Entre innovation écologique et patrimoine vernaculaire, certaines techniques anciennes regagnent en intérêt. C’est le cas de la quincha, un système de construction encore très utilisé dans les Andes et les régions tropicales d’Amérique du Sud. Loin d’être un vestige du passé, cette méthode offre aujourd’hui des solutions concrètes aux enjeux environnementaux, économiques et architecturaux.
Voyons ensemble en quoi consiste la quincha, comment elle est construite, quels en sont les avantages, et pourquoi elle mérite d’être étudiée de plus près. Une méthode ancienne, toujours d’actualité.
Qu’est-ce que la quincha ?
Le terme quincha, emprunté au quechua qincha (kincha en kichwa), désigne une technique de construction à ossature bois, comblée avec un remplissage de cannes, de branchages ou de roseaux, recouvert ensuite d’un mélange de terre, paille, argile et parfois chaux. Cette méthode est typique des habitations rurales péruviennes, mais on la retrouve également dans d’autres pays sud-américains :
- Pérou : berceau historique, avec de nombreuses variantes régionales.
- Équateur et Colombie : très présente dans les zones rurales et les régions sismiques.
- Chili : notamment dans le centre et le sud du pays.
- Bolivie : dans certaines régions andines et vallées inter-andines.
- Argentine : dans le nord-ouest, où des variantes proches sont encore utilisées.
- Venezuela : parfois sous des formes voisines pour les habitations traditionnelles.
- Uruguay : utilisée ponctuellement dans des constructions rurales ou écologiques, notamment en autoconstruction contemporaine, comme cette maison naturelle de Luciano.
Bien que l’espagnol et le portugais soient des langues étroitement liées, l’équivalent portugais est ici complètement différent : il s’appelle Pau-a-pique. La quincha s’apparente aux techniques de torchis et de pan de bois en Europe, mais avec une approche adaptée aux climats tropicaux et aux risques sismiques. La quincha est pensée pour être légère, souple, isolante et facilement réparable.
Une structure légère et souple, pensée pour durer
La base d’une construction en quincha repose sur une charpente de bois qui sert de squelette au bâtiment. Ce bois est souvent local, taillé de façon artisanale, sans grande transformation. On y fixe un treillis de tiges souples (bambou, cannes de maïs, branches d’arbustes) selon un quadrillage serré.
Ce remplissage est ensuite recouvert manuellement d’un enduit de terre mêlée à de la paille. Dans certaines versions, un second enduit à base de chaux est appliqué pour protéger la surface de l’humidité. Cette succession de couches forme une paroi isolante, respirante et étonnamment résistante.
Ce qui frappe dans cette technique, c’est sa flexibilité. En cas de séisme, la quincha peut fléchir sans s’effondrer, contrairement aux murs rigides en béton ou en briques. Ce comportement mécanique fait partie de sa longévité et de sa réputation dans des régions exposées aux secousses.


