Tour 25 de Jean Nouvel à Nicosie : un paradis végétal pensé pour vivre

Vous passez Stasinou Avenue et vous la voyez d’un coup. Une lame blanche, découpée d’ouvertures carrées. Des balcons profonds, plantés. On l’appelle Tour 25. Jean Nouvel la nomme aussi « White Walls ». Elle marque le centre de Nicosie, à deux pas des remparts vénitiens et d’Eleftheria Square.

Un programme mixte, pensé pour la vie quotidienne

La tour 25 de Jean NOuvel se dresse au contact du vieux Nicosie. Elle dialogue avec l’horizontale des fortifications et du fossé. Cet ancrage n’est pas anodin : il place un signal contemporain sur un site chargé d’histoire. Le maître d’œuvre parle d’un « paysage vertical » face au paysage défensif.

Le socle accueille des commerces animés. Au-dessus, six niveaux de bureaux lumineux et fonctionnels. Plus haut, des logements sur dix niveaux, dont un duplex final spacieux. Cette répartition vise un usage continu, du matin au soir. Elle évite un immeuble vide en dehors des heures de travail. L’architecte et son équipe locale, Takis Sophocleous Architects, ont porté ce parti jusqu’aux moindres détails.

tour jean nouvel chypre

Hauteur : pourquoi les chiffres varient

Vous lirez des données différentes selon les sources. Certaines annoncent 16 niveaux et 67 m. D’autres retiennent 62 m selon le mode de mesure des hauteurs occupées. Que faut-il retenir ? Une tour d’environ 65 m, qui se perçoit surtout par la force de sa silhouette et de ses creux.

Une façade-écran côté sud

Le sud reçoit le soleil le plus dur. La tour répond par une façade blanche « pixellisée » : une trame de percements carrés, plus ou moins ouverts, qui dessine un écran. Derrière, des loggias plantées forment un filtre. Cette peau fonctionne comme un brise-soleil. En été, elle tamise la lumière et l’échauffement. En hiver, elle laisse entrer le rayonnement. L’équipe décrit une couverture végétale sur environ 80 %.

Les ouvertures carrées ne servent pas qu’à signer. Elles réduisent l’inertie apparente d’un mur épais, ventilent, décalent les vues, et organisent des gradients d’ombre. La presse d’architecture a souvent insisté sur cette double lecture : mur-écran le jour, grand panneau ponctué de lumières la nuit.

Des balcons profonds côté nord

Au nord, l’édifice change. Les grands balcons sortent du volume. Ils s’élargissent ou se rétrécissent selon les étages. Ce décalage crée une façade en mouvement, pensée pour la vie dehors. C’est une manière simple de rappeler où nous sommes : Méditerranée, chaleur sèche, soirées sur la loggia.

La végétation, un outil climatique

La tour ne se contente pas du blanc. Elle mise sur des plantes. L’approche s’appuie sur un fait : l’ombre et l’évapotranspiration refroidissent murs et air. Des travaux menés en climat méditerranéen montrent que des murs gégétaux réduisent le flux de chaleur et la température de surface, donc les besoins de froid. L’effet varie selon les espèces, le substrat et l’exposition, mais la tendance est nette.

À Nicosie, l’été dépasse souvent 35°. Dans ce contexte, la couleur claire et l’ombre portée ne sont pas des options décoratives. Elles conditionnent l’usage. Un agent immobilier local résume souvent la journée à Nicosie ainsi : « Le balcon est la première pièce dès 18 h ». La tour l’assume pleinement, avec des loggias habitables et des plantations qui deviennent un rituel d’arrosage pour les habitants.

tour jean nouvel chypre

Structure et matériaux

La structure répond à une logique de voiles et dalles en béton, avec des porte-à-faux mesurés pour porter les balcons. Les murs sud et ouest agissent comme filtres massifs ; les creux sont tantôt vitrés, tantôt vides. Ce jeu impose une discipline sur les percements et l’épaisseur des allèges. Le chantier a été mené par Lois Builders, entreprise chypriote. Chaque élément est dimensionné pour résister au climat.

