L’architecture islamique : art du bâti, de la spiritualité et du territoire

L’architecture islamique n’est pas un simple style. C’est un langage, une façon d’habiter l’espace, de penser le rapport entre l’homme, la communauté et le divin. Elle s’est développée sur plus de 1 400 ans, du Proche-Orient à l’Espagne, de l’Afrique du Nord à l’Asie du Sud-Est. En tant qu’architecte ou amateur de patrimoine, comprendre les fondements de cette architecture permet de mieux saisir les logiques d’organisation spatiale, les techniques constructives et les intentions symboliques derrière chaque détail.

Une architecture liée à la foi, mais pas que religieuse

Si l’architecture islamique est d’abord associée aux mosquées, elle couvre en réalité un large éventail de constructions : palais, maisons, hammams, caravansérails, madrasas (écoles), mausolées… Ce n’est donc pas un style architectural réservé uniquement aux édifices religieux, mais un vrai système culturel, façonné par des contextes historiques, climatiques et géographiques très variés.

Ce qui lie ces constructions, ce sont des principes esthétiques et fonctionnels inspirés des valeurs islamiques : recherche de l’harmonie, géométrie rigoureuse, sobriété apparente et ornementation raffinée. Le tout dans une logique d’adaptation au climat local et de respect des usages sociaux.

Les caractéristiques principales de l’architecture islamique

1. L’usage de la géométrie et de la répétition

La géométrie est omniprésente. Carrés, cercles, étoiles, arches, entrelacs… Ces formes ne sont jamais posées au hasard. Elles organisent l’espace, créent du rythme, offrent des repères visuels tout en véhiculant un sens spirituel : l’infini, l’unité, la perfection.

Les motifs se répètent à l’infini comme un rappel de l’unicité divine. Cette répétition crée aussi un effet d’échelle variable : l’ornementation n’écrase jamais l’espace, elle l’habille avec subtilité.

Exemple : le dôme de la mosquée du Cheikh Lotfollah à Ispahan (Iran) est recouvert de motifs étoilés qui se rétrécissent vers l’oculus, renforçant l’impression de profondeur et d’élévation.

dôme de la mosquée du Cheikh Lotfollah

2. L’art du décor non figuratif

Contrairement aux traditions occidentales, l’architecture islamique ne représente pas d’êtres vivants dans les lieux de culte. Elle mise sur l’abstraction, notamment à travers trois formes décoratives :

  • Les motifs géométriques (zelliges, mosaïques, stucs ciselés)
  • La calligraphie (souvent des versets du Coran, intégrés dans les murs, les coupoles ou les arcs)
  • Les arabesques (formes végétales stylisées)

Ces décors ne sont jamais gratuits. Ils traduisent une quête d’équilibre et de beauté, mais aussi une lecture spirituelle de l’espace. Ils participent à créer une atmosphère propice à la contemplation et à la concentration. Chaque détail est pensé pour guider le regard, en favorisant l’introspection. L’ornement devient alors un prolongement du sacré, un langage visuel au service du spirituel.

3. La coupole et l’arc : entre structure et symbolique

Les coupoles, souvent centrales dans les mosquées, symbolisent le ciel. Leur construction repose sur des techniques éprouvées : trompes d’angles, pendentifs, systèmes de transition pour passer d’une base carrée à un sommet circulaire. Elles permettent d’ouvrir de grands volumes tout en assurant stabilité et acoustique. Quant aux arcs, ils adoptent diverses formes : en fer à cheval, brisés, lobés, festonnés… Ils servent autant à répartir les charges qu’à créer une signature visuelle forte.

Exemple : l’Alhambra de Grenade regorge d’arcs polylobés et festonnés, qui jouent avec la lumière et accentuent l’élan vertical des galeries.

Alhambra de Grenade arcs polylobés

4. La cour intérieure et la fontaine : cœur de l’espace

La cour est un élément structurant dans les maisons, les palais comme les mosquées. Elle offre un espace de respiration, une transition entre intérieur et extérieur. Souvent dotée d’un bassin ou d’une fontaine, elle rafraîchit naturellement l’air et crée une atmosphère propice à la méditation. Dans les mosquées, la cour sert d’espace de prière secondaire ou d’accueil. Elle est bordée d’arcades et parfois d’un minaret.

Exemple : la médersa Ben Youssef à Marrakech présente une cour centrale avec un bassin, entourée de galeries ornées, offrant un espace calme et structuré propice à l’étude et à la vie collective des étudiants.

5. L’adaptation au climat

L’architecture islamique ne se limite pas à la symbolique. Elle est aussi pragmatique. Les matériaux utilisés (pisé, briques crues, pierres locales) sont choisis pour leur disponibilité et leurs propriétés thermiques.

