend l’accès difficile aux rongeurs : d’où l’appellation im kidjerik / mon kijidrik, fréquemment traduite par « rat house ».
Cette configuration produit un espace d’ombre, de circulation d’air et de surveillance du weto (la bande de terre familiale), parfaitement adapté à la vie collective.
Matériaux locaux : la haute technicité du pandanus
La hutte marshallese repose sur un système constructif intégralement végétal, où chaque essence a sa fonction : poteaux en bois dur, ligatures en fibres de coco, couverture en feuilles de pandanus.
La toiture est composée d’unités de chaume préparées à l’avance : feuilles de pandanus séchées et enroulées autour d’une baguette, liées avec des nervures de cocotier, puis fixées sur des lattes horizontales. Ce dispositif, chevauché de bas en haut, assure une bonne étanchéité à la maison pendant plusieurs saisons, surtout dans les atolls moins exposés aux pluies intenses.
L’ensemble de la hutte des îles Marschall est entièrement démontable, réparable et compostable. Dans un contexte insulaire où la ressource ligneuse est limitée, cette architecture privilégie la légèreté, la réversibilité et la transmission de savoir-faire plutôt que la monumentalité.
La maison dans le weto : un micro-campus familial
L’iem ne se comprend vraiment qu’inscrite dans le weto, la parcelle longitudinale traditionnelle qui court de l’océan au lagon, détenue par la lignée maternelle et transmise de génération en génération. Autour de la maison principale s’organise un petit ensemble bâti spécialisé, intime et ordonné :
- la bellak / belak, maison-cuisine
- des huttes de travail (grattage du pandanus, séchage, stockage)
- parfois une maison pour menstruation ou des espaces rituels
- le fameux mon kidjerik surélevé pour les réserves
Cette constellation de petites structures forme un système cohérent : chaque édifice a sa fonction sociale, économique ou symbolique. La maison marshallese est moins un objet isolé qu’un dispositif spatial, organisant les liens entre générations, la gestion des ressources et l’hospitalité.
Une réponse aux contraintes climatiques des atolls
Ce qui frappe, pour un regard d’architecte, c’est la précision environnementale de cette hutte :
- toiture très pentue qui évacue rapidement les pluies tropicales et résiste mieux au vent
- absence ou légèreté des parois permettant une ventilation transversale permanente, indispensable dans un climat chaud et humide comme celui des îles Marschall
- sol en gravier corallien drainant et réfléchissant la lumière (limite boue et remontées humides)
- faible inertie thermique : la structure ne « stocke » pas la chaleur, contrairement au béton ou à la tôle, ce qui améliore le confort nocturne des habitants de l’habitation.
Cette architecture vernaculaire anticipe, avec des moyens minimes, des principes recherchés dans la conception bioclimatique : orientation, porosité, matériaux respirants, empreinte limitée sur le sol.
Évolutions contemporaines de la hutte
Depuis la seconde moitié du XXᵉ siècle, l’iem traditionnelle des îles Marschall recule face aux maisons en tôle ondulée, bois importé et béton, perçues comme plus modernes, plus rapides à construire et moins exigeantes en main-d’œuvre spécialisée. Les rapports nationaux soulignent que les toitures en tôle et les matériaux importés ont largement remplacé les maisons en chaume de pandanus dans de nombreux atolls, avec à la clé une dépendance accrue et la perte de techniques locales.
Parallèlement, plusieurs initiatives locales et partenariats (Historic Preservation Office, programmes culturels, photo-essais et archives de chercheurs comme Dirk H.R. Spennemann, travaux académiques récents de James Miller sur la Marshallese vernacular house) documentent et valorisent ces savoir-faire.
On voit également réapparaître des huttes en pandanus comme maisons d’hôtes, espaces communautaires ou pavillons cérémoniels, affirmant une identité marshallese face aux enjeux climatiques et aux imaginaires importés.
La maison traditionnelle des îles Marshall traduit une philosophie de vie. Dans un environnement fragile où chaque ressource compte, cette architecture légère, démontable et réparable témoigne d’une intelligence écologique ancienne. En utilisant exclusivement des matériaux renouvelables (bois, pandanus, fibre de coco, corail), les Marshallais avaient mis au point un système d’habitat résilient adapté.
Aujourd’hui, alors que les îles subissent les effets du changement climatique et l’érosion des savoirs vernaculaires, l’iem devient un symbole de résistance culturelle et environnementale. Restaurer ou revaloriser ces maisons, même sous forme contemporaine, c’est renouer avec une conception durable de l’habitat : un lieu ouvert, ventilé, partageable, ancré dans son milieu naturel. Plus qu’un vestige du passé, la maison marshallese est une leçon d’architecture tropicale sobre et profondément humaine.
Crédits photos : marshall.csu.edu.au