Hidmo : maison traditionnelle de la région du Tigré en Éthiopie

Dans les hautes terres du Tigré, au nord de l’Éthiopie, l’habitat est en pierre, le bois ponctue les intérieurs de touches fonctionnelles, et la terre, posée sur les toits, clôt l’ensemble avec simplicité. La maison hidmo n’est pas une construction comme une autre : elle incarne un mode de vie, un savoir-faire transmis de génération en génération, une réponse concrète aux contraintes de l’environnement local.

À l’heure où l’architecture vernaculaire subit la pression de la modernisation, le modèle hidmo éthiopien mérite une attention renouvelée. Il combine adaptation climatique, logique d’usage et cohérence esthétique. Observons de plus près cette maison rurale emblématique, son organisation, ses matériaux, et ce qu’elle peut encore nous apprendre sur une manière durable et réfléchie d’habiter.

Une architecture née du sol et du relief

Le Tigré est une région montagneuse, soumise à de fortes variations thermiques. La construction en pierre s’est imposée naturellement : elle est disponible en abondance, sous forme de calcaire d’Antalo, facilement taillable et d’une belle tenue dans le temps. Les maisons hidmo ont un plan rectangulaire, un toit plat et une orientation généralement pensée pour maximiser l’ombre et limiter l’exposition au vent.

Le toit plat, recouvert de terre battue, est soutenu par un système ingénieux de poutres en bois, appelées shinggi, sur lesquelles reposent des planches transversales (dengel), elles-mêmes recouvertes de branchages et d’une couche de terre tassée. Ce type de couverture permet d’obtenir une bonne isolation thermique, tout en offrant un espace de séchage ou de stockage saisonnier.

maison hidmo au toit plat dans la région du Tigré

Matériaux utilisés : des ressources locales

La construction d’une maison hidmo repose sur l’utilisation raisonnée des ressources du terroir. Les murs sont montés en pierre sèche ou maçonnée, selon les savoir-faire disponibles. Le bois est réservé aux éléments porteurs : linteaux, piliers, plafonds. Ce matériau est précieux dans la région, où les arbres sont rares. Ainsi, plus une maison contient de bois, plus elle reflète un certain niveau de richesse.

La terre, omniprésente, sert à stabiliser les murs, à enduire certaines surfaces et parfois à étanchéifier le toit. Aucun matériau n’est superflu dans ce type de construction. Tout est pensé pour durer, résister et s’intégrer au paysage. Cette sobriété structurelle se double d’une esthétique discrète et cohérente, notamment visible dans les linteaux travaillés ou les motifs sculptés autour des ouvertures.

Une maison qui structure toute la parcelle

Contrairement aux conceptions occidentales où la maison se suffit à elle-même, l’habitat hidmo s’inscrit dans une organisation plus vaste : celle de l’ensemble résidentiel, délimité par un mur de pierre. Ce mur marque la propriété, protège du bétail errant, canalise les circulations.

À l’intérieur de l’enclos, plusieurs bâtiments peuvent coexister :

  • Le hidmo : bâtiment principal, souvent à un ou deux niveaux.
  • Le damigogo : espace dédié à la cuisson de l’injera (galette de teff).
  • Le bet-meadi : bâtiment réservé à d’autres préparations culinaires.
  • Des annexes : pour le bétail, les outils ou les récoltes.

Cette structuration reflète une hiérarchie d’usages et un équilibre entre les fonctions domestiques, productives et sociales de cette maison traditionnelle du Tigré. Tout est pensé pour optimiser les déplacements, faciliter les gestes quotidiens et séparer ce qui doit l’être.

L’intérieur : sobriété fonctionnelle et chaleur familiale

Derrière l’épaisseur rassurante des murs, le midri-bet constitue l’espace d’entrée. C’est le cœur de la maison, souvent sans cloison, où se déroulent les principales activités : cuisine, sommeil, accueil. Le sol est en terre battue, parfois recouvert de tapis. Des niches sont creusées dans les murs pour ranger les objets du quotidien. Le mobilier est réduit au strict nécessaire : tabourets, lits en bois, jarres en terre.