Les murs épais, les fenêtres hautes, les moucharabiehs (grilles ajourées, comme sur les maisons à moucharabieh de Bassora), les patios plantés et les jeux d’eau permettent de réguler naturellement la température, en limitant l’exposition au soleil tout en assurant une ventilation efficace.

maisons traditionnelles dans le vieux Bassora

6. La modularité de l’espace

Les espaces sont souvent conçus selon un principe de juxtaposition de modules similaires (bays). Cela permet une grande souplesse d’usage : les pièces peuvent servir d’espace de réception, de prière et de repos. Le mobilier est souvent mobile et peu encombrant.

La distribution des pièces respecte aussi la notion d’intimité (horma), avec une distinction claire entre zones publiques (majlis) et privées (haram). Cette organisation spatiale permet de préserver la vie familiale tout en accueillant les visiteurs dans un cadre respectueux. Elle reflète une hiérarchie des espaces fondée sur les usages et le degré d’ouverture souhaité. Ce principe se retrouve aussi bien dans les palais que dans les habitations modestes, avec une logique d’usage clairement définie.

Quelques exemples emblématiques

Pour mieux saisir la richesse et la diversité de l’architecture islamique, rien ne vaut l’observation de réalisations concrètes. Chaque région, chaque époque a laissé son empreinte distinctive, tout en respectant les grands principes évoqués plus haut. Voici quelques exemples emblématiques qui illustrent la variété des formes, des matériaux et des inspirations à travers le monde islamique.

La mosquée de Cordoue (Espagne)

Construite à partir du VIIIe siècle, elle conjugue influences omeyyades, romaines et wisigothes. Son espace intérieur est rythmé par des colonnes et des arcs bicolores en plein cintre, qui créent un effet de forêt de pierre. Le mihrab est particulièrement travaillé, avec des mosaïques byzantines somptueuses.

Le Taj Mahal (Inde)

Ce mausolée blanc, construit au XVIIe siècle par l’empereur moghol Shah Jahan, est l’un des joyaux de l’architecture islamique. Il marie symétrie parfaite, marbre ciselé, jeux de reflets et calligraphies coraniques. Le dôme central domine un jardin en quadrilatère inspiré du paradis décrit dans le Coran.

Taj Mahal

La mosquée bleue d’Istanbul (Turquie)

Édifiée au XVIIe siècle, elle témoigne du raffinement ottoman. Ses six minarets, son immense dôme central flanqué de demi-coupoles, et ses carreaux bleus d’Iznik en font un modèle d’équilibre entre monumentalité et délicatesse. C’est aujourd’hui l’un des symboles emblématiques d’Istanbul.

mosquée bleue d’Istanbul

La médersa Ben Youssef (Marrakech, Maroc)

Construite au XVIe siècle sous la dynastie saadienne, cette école coranique est un chef-d’œuvre de l’art décoratif marocain. Stucs finement ciselés, zelliges colorés, bois sculpté : chaque centimètre de surface est travaillé avec minutie. Le patio central est conçu pour favoriser l’étude et la méditation.

médersa Ben Youssef

La mosquée nationale d’Abu Dhabi (Émirats arabes unis)

Inaugurée en 2007, la mosquée Sheikh Zayed allie tradition et modernité. Marbre blanc immaculé, coupoles monumentales, colonnes incrustées de pierres semi-précieuses : elle incarne une vision moderne de l’architecture islamique, en réinterprétant ses codes tout en les magnifiant à grande échelle.

Samarcande (Ouzbékistan)

Carrefour historique des routes de la soie, Samarcande est un musée à ciel ouvert de l’architecture islamique d’Asie centrale. Ses médersas monumentales, notamment sur la célèbre place du Régistan, se distinguent par leurs coupoles turquoise, leurs mosaïques aux motifs géométriques complexes et leurs portails monumentaux (appelés pishtaks). La ville illustre la manière dont l’art islamique a intégré des influences persanes, turques et mongoles tout en affirmant son identité propre.

nécropole de Chah-i-Zinda

Une architecture encore source d’inspiration

Loin d’être figée dans le passé, l’architecture islamique continue d’influencer les constructions. Des architectes comme Zaha Hadid, Jean Nouvel ou Hassan Fathy ont puisé dans ses codes pour imaginer des bâtiments durables, respectueux des cultures locales, tout en étant ancrés dans leur époque.

Aujourd’hui, les principes de ventilation naturelle, de modularité et d’ornementation maîtrisée trouvent un écho dans les préoccupations environnementales et sociales de l’habitat moderne.

L’architecture islamique est un art du détail et de l’équilibre. Elle répond à des contraintes climatiques, à des besoins sociaux et à des aspirations spirituelles. Son langage (sobre mais raffiné, répétitif mais jamais monotone) traverse les siècles sans perdre sa pertinence. Qu’il s’agisse d’une mosquée millénaire ou d’un projet de maison inspiré de ses principes, elle rappelle que construire, c’est aussi donner du sens.

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