L’architecture coloniale au Cameroun : un patrimoine hérité de l’Europe

Quand vous marchez à Bonanjo, à Buea ou à Limbé, vous croisez des maisons à arcades, des résidences d’administrateurs, des tribunaux aux murs épais ou d’anciennes missions coiffées d’un clocher discret. Ces bâtiments ne sont pas de simples reliques du passé. Ils portent un projet politique précis : occuper, administrer, exploiter, contrôler. Aujourd’hui, ils coexistent avec les palais traditionnels, les chefferies et les constructions modernes. Ils forment une strate visible de l’histoire du pays. Les ignorer reviendrait à effacer un pan entier du passé, mais les célébrer sans recul poserait un autre problème. Comprendre l’architecture coloniale au Cameroun, c’est donc observer la pierre et le pouvoir, la mémoire et l’usage.

Découvrez aussi à quoi ressemble une maison typique de ville au Cameroun.

De Kamerun à la tutelle : 1884–1960

Tout commence avec la colonisation allemande, en 1884. L’administration impériale installe ses bases à Douala, puis choisit Buea comme capitale pour son climat plus tempéré. Les ingénieurs allemands y construisent des bâtiments imposants, dans un style wilhelmien adapté au climat équatorial. Toitures inclinées, galeries couvertes : les formes venues d’Europe se mêlent aux contraintes locales. Les maisons d’administrateurs sont surélevées, ventilées, souvent entourées de vérandas. Autour, se dressent entrepôts, gares et hôpitaux. Tout est pensé pour servir la colonie et afficher la puissance prussienne.

En 1916, l’empire allemand s’effondre. Le Cameroun passe alors sous mandats français et britannique. Les Français développent Yaoundé comme capitale, les Britanniques conservent Buea et Limbé. L’esthétique change : le béton remplace le bois et la brique, les lignes deviennent plus géométriques. L’architecture s’industrialise, mais l’objectif est le même : administrer le territoire et séparer les populations. Les quartiers européens bénéficient d’une voirie organisée et de réseaux d’eau et d’électricité ; les quartiers dits “indigènes” sont rejetés à la périphérie. Cela marquera le visage des grandes villes camerounaises.

La hiérarchie du pouvoir dans la pierre

L’architecture coloniale camerounaise traduit une organisation sociale. Les palais de gouverneurs, installés sur les hauteurs de Buea ou de Yaoundé, dominent le paysage. À Douala, la Chambre de commerce et le Palais de justice bordent les avenues principales, symboles visibles de l’ordre colonial.

Les missions religieuses, quant à elles, s’implantent dans les villages, souvent sur des points élevés, avec leurs écoles et leurs chapelles. L’ensemble compose une carte mentale du pouvoir.

Plus bas, dans les zones assignées aux populations locales, les bâtiments sont plus simples, faits de matériaux moins durables. Des quartiers entiers, comme New Bell à Douala, ont été conçus pour regrouper la main-d’œuvre africaine à distance du centre administratif. L’urbanisme devient un outil de contrôle : la disposition des rues, la taille des parcelles, la largeur des trottoirs traduisent une hiérarchie raciale et économique. Cette logique n’était pas propre au Cameroun ; on la retrouve dans d’autres colonies, du Congo à Madagascar. Mais ici, elle a laissé des traces très tenaces dans la structure des villes.

Les villes témoins : Douala, Buea, Yaoundé et Limbé

Douala concentre une grande partie de ce patrimoine. Le quartier de Bonanjo, ancien centre administratif, aligne encore les bâtiments de l’époque : l’ancien hôpital allemand, la Chambre de commerce, la poste, les logements des officiers. Certains ont été restaurés, d’autres laissés à l’abandon.

Buea, perchée au pied du mont Cameroun, garde un charme singulier. On y voit encore le palais du gouverneur et les maisons à colonnades, construites pour le personnel allemand. Le relief y accentue la mise en scène : le pouvoir installé en haut, la population en bas.

Yaoundé, de son côté, incarne la période française. L’urbanisme s’y veut plus rationnel, avec de grands axes et des bâtiments administratifs massifs. Le béton, matériau de modernité à l’époque, devient le symbole d’une nouvelle autorité. Enfin, Limbé, Kribi ou Garoua conservent des traces plus modestes : églises, maisons de commerce, postes de douane. Ces villes plus petites montrent une autre facette du projet colonial : celle du réseau logistique, du commerce et du contrôle du territoire.

