Face à une crise du logement qui s’aggrave et à une injonction forte de limiter l’artificialisation des sols, les communes n’ont d’autre choix que de construire la ville sur la ville. La surélévation d’immeubles existants, en particulier dans les cœurs de ville et les quartiers historiques, apparaît comme une réponse immédiate et durable. Léger, rapide à mettre en œuvre et bas carbone, le bois s’impose comme le matériau idéal pour gagner de la hauteur sans fragiliser les bâtis anciens. Cette solution technique, aujourd’hui encadrée par des normes précises et soutenue par des aides financières, permet de concilier densification, respect du patrimoine et performance environnementale. Cet article détaille les enjeux, les atouts techniques et les étapes clés pour réussir un projet de surélévation bois, de l’idée au chantier.
1. La pression du logement et l’impératif de densification verticale
Mi-2024, plus de 2,7 millions de ménages patientaient pour un logement social, tandis que la production de logements engagés chutait à 259 000 unités : un plus bas de vingt ans. En parallèle, la loi Climat & Résilience interdit tout nouvel étalement urbain à horizon 2050 : chaque commune devra atteindre le « zéro artificialisation nette » et privilégier la reconversion ou la surélévation de l’existant. Dans ce contexte, ajouter un ou deux niveaux en ossature bois au-dessus des immeubles est donc une réponse rapide : on construit là où les réseaux existent déjà, sans expropriation ni aucune démolition.
2. Pourquoi la structure bois ?
- Légèreté : de 250 à 350 kg/m² (contre 550 kg/m² pour le béton), donc peu de renforts sur la maçonnerie porteuse.
- Vitesse : modules préfabriqués, grutage nocturne, trois mois d’intervention pour 600 m² habitables.
- Bas carbone : 1 m³ de lamellé-collé stocke ~750 kg de CO₂ biogénique.
- Réversibilité : une ossature peut être démontée, déplacée, réutilisée.
La filière est aujourd’hui cadrée par le DTU 31.2 et l’Eurocode 5, garantissant dimensionnement, résistance au feu R30/R60 et traitement fongicide.
3. Réemploi : du granit des soubassements aux IPN des usines
Démonter plutôt que jeter permet de respecter le patrimoine et de réduire l’empreinte grise : une poutre IPN reconditionnée économise 1,7 t CO₂ par tonne réemployée. Les pierres d’encadrement récupérées peuvent devenir marches, tandis que les briques mise au jour en toiture servent de remplissage décoratif en attique.
Matériau récupéré | Provenance typique | Nouvelle fonction | Économie carbone estimée |
Pierre de taille | Démolitions XIXᵉ | Parement et seuils | 550 kg CO₂/m³ |
Poutre IPN | Friches industrielles | Poutre secondaire ou linteau | 1,7 t CO₂/t |
Parquets chêne | Salles de bal | Plancher technique | 6,5 kg CO₂/m² |
4. De l’idée au chantier : six jalons clés
- Diagnostic portance & pathologies – Essais au scléromètre, carottages.
- Avant-projet – Étude de charge, calepinage des panneaux CLT.
- Programmation financière – À ce stade, un logiciel de chiffrage génère en quelques minutes un devis granulé : gros œuvre bois, renforts métalliques, raccords réseaux – précieux pour verrouiller le business plan sans multiplier les feuilles Excel.
- Autorisation d’urbanisme – Permis de construire obligatoire (> 40 m² créés). Le dossier mentionne l’intégration patrimoniale et la part de matériaux réemployés (levier pour obtenir les aides régionales).
- Fabrication hors site – Panneaux et caissons isolés en atelier, pré-passage des gaines.
- Chantier “sec” – Pose des caissons, étanchéité temporaire, second-œuvre.
5. Combien ça coûte ?
Poste | Fourchette €/m² SHAB* | Observations |
Surélévation bois clés en main | 2 200 – 2 900 | Ossature + parement + isolation biosourcée |
Renforts structure pierre/béton | 180 – 350 | Tirants, micropieux ou platines acier |
Réemploi matériaux (tri, nettoyage) | 90 – 180 | +30 % de main-d’œuvre mais –40 % de matière neuve |
Honoraires maîtrise d’œuvre | 8 – 12 % du montant travaux | Inclut coord. réemploi |
*Surface habitable créée. Un T2 de 45 m² au-dessus d’un immeuble 1900 coûte donc environ 110 000 – 135 000 € hors foncier.
6. Sources de financement et leviers fiscaux
- Fonds Friches & Zéro Artificialisation : subvention jusqu’à 100 €/m² pour les projets densifiants.
- Eco-PTZ surélévation : 30 000 € maxi à 0 % si le gain énergétique excède 35 %.
- TVA à 10 % sur les travaux en bâti > 2 ans.
- Amortissement sur 30 ans en location meublée : la surélévation devient un actif déductible.
Un rendement locatif net > 5 % est généralement atteint dans les cœurs de ville où le foncier est rare.
7. Erreurs fréquentes et parades
- Sous-dimensionner l’accès chantier : compter un couloir de grutage dégagé de 4 m.
- Négliger l’acoustique : interposer une bande résiliente sous chaque panne; viser ∆Lw ≥ 55 dB.
- Ignorer la surchauffe : en façade sud, préférer un bardage à claire-voie ventilé + brise-soleil.
- Tardives études de sols : un affaissement de 5 mm coûte 25 % du budget en reprise tardive – étudier dès l’esquisse.
8. Étude de cas : immeuble Art nouveau à Rennes
- Bâti : R+3, murs granit, 1908.
- Projet : ajout de deux niveaux (330 m²) en CLT, réemploi de 28 m³ de chêne et 3 t de poutres IPN.
- Budget travaux : 755 000 € (2 285 €/m²), subvention 62 000 €.
- CO₂ évité : 148 t (calcul cycle de vie).
- Durée : 11 mois études + 5 mois chantier.
- Résultat : 6 logements T2-T3, loyers moyens 14 €/m², TRI sur 12 ans.
9. Ce que dit la loi aujourd’hui
- PLU : la plupart des centres anciens classent la hauteur maximale à R+5 ou 18 m ; la surélévation bois, plus légère, obtient plus facilement un avis favorable si la corniche historique est respectée.
- Code de la construction : résistance au feu R30 exigée pour < 28 m, R60 au-delà ; les façades bois doivent être pare-flammes sur les 3 premiers mètres.
- Réemploi : le décret n° 2023-305 impose, depuis 2023, un inventaire produits-matériaux-déchets pour toute création > 1 000 m² ou démolition. Un bonus jusqu’à 5 % de surface de plancher est accordé si > 10 % des matériaux proviennent du réemploi.
10. Conclusion : la verticalité responsable
Surélever en ossature bois tout en réemployant la pierre et l’acier local permet de densifier sans étaler, d’économiser du CO₂ et de préserver le cachet urbain. Les centres anciens, longtemps figés par la peur du pastiche, disposent ainsi d’un outil sobre et réversible. Addossé à un logiciel de chiffrage fiable dès l’esquisse, le montage financier gagne en lisibilité, et l’obtention des aides publiques devient plus fluide. La ville patrimoniale se voit ainsi offrir un avenir à la hauteur de son passé : plus haut, plus vert.