Une méthode adaptée à son environnement
La quincha a été pensée pour répondre aux réalités locales : des matériaux disponibles à proximité, une main-d’œuvre peu outillée, des conditions climatiques parfois extrêmes. Sa performance repose essentiellement sur cette adéquation entre ressources, climat et usage.
Dans les zones chaudes, les murs respirants de la quincha permettent une bonne régulation thermique à l’intérieur. La terre stocke la fraîcheur la journée et restitue lentement la chaleur la nuit. En période humide, les murs sèchent naturellement grâce à leur structure poreuse. Et lorsqu’un mur est abîmé, il peut être réparé sans tout démolir : on renouvelle simplement la couche d’enduit en terre.
Étapes de construction d’un mur en quincha
Voici comment se déroule généralement la mise en œuvre d’un mur en quincha :
- Préparation du terrain : un soubassement en pierre ou en briques est généralement contruit, il permet en effet d’éviter les remontées d’humidité dans l’habitation.
- Montage de l’ossature bois : les montants verticaux sont fixés à intervalles réguliers, reliés par des traverses. L’ensemble forme un cadre stable qui supportera le treillis et l’enduit.
- Installation du treillis : les cannes ou tiges souples sont tressées ou clouées à l’ossature pour former une maille serrée. Ce maillage assure la cohésion du mur et retient le mélange terre-paille.
- Application du torchis : le mélange terre-paille est jeté sur le treillis et tassé à la main.
- Séchage : le mur est laissé à l’air libre jusqu’à durcissement complet.
- Enduit de finition : en chaux, argile ou terre colorée, pour protéger et décorer la surface.
Ce processus, bien que manuel, est rapide. Il ne demande ni machine lourde ni matériaux transformés.
Un savoir-faire transmis et renouvelé
Construire en quincha demande un savoir-faire spécifique. Le dosage des matériaux, la préparation de l’enduit, la pose du treillis : tout repose sur une connaissance transmise oralement. Ce patrimoine immatériel tend à disparaître dans certaines régions, remplacé par des matériaux « modernes ».
Mais l’intérêt croissant pour les constructions naturelles et écologiques relance la transmission. De nombreux architectes sud-américains, soucieux d’adapter l’architecture contemporaine à son contexte, réintroduisent la quincha dans des projets urbains, parfois même sur plusieurs étages.
Quels avantages pour aujourd’hui ?
- Écologique : elle utilise des matériaux renouvelables, locaux, peu transformés et biodégradables. Elle permet une réduction nette de l’empreinte carbone par rapport à un mur en béton.
- Économique : les matériaux coûtent peu, et la main-d’œuvre peut être locale, même peu spécialisée. C’est une solution idéale pour l’autoconstruction.
- Thermique : les murs en quincha régulent naturellement la température et l’humidité. Ils permettent de se passer de climatisation dans de nombreuses régions.
- Résiliente : en zone sismique, elle offre une grande sécurité et peut être réparée facilement.
- Esthétique : avec les bonnes finitions, la quincha donne des murs chaleureux, avec du relief, des teintes douces et un toucher agréable.



Quels inconvénients à prendre en compte ?
La quincha, bien qu’ingénieuse, présente aussi quelques limites :
- Sensibilité à l’eau : sans soubassement adapté ni toit protecteur, l’humidité peut détériorer rapidement la structure.
- Entretien régulier : les enduits doivent être refaits tous les quelques années.
- Normes de construction : dans certains pays, il peut être difficile d’obtenir des permis avec une technique peu documentée dans les codes du bâtiment.
- Formation nécessaire : même si la mise en œuvre semble simple, elle repose sur un geste maîtrisé. L’amateur peut commettre des erreurs de dosage ou d’humidité.
Une source d’inspiration pour la construction durable
En France, on redécouvre peu à peu les vertus des murs en terre, du torchis, du pisé et autres techniques traditionnelles. La quincha peut enrichir cette palette, notamment pour des projets d’éco-construction, de maisons légères, de bâtiments agricoles ou d’ateliers.
Des architectes et artisans français s’y intéressent déjà, en adaptant la technique au climat local et aux exigences réglementaires. Dans certains écolieux, la quincha s’expérimente avec des matériaux européens : noisetier au lieu de canne, terre crue locale, chaux naturelle en finition.

Un retour au bon sens constructif
La quincha ne prétend pas tout résoudre. Elle n’est pas adaptée à tous les contextes, ni à tous les usages. Mais elle rappelle une chose trop souvent oubliée : construire peut se faire avec peu de moyens, peu d’énergie, et beaucoup d’intelligence collective.
Elle repose sur une idée simple : utiliser ce que la terre offre, en respectant ses contraintes, pour bâtir des lieux durables, réparables et agréables à vivre. C’est un savoir-faire millénaire qui, loin d’être dépassé, pourrait bien faire partie des solutions pour demain.
Redécouvrir la quincha, c’est poser un autre regard sur la manière de bâtir. C’est apprendre à concevoir des murs comme des enveloppes vivantes, et non comme de simples barrières. C’est aussi revaloriser le geste artisanal, le travail de la main, et l’intelligence du matériau.
Pour toutes les personnes qui rêvent d’habiter autrement, dans des maisons respirantes, économes et chaleureuses, la quincha mérite toute leur attention en matière de construction.