Ancien palais présidentiel de Yaoundé
Ancien palais présidentiel de Yaoundé

Adapter l’Europe au climat tropical

Les architectes et ingénieurs venus d’Allemagne ou de France ont vite compris qu’ils ne pouvaient pas construire ici comme à Hambourg ou à Lyon. La chaleur, les pluies intenses et les sols instables imposaient des ajustements. Les toitures sont devenues plus débordantes, les galeries ont gagné en largeur, les fenêtres se sont couvertes de persiennes. Le bois local a remplacé les charpentes importées.

Ces adaptations doivent beaucoup au savoir-faire des artisans camerounais. Beaucoup de maçons, charpentiers et tailleurs de pierre ont su corriger les erreurs des plans venus d’Europe.

Ils ajoutaient des galeries ou des ouvertures pour ventiler, choisissaient mieux les essences de bois, renforçaient les fondations selon les terrains. Ces gestes, souvent invisibles dans les archives, ont pourtant permis à de nombreux bâtiments de tenir jusqu’à aujourd’hui. Ils rappellent que ce patrimoine n’est pas seulement colonial : il est aussi camerounais par la main qui l’a construit.

architecture coloniale au Cameroun

Ce que disent encore ces bâtiments

L’architecture coloniale du Cameroun parle autant de politique que d’esthétique. Les bâtiments imposants de l’époque matérialisent le contrôle du territoire et la hiérarchie entre colons et colonisés. La disposition des villes, les hauteurs dominantes, les zones séparées : tout participait à un système de domination spatiale. Des chercheurs ont montré que cette organisation urbaine a eu des effets durables. Les quartiers centraux sont généralement mieux équipés, mieux desservis, et plus chers.

Mais ces bâtiments parlent aussi de la façon dont le pays a absorbé cette histoire. Certains ont été transformés en écoles, en musées ou en sièges d’administrations camerounaises. D’autres servent encore, sans qu’on en connaisse vraiment l’origine. Ce recyclage du bâti montre une forme de continuité pragmatique : on utilise ce qui existe, même si cela vient d’une période douloureuse.

Palais du gouverneur de Buea
Palais du gouverneur de Buea

Sauvegarder ou tourner la page ?

Depuis les années 2000, plusieurs initiatives locales et internationales cherchent à inventorier les bâtiments coloniaux. Le but n’est pas de les glorifier, mais de documenter leur présence avant qu’ils ne disparaissent sous les chantiers immobiliers. À Douala, certaines anciennes maisons administratives ont été restaurées, en conservant leurs galeries et leurs tuiles d’origine. Ailleurs, d’autres ont été surélevées ou défigurées par des extensions modernes. Le dilemme reste donc entier : que faut-il sauvegarder ?

Faut-il conserver les bâtiments prestigieux, comme les palais et les tribunaux, ou aussi les infrastructures liées à la domination, comme les casernes et les prisons ? La question n’est pas seulement esthétique : elle touche à la mémoire collective. Préserver sans contextualiser reviendrait à figer une version partielle du passé. Les acteurs du patrimoine plaident plutôt pour une approche critique, intégrant la parole des communautés locales et des descendants de ceux qui ont bâti ces murs.

Comment regarder ces façades aujourd’hui ?

Face à ces bâtiments coloniaux du Cameroiun, on oscille facilement entre fascination et gêne. La qualité des matériaux, la robustesse des charpentes, la cohérence urbaine impressionnent. Mais derrière cette beauté technique se cache une histoire d’inégalités et de domination. Le bon réflexe consiste à regarder les deux aspects : la valeur architecturale et le contexte qui l’a produite.

Ces édifices peuvent devenir des outils de transmission. Les écoles d’architecture camerounaises les étudient désormais comme des objets d’analyse, non comme des modèles. Des visites guidées à Douala ou Buea expliquent leur histoire. C’est une manière d’habiter le passé sans le glorifier, de le rendre lisible.

Quand vous lèverez les yeux sur une façade coloniale au Cameroun, pensez à tout ce qu’elle condense : la conquête, le travail forcé, mais aussi l’intelligence des bâtisseurs locaux, la capacité d’adaptation et la mémoire inscrite dans la matière. Ces murs ne demandent pas à être admirés, mais compris. Et c’est peut-être la meilleure façon de leur redonner une place juste dans le paysage d’aujourd’hui.

2 réflexions au sujet de “L’architecture coloniale au Cameroun : un patrimoine hérité de l’Europe”

  1. J’aime l’architecture coloniale

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  2. L’architecture coloniale et l’urbanisme coloniale ont été selon moi l’un des plus grands héritages que les camerounaise ont reçus des colonnes, c’est super nantis la manière que les colonnes maîtrisant un urbanisme ordonné et synchronisé qui a nos jours, les camerounais ont de la peine à a gérer les villes camerounaise. Ces dernier n’ayant pas de plan d’urbanisme bien structuré et respecté. Et aussi l’impact de la corruption, la politique… sur le pays.

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