Nichée dans l’aridité rougeoyante de l’Outback australien, Coober Pedy est une petite ville minière d’un peu plus de 1500 habitants. Vu de la route Stuart, on aperçoit surtout des monticules de terre, quelques bâtiments bas, un horizon désolé. Pourtant, sous la surface, s’étend un réseau d’habitations creusées dans la roche : les célèbres maisons troglodytes. Ce choix de vie souterrain, loin d’être une curiosité touristique, répond à des enjeux bien réels de confort thermique, de sécurité et d’adaptation au climat extrême. Voici comment cette forme d’architecture vernaculaire est devenue le socle identitaire de Coober Pedy.
Une ville née de la pierre
L’histoire de Coober Pedy commence en 1915, avec la découverte d’opales par un adolescent, Willie Hutchison. Rapidement, des mineurs venus de toute l’Australie (et bientôt d’Europe de l’Est) affluent pour tenter leur chance. Le climat est rude : des températures supérieures à 45° en été, une sécheresse constante, peu d’ombre. Les premières tentes laissent place à des abris en dur, mais l’air est irrespirable. Alors les mineurs creusent, reprenant un geste ancestral : celui d’habiter la terre elle-même.
Cette tradition troglodyte, que l’on retrouve dans d’autres régions du monde (Matmata en Tunisie, Göreme en Turquie), est ici revisitée avec une logique de survie. Le sous-sol, riche en grès tendre, se laisse travailler facilement tout en offrant une isolation naturelle. Vivre sous terre est une évidence.
Ces maisons souterraines sont appelées « Dugouts » à Coober Pedy. Et les premiers dugouts habités étaient en effet des trous qui avaient été creusés dans la roche par les personnes à la recherche d’opale.
À l’époque, l’exploitation minière d’opale était un travail éreintant, ainsi, les premières maisons troglodytes n’étaient pas très grandes. Mais les gens ont continué à creuser, toujours à la recherche de la prochaine grande trouvaille d’opale, et les maisons ont été constamment développées.


Une architecture souterraine adaptée au climat
Les dugouts de Coober Pedy ne sont pas des cavernes primitives. Ce sont de vrais logements, conçus avec réflexion. La température est constante, autour de 23 à 25° toute l’année, sans climatisation. Un atout considérable dans un désert où le mercure peut grimper à plus de 50° le jour et chuter la nuit.
La construction commence par le percement d’un tunnel horizontal à flanc de colline. Les pièces sont creusées en enfilade, souvent à partir d’un couloir central. Les murs sont laissés à nu ou recouverts d’un enduit clair. La hauteur sous plafond est généreuse (souvent trois mètres) pour éviter toute sensation d’enfermement. Des puits de ventilation, parfois surmontés de cheminées métalliques, assurent la circulation de l’air. Certains intègrent des puits de lumière ou des ouvertures vers l’extérieur, mais ces éléments sont limités, car la lumière naturelle est moins prioritaire que la protection thermique.
Dans les versions récentes, on trouve même des systèmes électriques, des salles de bains modernes et des aménagements décoratifs qui n’ont rien à envier aux maisons de surface.

Une diversité architecturale sous la roche
Chaque maison souterraine est unique. Certaines se contentent d’un ou deux espaces creusés, d’autres forment des labyrinthes avec plusieurs chambres, cuisines, salons et même garages enterrés. Certaines familles ont agrandi leur dugout au fil des années, en fonction des besoins et des moyens.
En ville, les bâtiments collectifs suivent excatement la même logique : églises, hôtels, librairies, galeries d’art, bars, musées, auberges de jeunesse… Nombre d’entre eux sont également creusés dans la colline. L’église anglicane de Coober Pedy est particulièrement remarquable : voûtes creusées dans la roche, croix sculptées à même les parois, lumière tamisée et acoustique feutrée. Cette diversité s’explique par une liberté de conception quasi totale : sans murs porteurs ni limites normatives strictes, chaque habitant peut imaginer son volume selon ses envies, ses outils et sa maîtrise du travail de la roche.