Dans les maisons à étage, les pièces supérieures servent généralement de grenier ou d’espace pour le bétail. Ces zones sont accessibles par des échelles ou des escaliers rudimentaires en pierre. La verticalité est utilisée avec justesse, sans excès, selon les besoins et les capacités de la structure.

La ventilation naturelle est assurée par de petites ouvertures. La lumière est discrète. L’ensemble dégage une atmosphère de calme, structurée par des matériaux bruts et un agencement logique.

intérieur d'une maison hidmo en Éthiopie

Une construction collective : un savoir-faire ancestral

Construire une hidmo est un acte communautaire. Le chantier rassemble des maçons, des menuisiers, des carriers, parfois des charretiers. Chaque artisan maîtrise un geste précis, transmis oralement. Les femmes interviennent souvent dans les finitions, l’aménagement intérieur, le modelage des enduits.

Les dimensions de la maison sont déterminées selon des unités locales, parfois en fonction de la longueur des branches disponibles. Le plan se trace à même le sol, sans besoin de plans détaillés. Cette économie de moyens ne traduit pas une absence de méthode, mais une pratique d’expérience.

Symbolique sociale et prestige local

Une hidmo traditionnelle représente un statut. La taille de la maison, la qualité du bois employé, la finesse des assemblages sont autant de signes visibles de la place occupée par le foyer dans la communauté.

Dans certaines familles, la maison est construite pour marquer un mariage, une naissance ou un héritage. Elle devient alors un patrimoine à transmettre. Cet attachement fonde une part importante de l’identité familiale. Il explique aussi pourquoi certaines maisons ont plus de cent ans et sont toujours utilisées.

maison hidmo extérieur et intérieur

Une architecture menacée, mais pas oubliée

Aujourd’hui, l’architecture hidmo est en recul. L’usage du parpaing, de la tôle ondulée et du ciment tend à supplanter les matériaux traditionnels. Ce glissement s’explique par plusieurs facteurs : raréfaction des artisans compétents, coût croissant du bois, désir de modernité, pression démographique.

Pourtant, quelques initiatives visent à réconcilier tradition et techniques contemporaines. Des ONG locales, des architectes engagés et des programmes de préservation testent des formules hybrides : enduits stabilisés, charpentes renforcées, ventilation passive, récupération des eaux pluviales. Ces projets redonnent de la valeur au modèle hidmo, tout en l’adaptant aux attentes actuelles.

Comparatif avec la maison hidmo en Érythrée

La maison hidmo en Érythrée partage avec sa cousine du Tigré une structure en pierre massive, un toit plat en terre battue et un plan rectangulaire. Toutefois, l’organisation intérieure diffère légèrement : en Érythrée, les espaces sont souvent scindés entre un midri-biet central, dédié à la vie sociale, et un wushate à l’arrière, réservé à la cuisine et au stockage. En Éthiopie, la distribution est plus flexible, parfois étagée, avec des annexes distinctes à l’extérieur pour les activités culinaires. Malgré ces nuances, les deux versions expriment un même esprit : sobriété, fonctionnalité, et ancrage territorial fort.

Ce que la hidmo éthiopienne nous apprend

La maison hidmo illustre une façon réfléchie d’habiter. Elle répond aux besoins par des solutions sobres, adaptées, évolutives. Elle intègre son environnement sans le défigurer. Elle mise sur l’humain, le collectif, le long terme. En cela, elle offre des pistes concrètes à celles et ceux qui cherchent à construire autrement : plus durablement, plus intelligemment, sans céder aux diktats du tout prêt ou du tout plastique.

En observant les maisons hidmo, on découvre une architecture résiliente. Chaque pierre posée a une histoire de transmission, de climat, de gestes précis. Dans le tumulte des constructions standardisées, ce modèle ancestral rappelle qu’une maison peut être belle sans artifice, résistante sans excès, et chaleureuse sans superflu. L’avenir de cette architecture passera sans doute par l’hybridation.

Laisser un commentaire