À l’intérieur, les salles de réunion et les séjours profitent de vues cadrées par les découpes quadrangulaires. Ce n’est pas une baie continue. C’est un motif qui fragmente, ouvre, puis protège. Les appartements bénéficient de la profondeur des loggias pour vivre portes ouvertes aux saisons douces. Les bureaux, plus bas, tirent parti d’une lumière diffuse, agréable pour le travail.

Au sommet, un grand appartement se déploie en duplex. Il s’organise autour d’une cour protégée, clin d’œil aux maisons chypriotes. Trois grands auvents orientés différemment apportent de l’ombre aux heures critiques. Ce dispositif évoque une toiture disloquée qui se recompose selon le point de vue.

Une reconnaissance internationale

La tour a reçu en 2016 le prix « Best Tall Building Europe » du CTBUH. La distinction salue la réponse climatique, la qualité urbaine et l’inventivité de la façade filtrante.

Pourquoi ce blanc ?

Le blanc, ici, n’est pas qu’un signe de pureté. Il renvoie à l’architecture locale des maisons de Nicosie, aux enduits à la chaux et aux murs qui réfléchissent la lumière. Il limite le gain solaire. Il met en valeur les ombres des loggias et des plantations, qui deviennent un dessin à l’échelle de la ville.

tour 25 nicosie

Ce que vous remarquez en passant au pied

Vous voyez d’abord la profondeur des retraits. Les jardinières ne sont pas une fine couche verticale rapportée : ce sont de vraies terrasses, capables de porter de la terre et des arbustes. Vous remarquez aussi les percements qui s’agrandissent vers le haut pour capter la lumière quand la rue s’éloigne. Enfin, la relation au trottoir : commerces ouverts, seuils, arbres autour de la place publique.

Vivre et travailler dans la tour : une routine

Le matin, la façade sud filtre l’éclat, sans rideaux tirés en permanence. À midi, les balcons servent d’espace tampon. Le soir, les habitants profitent de l’air qui circule par les loggias. Pour les bureaux, la lumière diffuse limite l’éblouissement. L’architecture évite les solutions mécaniques lourdes pour des besoins courants, tout en restant compatible avec une climatisation réglée finement si nécessaire.

À la tombée du jour, les carrés s’allument au gré des usages. Le motif « pixel » change en temps réel : salle de réunion occupée, cuisine en activité, balcon éteint. L’immeuble envoie un signal, sans publicité ni écran LED, juste la vie intérieure qui filtre. La façade devient alors une sorte de calendrier lumineux.

Comparaisons utiles

Si vous connaissez One Central Park à Sydney, autre œuvre de Jean Nouvel, la parenté tient à la végétation intégrée. Ici, la solution est plus sèche, plus minérale. Le climat n’est pas le même, la densité non plus. À Nicosie, l’enjeu est la protection solaire et l’usage du balcon comme pièce de transition. La réponse est donc plus compacte, plus mur-écran que jardin suspendu. (Pour le contexte local, l’arrivée de tours récentes sur Makariou Avenue confirme l’évolution de la skyline, mais Tour 25 a ouvert la voie avec une idée : filtrer plutôt que fermer.) Cette approche lui donne une identité claire et reconnaissable.

intérieur tour 25 à NIcosie

Questions fréquentes

Pourquoi « Tour 25 » ?
Le nom « White Walls » est celui utilisé par l’agence. Sur place, l’immeuble est aussi appelé Tour 25. La dénomination commerciale renvoie au projet tel qu’il a été lancé par le promoteur. Les documents officiels de l’agence et de la presse emploient les deux.

Combien mesure-t-elle ?
Selon le CTBUH, environ 62 m (mesure à la plus haute surface occupée). L’agence parle de 67 m et 16 niveaux. Cet écart vient des conventions de mesure.

Pourquoi a-t-elle été primée ?
Pour sa réponse climatique simple à comprendre : ombre, ventilation, loggias, végétation. Et pour l’insertion urbaine à un endroit sensible. Prix CTBUH Europe 2016.

La tour de Jean NOuvel à Nicosie ne cherche pas l’effet gratuit. Elle met au cœur une idée claire : vivre avec le climat de Nicosie. Des murs blancs, des découpes franches, des balcons généreux, des plantes qui travaillent pour vous. Si vous lavez l’œil un soir d’août, vous verrez des points allumés qui montent en façade : c’est le rythme des habitants. La tour parle par l’usage, pas par le slogan.

Laisser un commentaire