À première vue, ces drôles de toits coniques en chaume semblent tout droit sortis d’un conte. Et pourtant, les pallozas, nichées dans les hauteurs de la Galice et des monts Ancares, sont bien réelles. Ces maisons traditionnelles espagnoles d’un autre temps témoignent d’une adaptation ingénieuse à un environnement rude. Leur histoire, leur architecture et leur fonctionnement nous rappellent combien l’habitat peut être une réponse directe aux besoins des habitants et à la nature qui les entoure.
Une origine ancienne aux racines celtiques
La palloza est d’origine pré-romaine, probablement celtique, ce qui n’est pas un hasard : la Galice partage un héritage culturel fort avec d’autres régions celtiques comme l’Irlande ou la Bretagne. Ces constructions étaient autrefois présentes dans toute la Cordillère Cantabrique, mais ce sont les zones montagneuses de l’est galicien, notamment autour de O Cebreiro, qui en ont conservé des exemples authentiques.
Petite anecdote : le village d’Astérix le Gaulois est composé, en parti, par des pallozas.
Le nom palloza est en fait une déformation du mot galicien « pallaza », d’abord inclus dans la fin du 19e siècle par des ethnographes comme l’allemand Fritz Krüger, se référant à la matière qui était utilisée pour faire le toit du bâtiment. Le nom traditionnel de ces maisons est en fait casa de teito ou casa de teitu.
Les pallozas ont été utilisées jusqu’à la seconde moitié du 20e siècle, lorsque l’amélioration des communications ont apporté des concepts modernes de construction dans la région. Elles survivent en Galice et dans plusieurs régions de Candín et dans l’ouest des Asturies. Les pallozas de Campo del Agua ont été en grande partie détruites par un incendie au milieu des années 1980. La plus célèbre est celle de Piornedo, qui, depuis les années 1970 est un musée ethnographique. Les nouvelles pallozas sont utilisées comme maisons de vacances, même dans les régions éloignées, où elles ne sont pas utilisées.


Une architecture pensée pour durer… et survivre
La palloza est une construction basse, compacte et presque enfouie dans le paysage. Son plan est ovale ou circulaire, avec un toit conique impressionnant recouvert de chaume. La structure du toit est faite en bois de chêne ou de châtaignier, elle comprend deux poteaux en bois placés sur une grosse pierre perforée au milieu. Il peut y avoir des poutres auxiliaires qui sont placées horizontalement.
Le chaume peut atteindre jusqu’à deux mètres d’épaisseur. Cette densité n’est pas un caprice : elle isole du froid, protège des pluies violentes et, en cas d’incendie, ralentit la propagation des flammes. Le toit descend très bas, parfois jusqu’à un mètre du sol, pour protéger les murs de la pluie.
Il y a un large éventail de plans de construction : de la quasi circulaire à la presque rectangulaire avec des coins arrondis. Cette diversité répond au climat tel que la direction des vents dominants.
Les murs sont faits de pierre sèche ou de blocs liés à la chaux. Épais, ils assurent une excellente inertie thermique. En hiver, la chaleur dégagée par les habitants et les bêtes reste à l’intérieur. En été, les murs protègent de la chaleur extérieure. Une leçon d’architecture bioclimatique bien avant l’heure.

Un espace intérieur défini mais non cloisonné
En général, la taille varie entre 12 m et 14 m de diamètre. L’axe majeur dans le plan suit la direction de la pente permettant deux niveaux à l’intérieur du logement. Alors que le niveau le plus haut est occupé par les membres de la famille, le niveau le plus bas sert d’abri pour les vaches et les chevaux. La palloza est un immense espace unique sous un grand couvercle de paille qui abrite les gens, les animaux et les récoltes contre les longs hivers rigoureux. Sa forme est similaire à celle d’une coque renversée.
À l’intérieur, pas de cloisonnement rigide, mais des zones définies par leur fonction. Le feu occupe le centre. Il sert à cuisiner, à se chauffer, à sécher les vêtements et parfois à fumer les aliments.
Dans une palozza, tout était pensé pour le quotidien d’une famille rurale vivant dans un monde isolé, et sans aucun confort moderne. Quelques ouvertures laissent passer la lumière, mais elles sont en nombre réduit. Cela évite les courants d’air et limite les déperditions thermiques. Le résultat est une ambiance tamisée, douce et chaleureuse, adaptée à un mode de vie rustique mais cohérent.


Un exemple remarquable d’adaptation au climat
Les pallozas témoignent d’un savoir-faire vernaculaire. Chaque élément est issu du lieu même où l’habitation est construite. Pas d’importation, pas de fioritures. Le choix des matériaux, la pente du toit, l’orientation des ouvertures : tout est le fruit d’une connaissance empirique du territoire.
Dans une région aux hivers longs, pluvieux, parfois enneigés, avec des vents puissants, la compacité de la palloza, son toit en chaume très incliné et ses matériaux naturels ont permis à des générations de paysans de vivre à l’abri, au chaud, sans artifice. Ce n’est ni un modèle figé, ni une construction rustique figée dans le passé. C’est un exemple d’adéquation entre l’homme, la technique et la nature.
La plus grande concentration de pallozas se trouve dans les villages de Vilarello, Xantes, Donis, Piornedo et Moreira, à environ 1200 mètres au-dessus du niveau de la mer, dans la bande ouest de la Sierra dos Ancares qui court du nord au sud entre les provinces de Lugo et Leon. En dehors de cette zone, elles sont rares. Elles se trouvent sur les pentes montagneuses formant des groupes d’habitations le long d’une route en pierre (corredoira). Ce modèle d’habitat est le plus fréquent dans la région.

De la préservation à la valorisation touristique
Aujourd’hui, les pallozas ne sont plus habitées. Leur usage s’est éteint dans la seconde moitié du XXe siècle, lorsque les populations rurales ont quitté les montagnes pour rejoindre les villes. Mais certaines ont été restaurées, notamment à O Cebreiro, un petit village situé sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Ce lieu est devenu un site emblématique de la Galice rurale.
Des musées ont été installés dans certaines pallozas. Ils permettent aux visiteurs de comprendre le mode de vie traditionnel, de découvrir les outils agricoles anciens, les ustensiles domestiques et la place centrale du feu. Ces maisons restaurées posent aussi une question plus large : comment valoriser un patrimoine sans le figer ? Comment restaurer sans trahir ?
Des artisans spécialisés interviennent parfois pour renouveler les toitures, former les habitants aux techniques anciennes ou entretenir les structures boisées. Car entretenir une palloza demande du savoir-faire. Le chaume doit être changé tous les vingt à trente ans, selon l’exposition et les conditions climatiques. Il faut aussi surveiller les fondations, très sensibles à l’humidité.

Ce que les pallozas nous apprennent aujourd’hui
Les pallozas ne sont pas des modèles à reproduire tels quels, mais elles nous rappellent des principes :
- Utiliser des matériaux locaux adaptés au climat ;
- Concevoir un habitat en cohérence avec le mode de vie réel des occupants ;
- Créer une enveloppe thermique performante sans avoir recours à la technologie ;
- Miser sur une architecture sobre mais intelligente, respectueuse du site.
Pour un architecte d’aujourd’hui, s’inspirer des pallozas peut signifier : mieux intégrer les constructions dans le paysage, optimiser l’isolation naturelle, jouer avec les volumes courbes et les toits bas pour limiter l’exposition. Pour un particulier sensible à l’habitat écologique, ces maisons traditionnelles de Galice montrent qu’un confort rustique, bien pensé, peut rivaliser avec les standards modernes.