Une réponse pragmatique au défi énergétique
Habiter sous terre à Coober Pedy n’est pas un choix nostalgique ou insolite. C’est une réponse pragmatique à une question centrale : comment rendre la vie possible dans un désert sec et brûlant ? La construction troglodyte réduit fortement la consommation d’énergie : pas de climatisation, pas de chauffage, pas de surcoût lié à l’isolation. C’est un modèle d’architecture bioclimatique avant l’heure.
De plus, le grès local agit comme un régulateur thermique : il emmagasine la fraîcheur ou la chaleur, et les restitue lentement. Ce comportement inertiel est ici utilisé de façon empirique mais très efficace.
À Coober Pedy, l’habitat troglodyte ne s’oppose pas au paysage : il le prolonge. Le terrain, d’apparence lunaire, est criblé de trous, de collines artificielles et de cheminées de ventilation. Ces formes ne sont pas décoratives : elles révèlent l’activité humaine souterraine, tout en intégrant l’habitat au relief.

Une ville qui inspire les architectes
Depuis quelques années, Coober Pedy attire de plus en plus d’architectes, urbanistes et ingénieurs. Certains y voient un laboratoire pour repenser l’habitat en climat extrême, d’autres une source d’inspiration pour des habitats résilients et sobres en énergie. Avec la question du réchauffement climatique, l’idée d’habiter sous terre, longtemps marginale, retrouve un écho nouveau.
On retrouve d’ailleurs, dans certaines constructions contemporaines, des principes similaires : maisons semi-enterrées, toits végétalisés, façades épaisses, orientation stratégique… Autant de techniques qui rappellent que les réponses les plus durables sont souvent les plus simples.
À Coober Pedy, une bonne partie de la population vit toujours dans des dugouts. Ce mode de vie ne relève pas juste une tradition : il est encore pertinent aujourd’hui. Les nouvelles générations reprennent parfois les maisons familiales, ou choisissent d’en creuser de nouvelles. Le matériel s’est modernisé : les foreuses remplacent les pioches, la sécurité est renforcée, les normes sont plus strictes.

Pour ceux qui souhaitent visiter ou s’inspirer
Il est possible de visiter plusieurs habitations troglodytes à Coober Pedy, transformées en musées ou en logements touristiques. Ces lieux permettent de mieux comprendre la logique de creusement, la gestion des volumes, la sobriété thermique. Pour les amateurs, c’est une véritable mine d’idées.
Et pour les particuliers qui rêvent d’adapter ce type d’habitat ailleurs ? Tout dépend du terrain et du climat. En France, certaines régions s’y prêtent : le tuffeau en Touraine, la craie dans le nord, ou encore certaines zones volcaniques. La maison troglodyte nécessite une étude géologique précise, des techniques spécifiques et une réflexion sérieuse sur l’humidité, la ventilation, la lumière.
Coober Pedy n’est pas une ville comme les autres. Elle montre qu’habiter, ce n’est pas forcément construire vers le haut. C’est aussi savoir se fondre dans le terrain, tirer parti de la roche, et adapter son logement à l’environnement plutôt que l’inverse. À l’heure où l’on cherche des alternatives durables, frugales et résilientes, ces maisons creusées dans la terre ouvrent des perspectives inattendues. Elles rappellent que l’innovation ne vient pas toujours d’en haut, mais aussi, parfois, de sous nos pieds.

Les maisons troglodytes modernes de Coober Pedy
Aujourd’hui, l’exploitation minière d’opale dans la région de la ville de Coober Pedy n’est plus autorisée. Mais vous pouvez toujours rénover ou agrandir. Besoin d’une autre étagère ? Creusez un trou dans le mur. Le trou n’est pas assez grand pour la nouvelle chaîne stéréo ? Creusez un peu plus profond.
En réalité, personne ne creuse plus par lui-même à Coober Pedy. Tous les nouveaux travaux de construction se font par des tunneliers modernes. Construire une nouvelle maison est un jeu d’enfant, par rapport aux méthodes de construction classiques. Et c’est aussi beaucoup moins cher !
En outre, les maisons ne sont pas les grottes profondes que les gens imaginent. Elles sont en fait creusées dans les flancs de la colline. L’entrée est généralement au niveau de la rue, et les pièces se prolongent vers l’arrière dans la colline. Les gens ont même de petits jardins avant à l’entrée.