Nzulezo : un village entièrement sur pilotis sur le lac Tadane (Ghana)

Au cœur de la région occidentale du Ghana, Nzulezo (également appelé Nzulezu) se distingue par son implantation unique : un village construit entièrement sur pilotis (le seul du pays), au-dessus des eaux calmes du lac Tadane. Cet ensemble, inscrit sur la liste indicative du patrimoine mondial de l’UNESCO, illustre une adaptation remarquable aux contraintes d’un environnement lacustre. Entre techniques artisanales éprouvées et organisation communautaire, il offre un témoignage concret de l’architecture vernaculaire et de la relation étroite entre un habitat et son milieu naturel.

Origine et implantation

Nzulezo, dans le district de Jomoro (région occidentale du Ghana), est un village bâti sur pilotis au‑dessus du lac Tadane (également appelé Amanzule). Son nom, issu de la langue nzema, se traduit par « surface de l’eau ». Son histoire puise ses racines dans une longue migration entamée il y a plus de six siècles. Selon la tradition orale, la communauté actuelle serait issue d’un groupe ayant quitté l’actuel Mali sous la direction du roi Tiekirica. À l’époque, ce roi possédait un tabouret en or, symbole d’autorité politique et spirituelle. L’attrait suscité par cet objet parmi un groupe de Sénégalais (Mendes) entraîna une tension. Constatant la supériorité militaire de ses adversaires, le roi choisit l’exil pour protéger son peuple.

43 chefs et leurs familles entreprirent alors un déplacement de grande ampleur, guidés par leur divinité tutélaire représentée par un escargot. Le parcours fut long et jalonné d’étapes : départ du Mali vers Tombouctou, puis traversée jusqu’à Wenchi, dans la région de Brong Ahafo, avant un passage à Techiman. À chaque étape, l’oracle intervenait pour indiquer la direction à suivre.

Le groupe atteignit ensuite la région occidentale, s’installant temporairement à Ankobra, puis à Esiama et Bakata. C’est là que l’oracle avertit à nouveau la communauté : les Mendes continuaient de les poursuivre. Pour se mettre à l’abri, les habitants fabriquèrent des radeaux et franchirent une rivière se jetant dans la mer. Leurs premières habitations, construites en feuilles, se révélèrent vulnérables aux incendies. Lors d’une partie de pêche, le linguiste découvrit qu’au-delà de la rive opposée, un vent plus doux rendait l’endroit moins exposé aux feux de brousse. Cette observation incita le groupe à s’y installer.

À cette période, seuls 42 des 43 chefs initiaux étaient encore en vie, beaucoup ayant quitté leurs maisons ou péri à cause des incendies et de la menace ennemie. Peu après, les Mendes rattrapèrent le groupe. Le chef de Nzulezo pria alors l’oracle en lui offrant du vin ; une partie du breuvage fut versée dans la rivière, qui, selon la tradition, se serait ouverte, laissant apparaître la terre ferme. Trompés par ce phénomène, les poursuivants tentèrent de traverser mais furent engloutis lorsque les eaux se refermèrent. Cet événement, daté d’un jeudi 15 avril, est commémoré chaque semaine : le jeudi est considéré comme jour sacré.

Après cette victoire, le chef proposa un retour au Mali. Épuisés par les années d’errance et séduits par la sécurité offerte par leur nouvel environnement, les habitants choisirent de rester. Le village fut alors fondé, sous l’autorité de Nana Tiekerica VII, et adopta l’implantation lacustre qui le caractérise encore aujourd’hui. À l’origine, la communauté parlait « Ewutire », langue disparue au profit du nzema.

L’implantation sur pilotis ne répondait pas à un besoin économique (ni la pêche ni l’agriculture ne motivèrent ce choix) mais bien à une stratégie défensive. Éloigné de plusieurs kilomètres des rives, l’habitat offrait une protection naturelle contre les incursions ennemies. Cette configuration, héritée de circonstances historiques précises, a façonné un modèle architectural unique au Ghana.

