La hutte du peuple Dassanech

Au sud de l’Éthiopie, dans la vallée de l’Omo, le peuple Dassanech vit au rythme du fleuve, des troupeaux et des saisons. Leur hutte traditionnelle est un modèle d’adaptation, d’intelligence constructive et de sobriété. À la différence des constructions figées que l’on connaît en milieu urbain, ces habitations évoluent, se déplacent, se modulent. Elles répondent aux contraintes climatiques, sociales et matérielles d’une région semi-aride, tout en exprimant une culture forte et structurée. Dans cet article, nous vous proposons de découvrir comment sont construites ces huttes, avec quels matériaux, quelles logiques d’usage, et quelles leçons nous pourrions en tirer pour repenser notre propre rapport à l’habitat.

Un habitat pensé pour une vie semi-nomade

Le peuple Dassanech (également connu sous le nom de Marille ou Geleba) est un groupe ethnique habitant des parties de l’Éthiopie, du Kenya et du Soudan. Leur patrie principale est dans la Zone Debub Omo, près du lac Turkana. Le nom Dassanech signifie littéralement « peuple de la rivière », ils mènent une vie pastorale et agricole adaptée aux crues irrégulières de l’Omo. Ce mode de vie semi-nomade impose des habitations légères, démontables et reconstruites rapidement. Les huttes doivent pouvoir être montées en quelques heures à l’aide de matériaux collectés localement ou réutilisés.

Les villages sont souvent temporaires, occupés quelques mois, puis abandonnés ou déplacés selon la fertilité des sols, l’accès à l’eau ou la sécurité. Cela implique une architecture mobile et ancrée dans une logique d’optimisation des ressources.

hutte Dassanech

Structure générale : une voûte autoportante

La hutte Dassanech adopte une forme semi-sphérique ou oblongue, très basse, rarement plus de 1,50 mètre de hauteur. Cette forme n’est pas un hasard : elle limite la prise au vent, maximise la résistance structurelle, et favorise une excellente rétention de chaleur durant les nuits froides tout en offrant une ventilation naturelle pendant la journée. Ce sont des constructions sans divisions intérieures.

La structure porteuse est composée de longues tiges de bois flexibles (souvent des branches d’acacia ou de doum) appelées miede, enfoncées dans le sol de manière circulaire, puis arquées et attachées à leur sommet pour former une sorte de demi-dôme. Aucun clou, aucune pièce métallique n’est utilisé : tout repose sur le nouage, l’entrecroisement et la tension des fibres naturelles. La structure est ensuite recouverte d’éléments naturels (ou non naturels de nos jours) disponibles à proximité.

Des matériaux collectés, recyclés et réemployés

L’enveloppe extérieure de la hutte Dassanech est entièrement recouverte d’un patchwork de matériaux, qui illustre bien la capacité d’adaptation de ce peuple africain. On y trouve notamment :

  • Des nattes de roseaux ou de papyrus, tressées à la main et utilisées comme revêtement respirant, léger et isolant. Elles se transportent et se réinstallent facilement.
  • Des peaux de bêtes, notamment en saison sèche, pour renforcer l’étanchéité.
  • Des tôles ondulées récupérées, souvent rouillées, détournées de leur usage initial pour couvrir une partie du toit ou des parois. Elles renforcent la solidité et l’étanchéité de la hutte.
  • Des morceaux de tissu, de plastique ou de sacs de jute, parfois cousus ensemble pour créer des cloisons souples ou des séparations intérieures.

Cette combinaison de matériaux naturels et de rebuts industriels témoigne d’une capacité à tirer parti de tout ce qui est disponible, sans jamais oublier les usages : étanchéité, légèreté, facilité de transport.

Un agencement sobre mais fonctionnel

L’entrée de la hutte est volontairement basse, afin de limiter les échanges thermiques et de préserver la fraîcheur intérieure. On y pénètre en s’accroupissant, un geste quotidien devenu réflexe.

