Dans la vallée de Bara et aux alentours de Khaplu (Gilgit-Baltistan, Pakistan), se dressent depuis des siècles des maisons appelées Shaq Khang. Le mot « Shaq » provient de la langue balti locale et désigne les rameaux ou brindilles de peuplier et de saule. Ces matériaux végétaux sont la trame principale : poutres, piliers, murs sont réalisés à l’aide de ces bois souples, tissés et entrelacés les uns dans les autres.
Pour renforcer cette ossature de bois tissé, on applique un enduit fait d’argile ou de terre mêlée à des ingrédients naturels. On y ajoute parfois de la balle de céréales (la balle de riz ou de blé) pour compacter le mélange, et même du jus d’abricot utilisé comme liant supplémentaire, afin de donner une consistance proche d’un mortier naturel. Le résultat est une paroi flexible, légère mais très cohérente, formant un ensemble structurel intégré. Cette technique, entièrement issue des ressources locales, ne requiert ni ciment ni métaux, et témoigne d’une parfaite compréhension de l’écosystème montagnard.
Les habitants soulignent les vertus thermiques de ce matériau : en hiver il conserve la chaleur intérieure, en été il limite les surchauffes. Un avantage non négligeable dans les conditions climatiques extrêmes de haute montagne. Ce confort thermique naturel réduit la dépendance au chauffage ou à la climatisation, faisant des Shaq Khang un modèle d’efficacité énergétique avant l’heure.
Résilience : intempéries et tremblements de terre
L’un des atouts majeurs des Shaq Khang est leur robustesse face aux aléas de la nature : un élément essentiel dans une région sujette à l’activité sismique. La souplesse de la structure tissée permet aux maisons de « fléchir » légèrement sans se briser pendant un tremblement de terre : toute la structure peut osciller sans qu’aucune partie ne s’effondre. Comme le souligne le Dr. Muhammad Arif :
Ces maisons sont ‘quake-resistant’ et très flexibles. Dès qu’un séisme survient, tout l’édifice tremble mais ne tombe pas.
En comparaison, les matériaux modernes (béton, acier, fer) peuvent se fissurer, rouiller ou perdre leur intégrité structurelle après quelques décennies. Certains habitants affirment que les maisons en bois tissé peuvent durer cinq cents ans ou plus, tandis que le ciment atteint ses limites au bout d’un siècle.
En plus de leur résistance aux séismes, les maisons Shaq Khang du Pakistan sont bien adaptés aux conditions climatiques locales : les parois naturelles protègent des variations de température, et la construction minimaliste demande peu d’entretien. Leur coût de fabrication est également très faible, ce qui les rend adaptés aux communautés montagnardes aux ressources limitées.
Déclin, enjeux de préservation et renouveau possible
Si les Shaq Khang ont longtemps défié le temps et les secousses du sol, ils affrontent aujourd’hui une autre menace : la modernité. Entre abandon progressif, initiatives locales et espoirs de renaissance, leur avenir reste en équilibre. Préserver ces maisons, c’est préserver un art de vivre avec la montagne.
L’attrait du moderne versus le patrimoine
Malgré leurs qualités, les Shaq Khang sont en déclin. Avec l’augmentation du niveau de vie et l’influence des modèles architecturaux modernes, beaucoup préfèrent désormais construire des maisons en ciment, en briques ou en béton, perçues comme un signe de “progrès” ou de statut social. Cependant, ces maisons modernes montrent souvent des faiblesses : elles canalisent mal la chaleur, sont moins tolérantes aux mouvements du sol et s’écartent des usages traditionnels en harmonie avec l’environnement.
Cette transition entraîne la perte d’un patrimoine unique. Le Dr. Arif regrette que « cette architecture est notre atout, ces maisons Shaq Khang sont notre reconnaissance », et qu’en l’absence d’action, l’histoire et la culture régionale risquent de disparaître. Chaque maison perdue efface un fragment de mémoire.
Initiatives de conservation et perspectives
Face à cette disparition progressive, des efforts sont déjà en cours pour préserver et revitaliser le savoir-faire des Shaq Khang. La Baltistan Cultural Development Foundation (BCDF) mène des programmes de formation pour enseigner aux artisans locaux les techniques traditionnelles de tressage, d’enduction et de reconstruction. En collaboration avec l’Université de Baltistan, l’initiative vise à élargir cette formation dans les districts de Skardu et Ghanche. Ces programmes peuvent contribuer à :
- restaurer des maisons anciennes en danger,
- encourager la construction de nouveaux bâtiments dans le style traditionnel,
- promouvoir un tourisme culturel ciblé sur l’architecture vernaculaire,
- maintenir vivant un savoir transmis sur plusieurs générations.
L’enjeu est clair : préserver les Shaq Khang, ce mode de construction durable, économe et idéalement adapté au climat et à la géologie locale, représente non seulement une démarche patrimoniale, mais aussi une voie possible vers un habitat respectueux de l’environnement et du contexte local.