Nzulezo maisons sur pilotis

Architecture vernaculaire : techniques et matériaux

L’architecture de Nzulezo résulte d’un savoir-faire transmis depuis plusieurs générations, où chaque choix constructif répond à des contraintes liées au milieu aquatique. Les matériaux proviennent majoritairement de l’environnement immédiat, et leur mise en œuvre obéit à des techniques adaptées à la vie sur l’eau.

1. Structure sur pilotis

Les habitations sont posées sur un réseau de pieux en bois plantés dans le fond lacustre. Ces pieux supportent des plateformes qui constituent l’assise des constructions. Le bois, souvent issu de l’environnement local, forme la structure primaire – poteaux, poutres, planchers.

2. Revêtement et couverture

Les planchers sont constitués de planches ou de tiges de bois disposées de manière serrée, formant des allées et surfaces d’habitation solides. Les toitures, lorsqu’elles existent, utilisent des feuilles de palme ou de la raffia, matériau à la fois disponible et adapté à la région humide.

3. Organisation spatiale

Le village se déploie sur une artère principale, prolongée par de plus petites venelles sur pilotis, qui relient les maisons, l’école, l’église et les autres lieux collectifs. Comme dans la tradition architecturale Asante, la matière première et le tracé sont intimement liés aux contraintes environnementales.

Adaptation environnementale et techniques artisanales

Ces constructions sont conçues pour rester au‑dessus des variations saisonnières du niveau de l’eau : le lac est bas durant la saison sèche (décembre à avril) et haut pendant la saison des pluies (juin à août). L’élévation sur pilotis permet donc de maintenir un espace vital stable et accessible.

Les procédés de taille, de chevillage, d’assemblage sont pratiqués avec des techniques artisanales maîtrisées. Les artisans locaux savent choisir les essences de bois résistantes à l’humidité, à la flexion, à la pourriture. Les assemblages traditionnels évitent les fixations métalliques, privilégiant le bois, les cordelettes végétales, voire même des ajustements par pression. L’habitabilité repose sur la coordination des pieux (vertical), des poutres (horizontal), du plancher (surface utile), et de la toiture (abri). Chaque élément remplit une fonction précise : stabilité, solidité, circulation utilitaire, protection climatique.

Nzulezo

Vie quotidienne et enjeux contemporains

Le village ghanéen sur pilotis de Nzulezo compte environ 500 habitants, avec des infrastructures élémentaires : une école primaire, une église, un bar, parfois une maison d’accueil.

L’école, récemment rénovée après des dommages liés aux inondations, abrite quatre classes pour quelque 81 élèves. Cependant, les enseignants sont souvent réticents à rester, notamment parce qu’ils ne savent pas nager et redoutent les déplacements en canoë, les tempêtes ou les glissements de structures.

La structure locale de promotion touristique (Projet de tourisme communautaire de Nzulezo) ouvre des possibilités de visites, de balades en canoë, d’observation des oiseaux et d’interactions humaines, dans un cadre respectueux de l’environnement. Le tourisme sert aussi au financement de services (éducation, conservation), et contribue à l’amélioration des infrastructures. Un programme éducatif, des bourses ainsi que des actions pour renforcer les capacités des artisans et professionnels du tourisme sont en cours.

Comparée à d’autres architectures vernaculaires africaines, Nzulezo illustre la capacité d’adaptation climatique propre aux architectures autochtones du Ghana, avec l’emploi de bois, de palmes, de formes verticales conçues pour l’intégration environnementale. À l’inverse des constructions en banco ou en adobe, Nzulezo privilégie une architecture légère, surélevée, mobile et évolutive.

Nzulezo est un exemple d’architecture vernaculaire qui allie ingénierie, matériaux locaux et pratiques sociales ancestrales. En offrant un environnement bâti respectueux des cycles naturels, il démontre que l’habitat traditionnel peut constituer un modèle pertinent pour le présent et l’avenir. Il incite à repenser la solidarité entre l’homme, le bâti et l’eau – sans artifice, avec rigueur, humilité et savoir.

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