L’espace intérieur est restreint, en général entre 4 et 6 m², mais organisé selon des règles précises :

  • Une seule entrée, une petite ouverture qui est fermée par une peau d’animal. De cette façon, il est très difficile pour un ennemi de passer par l’ouverture inaperçue.
  • Une zone de couchage, souvent matérialisée par des peaux ou des couvertures sur le sol.
  • Un coin feu, au centre ou légèrement décalé, protégé par des pierres et ventilé en hauteur.
  • Des zones de stockage suspendues ou calées contre les parois (ustensiles, aliments secs, outils).
  • Les femmes revendiquent le côté droit (et du porche extérieur) comme étant à elles.

Il ne s’agit pas d’un lieu de vie prolongée dans la journée (les activités principales se déroulent dehors, à l’ombre d’un abri ou d’un arbre) mais bien d’un cocon nocturne, protecteur et tempéré.

huttes village Dassanech

Une logique de transmission et d’apprentissage

Chez les Dassanech, la construction d’une hutte est affaire collective. Ce sont les femmes qui en assurent la fabrication, souvent aidées par d’autres membres du clan. Dès l’adolescence, les filles apprennent à tresser les nattes, plier le bois, monter la charpente, organiser l’intérieur.

Ce savoir-faire ne fait pas l’objet de plans, ni de manuels : il est transmis oralement et pratiquement, par l’observation et la répétition. Chaque hutte est légèrement différente, car adaptée au contexte (taille de la famille, matériaux disponibles, saison), mais toutes suivent une trame commune.

Cette dimension communautaire et évolutive confère à la hutte une valeur qui dépasse sa simple fonction abritante : elle devient un marqueur identitaire et un lieu d’initiation.

construction d'une hutte Dassanech

Résilience climatique et sobriété constructive

Construire une hutte dassanech, c’est faire le choix de la légèreté, de la réversibilité, de la cohérence écologique. Les matériaux sont biodégradables ou facilement recyclables. L’assemblage ne nécessite ni béton, ni énergie mécanique, ni outillage complexe. Le bilan carbone est quasi nul.

C’est également une réponse adaptée aux extrêmes climatiques qui existent dans la région : fortes chaleurs en journée, fraîcheur nocturne, orages courts mais violents. Le toit en dôme permet à la pluie de s’écouler rapidement, et la faible hauteur évite la surchauffe intérieure.

Ce type de construction, bien qu’ancestral, répond de manière pertinente à des enjeux contemporains : sobriété énergétique, économie circulaire, réduction de l’impact environnemental.

Quelques parallèles à méditer

Même si le contexte rural éthiopien est très éloigné de nos environnements européens, certaines logiques peuvent inspirer la conception contemporaine de l’habitat :

  • La forme ovoïde, très performante en termes de stabilité et de gestion thermique.
  • L’usage de matériaux disponibles localement, sans transformation lourde ni transport.
  • La construction participative, qui renforce le lien au lieu et réduit les coûts.
  • La capacité d’adaptation, qui permet de modifier l’habitat selon les besoins.

Loin d’être une architecture de misère, la hutte dassanech est une réponse intelligente à des contraintes multiples. Elle montre que l’on peut bâtir autrement, avec peu de moyens mais beaucoup de savoir-faire.

huttes Dassanech

Conclusion : une leçon d’architecture vernaculaire

La hutte du peuple dassanech ne se contente pas de loger. Elle régule, protège, évolue et relie. Elle résume à elle seule une philosophie de l’habitat où chaque élément a un sens, une fonction, un usage multiple. Dans un monde où l’on cherche à construire plus vite, plus grand, plus standardisé, elle nous rappelle que la qualité d’un espace ne tient pas à sa surface, mais à sa pertinence d’usage.

À l’heure des réflexions sur la transition écologique du bâtiment, ce type d’habitat offre un contrepoint précieux : frugal, local, transmissible, profondément humain.

2 réflexions au sujet de “La hutte du peuple Dassanech”

  1. Petit détail amusant sur la seconde photo de l’article: La plaque métallique portant l’inscription « USA ». Bien loin de son pays d’origine… 😉

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