Quand on évoque les maisons traditionnelles de Géorgie, le regard se tourne souvent vers les toits encorbellés du darbazi. Pourtant, à l’autre bout du pays, un autre type d’habitat existe : la maison oda, typique des régions de Mingrélie, Gourie, Adjara ou Iméréthie. Plus aérienne, plus ouverte, résolument tournée vers l’extérieur, l’oda est une autre réponse vernaculaire à l’habiter géorgien. Construite en bois, posée sur des piliers, largement ouverte sur la nature, cette maison raconte un mode de vie ancré dans un climat humide, une culture de l’hospitalité, et une grande maîtrise des ressources locales.
Une maison surélevée, pensée pour le climat humide
L’ouest de la Géorgie connaît un climat subtropical : fortes précipitations, humidité élevée, végétation luxuriante. Pour répondre à ces contraintes, l’oda repose sur des pilotis, en bois ou en pierre, parfois d’un mètre ou plus au-dessus du sol. Cette élévation protège l’habitation des infiltrations d’eau, favorise la ventilation naturelle et limite les risques liés à l’humidité, aux insectes et aux champignons.
Sous la maison, l’espace récupéré est pleinement exploité. Il offre un abri frais et ventilé qui peut servir de lieu de stockage pour les outils agricoles, de réserve pour le bois de chauffage, ou même de petit atelier protégé des intempéries. Dans certaines régions, il accueille aussi les animaux pendant la nuit ou les mois les plus humides. Ce vide sanitaire n’a rien d’anecdotique : il fait partie intégrante de l’architecture, pensée comme une réponse pragmatique au climat local et aux usages quotidiens.


Une structure légère, construite entièrement en bois
L’oda est construite selon des techniques légères : charpente bois, murs en planches jointes ou en colombages. Les matériaux proviennent de forêts proches. Ce choix permet une souplesse dans les formes, et une meilleure respiration du bâtiment. Le bois est souvent sculpté, notamment au niveau des balustrades, des piliers ou des frises, montrant un savoir-faire artisanal très ancien.
Le toit à deux pentes, recouvert de tuiles ou de planches, déborde pour protéger les galeries des pluies abondantes. Les ouvertures sont nombreuses, parfois dotées de volets à claire-voie.
Des galeries ouvertes, lieu de vie et de sociabilité
Le trait architectural le plus marquant de l’oda est sa véranda ou galerie ouverte, qui longe une ou plusieurs façades. Cet espace est central dans la vie domestique. On y prend les repas, on y reçoit les invités, on y travaille, on s’y repose à l’ombre. En été, il devient le lieu principal de la maison.
La galerie remplit aussi une fonction thermique : elle joue le rôle de zone tampon entre l’extérieur et l’intérieur, en protégeant les murs du soleil direct et en favorisant la circulation de l’air.
Dans certaines régions, comme en Adjara, ces balcons sont entièrement entourés de moucharabiehs en bois très finement ajourés, filtrant la lumière et offrant de l’intimité sans cloisonner l’espace.

Un intérieur simple, fonctionnel et évolutif
L’intérieur est organisé autour d’une pièce principale, flanquée de chambres ou de coins de rangement. Les murs sont parfois enduits d’un mélange de chaux et d’argile. Les sols sont en bois brut. La décoration est modeste, mais le mobilier est souvent raffiné : lits sculptés, coffres peints, tissus tissés à la main.
La maison oda géorgienne est pensée pour s’adapter aux différents besoins d’une famille : agrandir une pièce, ajouter un auvent, construire un escalier secondaire sont des modificqations très courantes. Cette flexibilité constructive est rendue possible par la légèreté de la structure boisée.
Une maison en dialogue avec son environnement
L’oda n’est jamais pensée comme un objet isolé. Elle est presque toujours accompagnée d’un verger, d’un potager, d’un espace pour le bétail. Le lien entre la maison et la terre est permanent, mais sans domination. L’habitat épouse les pentes, se niche dans les clairières, s’ouvre vers les collines.
La maison ne cherche pas à s’imposer. Elle s’intègre, se pose, se relie. Son esthétique presque discrète souligne ce lien avec le paysage. Le contraste avec les villas modernes de béton est saisissant.

Comment reconnaître une vraie maison oda ?
Certaines maisons en bois de Géorgie occidentale imitent partiellement le style oda, mais toutes ne respectent pas les caractéristiques d’origine. Voici quelques repères concrets :
- Elle est surélevée sur pilotis : l’habitation repose sur des piliers en bois ou en pierre, laissant un vide sanitaire visible. Ce détail est fondamental pour isoler la maison de l’humidité.
- Elle possède une large galerie ouverte : une véranda ou galerie court le long d’au moins une façade, souvent surélevée elle aussi. Cet espace est toujours protégé par l’avancée du toit.
- Sa structure est en bois intégral : le bois est omniprésent, du plancher à la toiture, en passant par les cloisons et les balustrades. On remarque parfois des motifs sculptés (rambarde, toit).
- Elle est intégrée dans son environnement naturel : l’oda ne cherche pas à dominer le paysage. Elle s’insère discrètement dans une clairière, un verger ou au bord d’une pente douce.
- Elle est orientée pour capter la lumière et la ventilation : l’orientation et l’implantation favorisent les courants d’air. Les ouvertures nombreuses permettent une bonne aération.
- Elle n’est pas figée : elle évolue avec la famille : une vraie maison oda est souvent agrandie, transformée, adaptée aux besoins de génération en génération.

Un patrimoine menacé mais encore présent
Aujourd’hui, les oda disparaissent peu à peu, remplacées par des constructions standardisées en béton, souvent mal isolées et peu adaptées au climat local. Pourtant, de nombreuses familles les conservent, les entretiennent ou même les reconstruisent selon les méthodes traditionnelles.
Certains architectes contemporains s’y intéressent à nouveau. Ils y voient un modèle pour penser une architecture durable, accessible, sensible au climat et respectueuse des usages quotidiens.
Les maisons oda, à l’instar des darbazi de l’Est, constituent un patrimoine vivant, porteur de savoir-faire, de mémoire collective et de liens forts avec le territoire. Leur préservation passe par la reconnaissance de leur valeur, mais aussi par leur adaptation (intelligente et respectueuse) aux besoins du présent.